« L’enjeu de la transition écologique consiste à décarboner nos économies en évitant des effets délétères sur l’emploi »
La transition écologique s’annonce comme un défi majeur pour l’industrie, qui va se trouver confrontée à une transformation des modes de production et à une concurrence internationale intense dans les industries vertes. C’est la carte des puissances industrielles de demain qui pourrait être redessinée, les industries nationales qui sous-investiront étant évincées.
Or, sur la période 2016-2022, l’Union européenne n’a représenté que 2 % des méga-investissements industriels – plus de 5 milliards de dollars (4,5 milliards d’euros) – annoncés dans le monde, là où les Etats-Unis en captaient 14 %, la Chine 20 % et l’ensemble de l’Asie 60 %, selon les chiffres du cabinet d’études Trendeo. A cela s’ajoutent les politiques mises en place en Chine et aux Etats-Unis pour attirer les industries vertes sur leur sol (c’est le sens des clauses de l’Inflation Reduction Act conditionnant les financements à de la production locale aux Etats-Unis), plus offensives que celles que l’Europe s’apprête à mobiliser.
Dans ces conditions, tout l’enjeu de la transition écologique consiste à décarboner nos économies en évitant un décrochage industriel et ses effets délétères sur l’emploi.
Or, faute d’outils adaptés, les potentiels effets négatifs d’une telle transition sur le marché du travail ont tendance à être minimisés : la plupart des modèles économiques existants ne prennent pas en compte ses faibles capacités d’ajustement, c’est-à-dire la difficulté pour les travailleurs à changer d’entreprise ou de secteur sans se retrouver durablement au chômage ou perdre en salaire. Dans de tels modèles, changer de secteur d’activité, en passant d’une industrie polluante à une industrie verte, ou changer d’entreprise se fait sans coût d’ajustement pour les travailleurs concernés.
Les stigmates des plans sociaux
Pourtant, l’analyse des effets des plans sociaux intervenus en France dans l’industrie entre 1997 et 2019 montre que la réalité s’écarte largement de telles hypothèses (« Vingt ans de plans sociaux dans l’industrie : quels enseignements pour la transition écologique ? », La Lettre du CEPII, nᵒ 435, mars 2023).
Tout d’abord, près de 40 % des salariés qui ont été licenciés dans le cadre d’un plan social dans l’industrie ne sont plus en véritable « poste de travail », au sens de l’Institut national de la statistique et des études économiques, un an après le licenciement, et plus de la moitié six ans après. Retrouver un emploi dans un autre secteur s’est révélé particulièrement coûteux. Les salariés qui, après trois ans de chômage, ont retrouvé un premier emploi dans les services ont en moyenne un salaire de 58 % inférieur à celui des salariés qui avaient un profil professionnel comparable au leur mais qui n’ont pas subi de plan social, alors que ce différentiel n’est que de 12 % lorsqu’ils retrouvent un emploi dans le secteur manufacturier.
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