Les scénaristes, ces « premières lignes » du cinéma ballottées par la crise due au Covid-19
Six fois nominé aux Golden Globes, le film Mank de David Fincher, diffusé sur Netflix, rappelle opportunément les misères qui perturbaient déjà les scénaristes les plus talentueux d’Hollywood dans les années 1940. Après un grave accident de voiture, Herman Mankiewicz passe deux mois la jambe dans le plâtre, isolé dans un ranch californien − loin de tout alcool, dont on veut le sevrer −, entre une ravissante dactylo et une infirmière faussement acariâtre.
Il écrit jour et nuit le scénario de Citizen Kane pour le jeune et tyrannique réalisateur Orson Wells à qui la RKO a donné carte blanche. Herman Mankiewicz estime avoir écrit une petite merveille et contrairement à leur accord initial, impose à Orson Wells d’avoir son nom au générique. S’en suit une engueulade mémorable. Et l’Oscar du meilleur scénario en 1941 sera finalement attribué à… Orson Wells, qui n’en a pas écrit un seul mot, et à Herman Mankiewicz.
En ces temps troublés par la pandémie de Covid-19, le sort des scénaristes français devient plus instable que jamais. Depuis plusieurs semaines, ils rendent publiques leurs turpitudes dans « Paroles de scénaristes » sur Facebook. Une litanie de complaintes anonymes amorcée par Sabrina B. Karine, qui a notamment travaillé sur Les Innocentes d’Anne Fontaine en 2016, détaillant par le menu des abus de pouvoirs des producteurs, des injustices, des trahisons, des usurpations, des non-paiements et des oublis au générique…
Un « statut mal reconnu »
« On y voit le symptôme d’une souffrance », explique Agnès de Sacy, scénariste chevronnée qui a cosigné les derniers longs-métrages de Pascal Bonitzer et de Valeria Bruni-Tedeschi. « Notre statut est mal reconnu, autant économiquement que symboliquement », dit-elle. Les pratiques à l’égard de ce petit monde − environ 900 professionnels qui écrivent pour le cinéma, la télévision et les plates-formes − ne sont pas toujours élégantes. Mais la parole se libère, parfois longtemps après les faits.
Dans la chaîne de fabrication d’un film, les scénaristes interviennent les premiers. Or, en raison de la pandémie, environ 140 longs-métrages français terminés attendent − puisque les cinémas sont fermés − une date de diffusion en salle, parfois reportée en 2022. Cet embouteillage historique a épuisé les finances des distributeurs et des producteurs. Ces derniers hésitent à lancer de nouveaux projets.
La scénariste Vanessa Lépinard note que la pandémie a modifié les attentes des producteurs, enclins à « passer définitivement à la comédie »
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