« Je n’ai pas le bac et je n’ai jamais passé d’entretien » : dans l’Oise, face à la crise, des bus à la rencontre des plus éloignés de l’emploi

« Je n’ai pas le bac et je n’ai jamais passé d’entretien » : dans l’Oise, face à la crise, des bus à la rencontre des plus éloignés de l’emploi

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Publié aujourd’hui à 16h13, mis à jour à 16h15

On y tient tout juste à trois. Une coquille rassurante aux faux airs de départ en vacances dans laquelle opère chaque fois la même mue. Lorsqu’elles redescendent du marchepied, après quarante minutes d’entretien chacune et des offres d’emploi fermement agrippées, Isabelle Zinetti, 51 ans, et Ana Nunes, 42 ans, ont relevé la tête. Un courrier de Mme la maire les a invitées à monter à bord du « bus pour l’emploi » du département – un camping-car, en réalité. Pas question de rater son passage à Tracy-le-Mont, 1 730 habitants, un Proxi, une Poste et une petite zone artisanale en lisière de forêt, dans le nord-est de l’Oise. « C’est une chance d’avoir ce service qui vient jusqu’à nous, glisse Ana. On se sent parfois gênés de demander de l’aide. » Le Pôle emploi est ici à une distance encore raisonnable, à 20 kilomètres, à Compiègne. A condition d’avoir une voiture : pas de bus, hormis pour les scolaires.

Les deux femmes recherchent un poste d’assistante administrative. Dans le petit bureau ambulant d’Aurélie Michaux, conseillère emploi, se déverse l’usure de ces heures passées à postuler partout, sans réponse. Certes, il y a la crise. « Mais s’il y a des offres, c’est bien qu’il y a de l’emploi ! », s’impatiente Ana, inscrite dans plusieurs boîtes d’intérim. Elle a déposé des CV à 30 kilomètres à la ronde. « J’ai bac + 2, une formation adaptée… Qu’est-ce qui ne marche pas ? Mon âge, mes origines portugaises ? »

Travaillant aussi au sein d’une Maison départementale des solidarités, Aurélie Michaux a remarqué que ceux qu’elle reçoit dans le bus « se livrent plus facilement que dans la disposition classique du bureau, peut-être plus institutionnelle ». Elle a rejoint l’équipe du troisième bus lancé en septembre 2020 avec Mickaël Petit, chauffeur et agent d’accueil.
Ana Nunes (à droite) et son mari ont quitté le Portugal pour la France il y a 14 ans, convaincus qu’ils y trouveraient de meilleures opportunités d’emploi. Ce fût le cas jusqu’à la crise. Malgré ses diplômes et sa recherche active, Ana Nunes ne sait « plus quoi faire ».

Après vingt-neuf ans d’entreprise, le poste d’Isabelle a été supprimé. « On me proposait de redescendre à l’atelier. » Elle a préféré partir. « J’ai de l’expérience, mais je n’ai pas le bac, seulement un CAP et un BEP, et j’ai jamais passé d’entretien, soupire-t-elle. Puis à mon âge et vu tous les jeunes sur le marché… » En attendant, elle fait des heures de ménage à l’école. Et se forme aux réseaux sociaux. Elle montre ses nouvelles applis : LinkedIn, Indeed…

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« Maillage le plus fin possible »

« C’est une belle candidature, vous avez des techniques, ne vous découragez pas », rassure la conseillère. Elle explique comment affiner les recherches à Pôle emploi, oriente vers d’autres partenaires, note des contacts et « prescrit » des pauses « pour se changer les idées ». « On vous rappelle dans un mois. Et si vous avez besoin d’être reboostées, revenez. » Isabelle enverra sa fille, qui cherche une alternance. Et espère qu’elle viendra bientôt grossir l’épais classeur des « sorties » – ceux qui ont retrouvé un travail, entamé une formation ou créé leur entreprise.

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