L’exploitation de femmes de ménage ukrainiennes devant la justice
C’était un autre temps, avant que la guerre éclate en Ukraine, que des millions de réfugiés fuient et que l’Union européenne décide de leur offrir une protection valant autorisation de séjour et le droit de travailler dans tous les Etats. A l’époque, entre 2018 et 2020, Oksana, Yuliia, Tetiana, Mariana, Ivanna, Galyna et d’autres, toutes Ukrainiennes, étaient en situation irrégulière en France. Elles n’avaient pas le droit de travailler. Toutes pourtant faisaient le ménage dans des appartements loués sur la plate-forme Airbnb en région parisienne. Elles espéraient que les fiches de paie accumulées leur permettraient, à terme, de demander leur régularisation. C’est ce que leur promettait leur compatriote et patronne, Nataliya Kruchenyk, à la tête de la société de nettoyage VIP Services.
Jeudi 16 juin, cette Ukrainienne de 39 ans comparaissait devant le tribunal judiciaire de Paris pour « traite des êtres humains aggravée », « travail dissimulé » et « emploi d’étrangers sans titre ». Deux autres salariées de VIP Services étaient également poursuivies pour traite des êtres humains. A leurs côtés, Quentin Brackers de Hugo, le dirigeant de la société de conciergerie HostnFly, dont VIP Services était prestataire, était poursuivi pour avoir recouru sciemment aux services de travailleurs clandestins.
Laver le sol à quatre pattes
Des vingt-huit victimes identifiées par l’Office central de lutte contre le travail illégal et l’inspection du travail, une seule avait des papiers. C’est elle, Oksana Veykogne, franco-ukrainienne, qui a alerté le syndicat CGT début 2020 et qui a témoigné à la barre. Elle y a raconté les cadences intenables, les pénalités sur salaire infligées en cas de ménage mal évalué, les fois où elle a dû laver le sol à quatre pattes, acheter elle-même des produits d’entretien ou passer la serpillière avec un linge de pyjama. Elle dit l’humiliation.
Dans un résumé des faits, le tribunal a ajouté à cette liste l’absence de congés payés, des rémunérations atteignant souvent moins de 50 % du smic horaire, des retards de plusieurs mois dans les paiements en dépit de SMS suppliants, des salariées non déclarées…
La principale prévenue est décrite par le tribunal comme « une personne influente » au sein de sa communauté, qui fréquente l’église ukrainienne de Saint-Germain-des-Prés à Paris et préside encore une association, L’Adresse, qui propose aux Ukrainiens de France des domiciliations administratives ou un accompagnement juridique à la régularisation.
« Aucune [des femmes de ménage] n’a été régularisée » grâce à leur patronne, a pourtant insisté Maxime Cessieux, l’avocat des parties civiles, alors que Nataliya Kruchenyk se définit comme une patronne bienfaitrice, « confidente », qui considérait ses salariées « comme [sa] famille ». Elle ne s’explique pas les plaintes en cascade et se sent « trahie ». Elle reconnaît qu’elle savait que ses salariés étaient en situation irrégulière et n’avoir « pas déclaré toutes les heures » mais justifie : « Je n’arrivais pas à m’en sortir financièrement. »
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