La ministre de la santé propose un « pacte de refondation » à 750 millions d’euros pour les urgences
Agnès Buzyn, a détaillé, lundi, une série de mesures sur trois ans. Mais sans lits ni effectifs supplémentaires.
Qu’il paraît loin ce mois d’avril où la ministre de la santé, Agnès Buzyn, assurait sur le plateau de Public Sénat que la grève dans les urgences de plusieurs hôpitaux parisiens n’était pas due aux conditions de travail ! Cinq mois plus tard, et 249 sites en grève à travers tout le pays, les problèmes d’agressions et d’insécurité, d’abord mis en avant par la ministre, ont été relégués au second plan. Pour répondre à l’augmentation continue du nombre de patients, multiplié par deux en vingt ans, et supérieur à 21 millions en 2017, l’heure est à la « refondation » et au « repositionnement ».
Le plan présenté lundi 9 septembre par Mme Buzyn, élaboré en toute hâte sur la base d’une « mission-flash » menée pendant l’été par le député (LRM) de Charente Thomas Mesnier et le patron du SAMU de Paris Pierre Carli, ne contient aucune annonce choc de réouverture massive de lits ou de nouvelle revalorisation salariale, comme le réclament les infirmiers et les aides-soignants en grève. « Cette absence totale de revalorisation des soignants, c’est le gros point qui me choque », assurait lundi soir Hugo Huon, le président du collectif Inter-Urgences, la structure qui fédère les paramédicaux grévistes, à la veille de l’assemblée générale du mouvement à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).
« Redéploiement budgétaire »
Les douze mesures du plan, doté de 754 millions d’euros sur la période 2019-2022, dont 150 millions d’euros pour l’année 2020, sont toutes destinées à « lever la pression » sur les services d’urgences. Elles viennent compléter les premières mesures prises avant l’été pour un montant de 70 millions d’euros (dont 50 millions sont destinés à financer une prime de risque mensuelle de 100 euros net pour les paramédicaux des urgences, et que toucheront désormais également les assistants de régulation médicale). Les moyens supplémentaires annoncés lundi devraient concerner à hauteur de 630 millions d’euros « des renforts, en ville comme à l’hôpital, de médecins et soignants », sans aucune traduction précise en termes d’effectifs.
Même si l’exécutif est resté particulièrement silencieux sur ce point, ces crédits supplémentaires pourraient être obtenus en économisant sur d’autres postes, de manière à ne pas toucher à l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie (Ondam), l’enveloppe fermée qui contraint les dépenses de santé. « Si certaines mesures méritent discussions, il s’agit de redéploiement budgétaire, ce qui est contradictoire avec les annonces », déplore Christophe Prudhomme, membre de la CGT et porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF), en réclamant un Ondam à 5 %, soit 4 milliards d’euros supplémentaires dans le budget de la santé.
Répondre à toute heure à la demande
C’est la mesure qui frappera sans doute le plus les esprits : un service d’accès aux soins (SAS) devrait être mis en place d’ici à l’été. Objectif de ce « service distant universel », accessible par téléphone ou par Internet : « Répondre à toute heure à la demande de soins des Français. » Il devra notamment permettre d’obtenir vingt-quatre heures sur vingt-quatre un conseil médical et paramédical, de prendre rendez-vous pour une consultation avec un médecin généraliste dans les vingt-quatre heures, de procéder à une téléconsultation, d’être orienté vers un service d’urgences ou de recevoir une ambulance.
Si le coût du dispositif est déjà connu (340 millions d’euros sur trois ans), ses modalités ne seront précisées qu’en novembre. Il s’agira notamment de trancher si le SAS constitue le numéro unique de régulation du système de soins ou s’il cohabite avec le 15, le numéro des urgences. « Il ne faut pas se focaliser sur cette histoire de numéro », assure François Braun, le président de SAMU-urgences de France. Partisan d’un numéro unique, il se dit déjà à ce stade satisfait de l’officialisation d’une plate-forme de régulation. « Le numéro unique, ça s’adresse à des personnes CSP+ qui sont dans une démarche citoyenne d’appeler pour ne pas engorger les urgences », tempère Hugo Huon. Autre interrogation : combien faudra-t-il de médecins libéraux pour faire fonctionner un tel système ? Où les trouvera-t-on ?
Cinquante maisons médicales de garde accueillant des médecins libéraux seront par ailleurs financées d’ici à la fin de l’année « à proximité directe » de tous les services d’urgences totalisant plus de 50 000 passages par an. Le ministère a expliqué vouloir développer une offre de soins libérale présentant les mêmes attraits que les urgences. D’ici à la fin de l’année, tous les médecins de garde devraient ainsi disposer de terminaux permettant de pratiquer le tiers payant sur la part « sécu ». « Nous travaillons pour que ce tiers payant s’élargisse en 2020 à la part complémentaire santé », a expliqué Mme Buzyn lundi. Des « examens de biologie médicale simples et automatisés » seront possibles dans des cabinets libéraux, avec des résultats accessibles dans des délais courts.
« Lutter contre les dérives de l’intérim médical »
Le plan présenté lundi prévoit par ailleurs de « lutter plus efficacement contre les dérives de l’intérim médical », en obligeant notamment les médecins intérimaires à fournir lors du recrutement une attestation sur l’honneur certifiant qu’ils ne contreviennent pas aux règles sur le cumul d’emplois publics. « On aurait aimé des décisions un peu plus dures sur cet intérim qui entraîne l’asphyxie de nos services », fait valoir François Braun, à SAMU-urgences de France.
Autre volet du plan : une meilleure organisation des hôpitaux. Ceux-ci devront contractualiser avec les Ehpad afin de mettre en place des filières d’accès direct des personnes âgées, afin de ne pas faire des urgences la porte d’entrée – souvent éprouvante – de l’hôpital. Les établissements devront par ailleurs tous optimiser la gestion de leurs lits d’hospitalisation, par le biais de l’embauche de gestionnaires de lits et la mise en place de logiciels de prédiction des besoins. Sur la question des lits, cruciale pour les grévistes, Mme Buzyn a assuré lundi qu’il n’y avait « aucun dogmatisme à avoir » : « Je veux optimiser les lits vides existant et en recréer si besoin », a-t-elle déclaré.
Pour ne pas pénaliser les hôpitaux qui enregistreraient une baisse des passages aux urgences, notamment du fait d’une meilleure prise en charge par la médecine de ville, le financement des urgences sera revu, par l’intermédiaire du versement d’une « dotation populationnelle ». Autrement dit, les services d’urgences ne seront plus financés exclusivement à l’activité mais recevront une « enveloppe forfaitaire » dépendant de l’importance de la population couverte et de ses caractéristiques socio-économiques, ainsi que de la « densité médicale libérale dans leur territoire ».