L’expert et le politique face à l’inconnu

L’expert et le politique face à l’inconnu

« La responsabilité du dirigeant est d’informer le public de l’état des connaissances et des moyens (...). La responsabilité des experts est complémentaire : Il leur incombe de s’expliquer sur les recherches à conduire et d’organiser un processus d’innovation collective. » (Emmanuel Macron et le directeur de la santé, Jérôme Salomon (R) à la Pitié-Salpêtrière, le 27 février).

Entreprises. En se dotant d’un conseil scientifique face à l’épidémie, l’Etat a fait un choix incontestable. Sans doute n’a-t-il pas anticipé les polémiques suscitées par cette démarche tant la question du savant et du politique est ancienne et le recours à l’expertise banal. Mais pourquoi l’épidémie a-t-elle mis à si rude épreuve les principes d’un gouvernement éclairé par la science ? Cela tient notamment à ce que ces principes ont été pensés pour les situations d’incertitude, alors qu’experts et décideurs ont été confrontés à l’inconnu.

Des recherches récentes ont en effet montré que, face à l’inconnu, la responsabilité de l’expertise est moins de guider les choix que d’organiser l’innovation et la progression des connaissances utiles (« Inconnu et dynamiques de l’expertise », dirigé par Pascal Le Masson et Benoît Weil, Entreprises et histoire, 2020/1, n° 98). Sans cette révision des rôles, les relations entre experts et décideurs ne peuvent qu’alimenter le trouble dans l’opinion.

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La langue nous rappelle qu’un visage inconnu n’est pas un visage incertain. La construction rigoureuse de cette distinction s’est imposée pour l’étude des processus d’innovation et de création, car elle éclaire leurs logiques d’action. Cependant, elle reste absente des doctrines économiques et politiques classiques.

Le temps qu’il fera demain est incertain et la tâche du météorologue n’est pas d’expliquer ce qu’est la pluie ou le beau temps, mais d’évaluer les chances de chacune de ces possibilités et leurs conséquences.

Responsabilités complémentaires

Face à l’inconnu, la situation est profondément différente : l’expert connaît mal les alternatives et leurs effets. Ainsi, devant une nouvelle épidémie, un spécialiste peut dire qu’un virus a des chances de muter ou que la découverte d’un traitement est probable, mais il ne peut décrire ni cette mutation ni ce traitement.

Pour le décideur, les alternatives ne sont plus ni claires ni stables, et sont souvent peu évaluables. En outre, ses choix deviennent dépendants des évolutions imprévisibles de la connaissance ou des situations, ce qui nourrit – souvent à tort – le sentiment d’un pouvoir arbitraire et d’experts démunis.

Une telle dérive ne peut être évitée qu’en amendant la conception traditionnelle héritée du sociologue Max Weber (1864-1920). En effet, devant l’inconnu, Il n’y a plus, face à face, la responsabilité du dirigeant et la conviction du savant. Il y a deux responsabilités différentes et chacune doit démontrer la pertinence de ses actions. La responsabilité du dirigeant est d’informer le public de l’état des connaissances et des moyens, sans cacher les controverses parmi les experts. Car les lacunes de l’expertise peuvent expliquer les choix retenus.

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LJD

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