« La fonderie, les groupes bancaires ou l’automobile ont su très tôt construire un récit historique »
Le premier Congrès international d’histoire des entreprises aura lieu à Paris, du 11 au 13 septembre 2019. Quarante sessions sont organisées autour de trois grands axes : le rôle des entreprises dans l’émergence d’un capitalisme « à la française » ; les défis de la mondialisation et de la modernité ; écrire actuellement l’histoire des entreprises.
La conférence inaugurale « A quoi sert l’histoire des entreprises ? » sera présentée à la Sorbonne par les professeurs Liliane Hilaire-Perez (EHESS) et Matthias Kipping (université York de Toronto). Trois tables rondes se dérouleront à l’ESCP Europe : « Les entreprises racontent-elles des histoires » (avec Corinne Lepage, ancienne ministre) ; « La fabrique de l’histoire des entreprises » ; « La place des femmes dans l’entreprise » (avec Nicole Notat et Danièle Fraboulet).
Retrouvez le programme détaillé sur le site du congrès, effectué par l’ENS, le CNRS, Paris-Nanterre et Evry, les universités Paris-Dauphine, Paris-Nanterre et Evry, l’Ecole Polytechnique, la BNF, le CNAM, etc., avec le soutien d’entreprises (Crédit Agricole, Saint Gobain, BNP Paribas, Société Générale, Renault, etc).
Comment est née la bouteille de Perrier ? La galerie des Glaces de Versailles est-elle à l’origine des choix stratégiques de Saint-Gobain ? Le groupe Total s’est-il toujours intéressé au gaz naturel ? Comment le développement durable et la responsabilité éthique ou sociale ont-ils émergé dans l’agenda stratégique de certaines entreprises ? Les entreprises, pour l’essentiel les plus grandes, ont, depuis le début du XXe siècle, pris conscience de l’importance de maîtriser la construction et la communication de leur histoire. La sidérurgie, l’automobile ou les groupes bancaires ont très tôt su construire un récit historique. En France, Saint-Gobain a fait office de pionnier dans cette volonté systématique de construire une politique de conservation de la mémoire et de l’histoire de l’entreprise.
En revanche, les entreprises sont des objets historiques qui ont longtemps été ignorés par les historiens eux-mêmes. Ils n’ont commencé à les étudier que dans les années 1950 aux Etats-Unis, puis peu après en France, et ce n’est que dans les années 1970 et 1980 que la « business history » s’est diffusée.
Entre « history » et « story », l’entreprise ne cesse de se mettre en scène et en mots
Parfois convergentes, les méthodes des entreprises et celles des historiens peuvent aussi diverger. Il est clair, de nos jours, que l’entreprise passe son temps à « raconter des histoires » : de ses origines plus ou moins idéalisées au storytelling qu’imposent médias et marketing, entre « history » et « story », l’entreprise ne cesse de se mettre en scène et en mots.
En tant qu’organisation, les entreprises font et entretiennent des relations économiques, sociales ou politiques avec d’autres acteurs de leur environnement. A ce titre, elles construisent l’histoire, mais, pour paraphraser Karl Marx, si elles font l’histoire, elles ne savent pas – toujours – l’histoire qu’elles font.
Outil de diagnostic et de stratégie
L’histoire est, d’une certaine façon, présente partout dans l’entreprise, ne serait-ce que parce que toute comptabilité est histoire : elle retrace, sur une période plus ou moins courte, les flux économiques et les événements de l’organisation ; les commentaires qui accompagnent les résultats financiers essaient de présenter cette « histoire » aux parties prenantes. Les auditeurs valident ce récit, qui doit être fidèle à la réalité qu’ils perçoivent, mais est-il « vrai » ? Ici plus qu’ailleurs, cette histoire essaie d’être un « roman vrai », selon la formule célèbre de l’historien Paul Veyne. La difficulté même d’apprécier des risques réels, des prévisions d’activité ou la situation économique à venir, souligne que l’exercice n’est jamais facile – ceci sans parler de nombreux scandales, tel celui d’Enron, qui relèvent d’un désir délibéré de cacher ou de mentir.