Le manageur peut-il gérer le télétravail ?
S’il plébiscite le télétravail en tant que salarié, le manager en redoute les complications pour gérer au quotidien les collaborateurs absents-présents dans une collectivité jalousement égalitaire, explique le juriste Jean-Emmanuel Ray.
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Chronique « droit social ». Le télétravail a le vent en poupe. Depuis sa libéralisation par l’ordonnance du 22 septembre 2017, des centaines d’entreprises ont signé un accord sur ce thème, plébiscité par les salariés, et facteur d’attractivité, mais aussi de fidélisation pour les entreprises. Il fait partie des « nouvelles façons de travailler » (« New Ways of Working ») qui se développent en Europe, permettant de mieux répartir les fruits de la révolution numérique.
Car la classique revendication salariale est aujourd’hui concurrencée par celle des marges de manœuvre au quotidien. Signé le 9 juillet 2019, l’accord mondial du groupe Renault veut ainsi « offrir à ses salariés des modalités de travail plus souples, avec davantage de liberté dans l’organisation des activités. Ainsi les outils technologiques permettent d’associer progrès technique et progrès social ».
Développement durable, réduction des coûts et de la fatigue des transports, productivité : le télétravail semble cocher toutes les cases. A fortiori pour les jeunes salariés communiquant par écran depuis leurs années de collège, et la puissante 5G qui arrive.
Mais si, hier, le télétravail était une somme de demandes individuelles, émanant de quelques cadres autonomes et donc gérées au fil de l’eau, aujourd’hui sa banalisation exige des règles collectives au niveau de l’entreprise, parfois de chaque service. Car le télétravail peut cristalliser les blocages organisationnels de management vertical à la française, volontiers dans le « j’ordonne et je contrôle », le présentéisme et l’obligation de moyens ; alors que le télétravail exige confiance et autonomie, avec obligation de résultat.
Nestlé France, Airbus
D’où une politique d’expérimentation : au niveau collectif, avec des accords à durée déterminée, un comité paritaire de suivi ; et, au niveau individuel, avec la mise en place de période d’adaptation et de clause de réversibilité, auxquelles le manageur de proximité est très attaché.
Car s’il plébiscite le télétravail en tant que salarié, le manageur en redoute les complications pour gérer au quotidien les collaborateurs absents-présents, y compris en termes d’égalité de traitement dans une collectivité jalousement égalitaire. Lui aussi doit donc être formé, puis accompagné par un incollable « référent télétravail ». C’est lui qui prendra la décision finale, puisque lui seul sait si X a les qualités nécessaires pour télétravailler.