« Le grand débat peut instruire un modèle de négociation sociale pionnier »
Dans sa nouvelle version, le grand débat est adapté à une phase d’écoute. Il doit aller plus loin, avec de nouvelles discussions et l’émergence de nouveaux idéaux, estime le professeur Armand Hatchuel dans sa chronique.
Devant cette crise, les pouvoirs publics ont commencé un grand débat national. L’urgence imposait d’agir vite et de fixer aux organisateurs des règles simples d’animation des réunions et de restitution des propositions. Pour plusieurs citoyens, c’est une opportunité sans précédent de s’exprimer sur ce qu’ils subissent et ce qu’ils attendent. Ils témoignent d’ailleurs volontiers de leur satisfaction à partager publiquement leurs points de vue.
Malgré cela, l’histoire, déjà longue, de l’implication des citoyens dans la vie publique, comme de celle des travailleurs dans la gestion des entreprises, enseigne qu’un débat fructueux et constructif exige des méthodes adaptées aux objectifs fixés à cette participation. Pour recueillir des doléances et des revendications, la pratique ancienne des états généraux ou des « boîtes à idées » suffit. Mais il faut des enquêtes d’utilité publique précises pour évaluer les enjeux d’un nouvel équipement. Et s’il s’agit de choix technologiques complexes, les conférences de citoyens proposent à chacun de s’informer par l’audition d’experts avant de délibérer…
En 2012, l’entreprise Fives avait ainsi appelé un panel de citoyens représentatifs de la population française à réfléchir sur l’usine de demain. Un débat peut ainsi avoir pour but de s’écouter, de décider collectivement ou même d’inventer ensemble, comme l’ont tenté les expériences autogestionnaires, coopératives ou participatives. Dans chaque cas, ce sont des modalités de participation différentes auxquelles on doit appeler les citoyens.
Actuellement, le grand débat est surtout ajusté à une phase d’écoute. On privilégie la discussion entre citoyens et le recueil de propositions. L’argumentation des avis est souhaitée, mais elle peut rester sommaire. Les autorités les plus hautes de l’Etat s’engagent dans les discussions mais sans les trancher. A vrai dire, la valeur de la phase d’écoute actuelle tiendra aussi aux propositions émises et qui n’étaient pas encore exprimées dans la rue ! Car, tous ceux qui ont déjà exprimé des revendications précises seront enclins à attendre des réponses à celles-ci, quelle que soit l’issue du grand débat.
Un grand travail d’enquête et d’invention
Le gouvernement annonce une « synthèse » à partir de laquelle il va fixer ses choix. Mais il faudrait aussi apercevoir la manière dont cette synthèse peut faire intervenir les citoyens. Car, au-delà de mesures à prendre sans délai, comment penser que certaines des propositions n’exigeront pas une seconde phase de négociation collective ? C’est là que le grand débat peut initier un modèle de négociation sociale novateur qui impliquerait, aux côtés des acteurs traditionnels (syndicats, autorités…), des délégations de citoyens ayant collaboré aux « gilets jaunes » ou à la phase d’écoute.