L’augmentation des frais universitaires en France passe mal au Maghreb
« Un rêve devenu impossible », une « exclusion » : au Maghreb, l’augmentation des frais d’inscription dans les universités françaises pour les étudiants non ressortissants de l’Union européenne (UE) suscite frustration et déception. Près d’un quart des plus de 300 000 étudiants étrangers en France est originaire d’Afrique du Nord.
Dans le centre-ville de Rabat, entre bâtiments administratifs et immeubles Art déco, une petite dizaine de jeunes se rassemblement devant une annexe de Campus France, l’organisme public chargé de la promotion à l’étranger de l’enseignement supérieur de l’Hexagone. Ils sont ici pour un « entretien de candidature », étape préalable à une demande de visa étudiant.
En plus des démarches souvent difficiles et coûteuses, ils devront composer avec la hausse des frais universitaires pour les étudiants étrangers extracommunautaires. Dès la rentrée 2019, ceux-ci devront s’acquitter de 2 770 euros par année en licence et de 3 770 euros en master et doctorat, contre 170 euros en licence, 243 euros en master et 380 euros en doctorat pour les Européens.
« On peut accepter une augmentation des frais, mais pas dans ces proportions. On est passé de rien à 2 800 euros par an, c’est trop ! », Mentionne Omar, 21 ans, l’un des jeunes présents. « La France est devenue une destination pour les étudiants riches. Si tu es pauvre ou issu de la classe moyenne, tu restes chez toi », accuse Salah, 22 ans, inscrit en gestion des entreprises dans une école privée à Rabat. Lui dit avoir abandonné à son projet de master en France : « Vu la hausse, je préfère aller là où les études sont gratuites. »
« Au Maroc aussi, il faut souvent payer »
Selon les dernières estimations de Campus France, en 2017, le Maroc était le premier pays d’origine des étudiants étrangers non européens dans l’Hexagone, avec 38 000 ressortissants. Depuis l’annonce de la réforme, une baisse de 15,5 % des demandes a été enregistrée pour le royaume. Reste que, dans ce pays où l’école publique est soulignée de tous les maux, une scolarité payante est devenue la norme dans les classes moyennes et aisées. « Au Maroc aussi, il faut souvent payer pour étudier », relève ainsi Khalil, 17 ans, qui fréquente un lycée privé à Kénitra, au nord de Rabat. Il trouve « normale » la hausse des frais universitaires en France « car les étudiants français paient les [impôts] chez eux, alors que nous, on ne paie rien, juste les frais de scolarité ».
Une quinzaine d’universités françaises ont fait savoir qu’elles utiliseraient toutes les possibilités réglementaires existantes pour permettre à ces étudiants de profiter du régime tarifaire actuel. Mais le nombre de candidats à une licence à la fac est en baisse de 10 % pour la rentrée prochaine sur l’ensemble des pays hors UE. En Algérie et en Tunisie, la chute est respectivement de 22,95 % et 16,18 %, selon des chiffres divulgués début février à Paris par Campus France. Dans ces deux pays aussi, la mesure éclaircie par le gouvernement français passe mal.
Hichem, matriculé en deuxième année de biologie à l’université de Bejaïa, à l’est d’Alger, affirme avoir dû abandonner son projet d’études dans l’Hexagone. « J’étais à un stade très avancé […] quand j’ai appris la nouvelle de l’augmentation des frais. J’ai tout annulé. C’est trop cher, c’est impossible pour moi. C’est une forme d’exclusion envers les étudiants étrangers », regrette-t-il. Etudiant au sein de la même université, Amer avait « préparé tout le dossier » et « pris des rendez-vous pour les entretiens », mais lui aussi a irrémédiablement « tout abandonné ».
La Tunisie, elle, s’estime triplement touché. Avant même l’explosion des frais universitaires en France, la dépréciation du dinar entraînait déjà un renchérissement important des études à l’étranger. Et les agitations sociales qui ont touché les lycées fragilisent les dossiers de certains candidats, qui n’ont aucun bulletin à présenter pour le premier trimestre. Représentant de Campus France à Tunis, Hosni Dakhlaoui confirme une baisse sensible des demandes par rapport à la même période l’an passé.
Rania, 20 ans, prépare son bac de lettres dans un lycée public. « J’ai toujours voulu étudier en France, c’est un rêve d’enfance, déclare-t-elle à l’AFP. Mais un rêve devenu impossible. Entre la hausse des frais et le dinar qui perd sa valeur, cela devient bien trop cher pour des gens comme moi. »