« L’arrivée de diplômés d’écoles de commerce à la direction des entreprises a fait baisser les salaires »
L’accélération récente de l’inflation remet la question du pouvoir d’achat au centre des débats. Les responsables sont tout trouvés : guerre en Ukraine, difficultés logistiques et productives liées à la pandémie de Covid-19. Mais il y a deux parties à l’équation du pouvoir d’achat : les prix des biens, et les salaires. Or, l’impact des crises sanitaire et ukrainienne serait peut-être moins douloureux si les salaires n’avaient pas subi un effritement continuel depuis les années 1980 (et aussi, bien sûr, si nous avions pris la transition énergétique plus au sérieux et plus en avant). Rappelons-nous : les revendications de pouvoir d’achat des « gilets jaunes » étaient là bien avant ces crises.
Aux Etats-Unis, alors que les salaires ont augmenté de 2 % en valeur réelle par an en moyenne entre les années 1950 et 1970, ils n’ont augmenté que de 0,3 % par an depuis 1980 (« Eclipse of Rent-Sharing: The Effects of Managers’ Business Education on Wages and the Labor Share in the US and Denmark », Daron Acemoglu, Alex Xi He et Daniel Le Maire, National Bureau of Economic Research, 2022).
La France ne fait guère mieux : + 0,6 % depuis les années 1990 (Insee, bases « Tous salariés », séries longues sur les salaires, 2019). Et ce malgré de forts gains de productivité. Ainsi, la part de la valeur ajoutée allouée aux travailleurs a baissé, aussi bien aux Etats-Unis qu’en France et même dans les pays réputés pour leur modèle social, comme le Danemark. Le solde allant au capital, c’est-à-dire les actionnaires.
Les auteurs de l’étude américaine mettent en avant une explication nouvelle à ces évolutions : l’arrivée de diplômés de business schools, les écoles de commerce, à la direction des entreprises. En 1980, seulement 26 % des entreprises aux Etats-Unis étaient dirigées par un diplômé d’école de commerce ; c’est le cas aujourd’hui de 43 % d’entre elles. Cette augmentation est presque entièrement due à la part des chefs d’entreprise détenteurs d’un MBA (dont 20 % délivrés par Harvard). Or, qu’apprend-on dans une école de commerce et dans un MBA ? A réduire les coûts afin de créer de la valeur pour les actionnaires. Et que les salaires sont un coût comme un autre.
Rémunération plus importante
Quand un de ces diplômés remplace un dirigeant détenteur d’un autre diplôme (d’ingénieur par exemple), les salaires baissent de 5 % et la part de la valeur ajoutée allouée aux travailleurs de 6 %. Les effets sont similaires… au Danemark. Les auteurs ont bien sûr vérifié que les entreprises dans lesquelles s’effectuent ces changements de direction sont sur une trajectoire économique similaire aux autres, autrement dit qu’elles ne changent pas de directeur parce qu’elles sont en difficulté…
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