L’argot de bureau : tako-tsubo ou karoshi, le syndrome du cœur brisé

L’argot de bureau : tako-tsubo ou karoshi, le syndrome du cœur brisé

Hiroto a 33 ans. Il travaille depuis quelques années dans un grand groupe financier, dans le quartier d’affaires de Tokyo, et aime son boulot. Quand il ne travaille pas, il se sent inutile : c’est pour cette raison qu’il peut se targuer d’avoir effectué 124 heures supplémentaires le mois précédent, ce qui n’est pas beaucoup plus que la norme. Son entreprise fait des efforts pour qu’il prenne du temps pour lui, mais ce soir il n’en est rien : il continuera le labeur jusqu’à l’aube.

Il a pu échapper aux dix gardes chargés de vérifier que tout le monde est parti, et même à T-Frend, ce drone qui se balade dans les couloirs pour annoncer en musique la fin de la journée. Il n’a pas oublié sa lampe torche et son boîtier 4G : l’entreprise a coupé l’électricité à 22 heures. Mais cette nuit-là, son corps dira stop : épuisé, il sera foudroyé par un arrêt cardiaque, victime d’un tako-tsubo. Cette histoire, bien que fictive, est celle de centaines de salariés, au Japon et ailleurs.

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Un tako-tsubo, en japonais, c’est un piège à poulpes. Mais saviez-vous que ce dernier ressemble au ventricule gauche de notre cœur ? C’est en tout cas le postulat des médecins japonais, lorsqu’ils ont repris ce mot à la pêche pour désigner un traumatisme cardiaque. Le tako-tsubo est mieux connu sous le nom de « syndrome du cœur brisé » : une déformation cardiaque liée au stress, et souvent au travail. Aussi bien qu’une lettre d’adieu, un rapport ou un bilan comptable supplémentaire peut bel et bien briser le cœur.

Avant d’être foudroyé par un tako-tsubo, nombreux sont ceux qui souffrent de son voisin, le karoshi : c’est un stress chronique qui mène progressivement à l’épuisement, à la « mort par dépassement du travail » littéralement. Une mort subite, par arrêt cardiaque, accident vasculaire cérébral ou suicide. Ces termes sophistiqués et chantants expriment une réalité sombre : parfois, on meurt sur sa chaise de bureau. Littéralement, le karoshi est la « mort par dépassement du travail ».

Déshumanisation et perte d’identité

Ces termes ont germé au Japon car le sens du devoir et le présentéisme sont centraux dans la culture d’entreprise nipponne. Dormir au travail pour gagner du temps a longtemps été valorisé, et la pression sociale est conséquente : selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 22 % des salariés japonais travaillent plus de cinquante heures par semaine, contre 8 % en France. Ces syndromes cardiaques sont donc la conséquence de conditions de travail dégradées, et ce même si l’on aime son travail. Si « le travail c’est la santé », en abuser c’est sans doute la mettre en danger.

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LJD

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