« Il est désormais illégal, en Californie, de “réduire au silence” les salariés victimes de harcèlement ou de discrimination »
Chronique. Il y a une éternité – au milieu des années 2010 –, la tech terrorisait ses employés. Les géants de la Silicon Valley interdisaient à qui que ce soit de parler à la presse, fût-ce du beau temps, un comble au pays de la liberté d’expression. Essayer de questionner des techies aux arrêts de bus des navettes Google était une expérience frustrante : des robots, le regard vide, les oreilles bouchées par leurs écouteurs. Ceux qui acceptaient de souffler un mot prenaient des airs de dissidents de régime autocratique : « On n’a pas le droit de parler »…
Les employés étaient paralysés par les désormais célèbres NDA (non disclosure agreements), ces accords de confidentialité que les salariés sont obligés de signer à leur embauche, officiellement pour protéger les secrets des start-up. Il se trouve aussi que les techies croyaient à leur mission (changer le monde, connecter les Terriens jusqu’au dernier, etc.). Dix ans plus tard, le temps est venu de la rébellion contre la loi du silence. Une vague de lanceurs d’alerte est en train de déferler sur les entreprises de la Silicon Valley. Rien n’est aussi dangereux que les missionnaires défroqués.
Frances Haugen, ex-data scientist de Facebook, est devenue le visage le plus médiatisé des nouveaux whistleblowers, mais elle est loin d’être unique. En avril, Sophie Zhang, autre data scientist, avait révélé la tolérance de Facebook pour les faux comptes entretenus par les gouvernements étrangers qui cherchent à manipuler leurs opinions publiques. Ces dernières années, rares sont les entreprises qui n’ont pas connu leurs protestataires, déçus du double langage de leur messianique fondateur.
« Toxicité » de la culture d’entreprise
Coïncidence : au moment même où Frances Haugen témoignait devant le Congrès, une autre lanceuse d’alerte, Ifeoma Ozoma, publiait un guide pour les employés des entreprises technologiques tentés de révéler les méfaits qu’ils constatent. Son Tech Worker Handbook s’adresse aux livreurs et aux petites mains de l’économie numérique aussi bien qu’aux project managers. Loin de les inciter à jouer les justiciers, il met en avant les risques. Et offre des conseils. Quelles institutions contacter ? Comment parler à la presse ? Comment se préparer à la perte de son salaire et de son assurance santé ? A la vague de discrédit qui ne va pas manquer d’être orchestrée par l’entreprise incriminée ? Comme le dit Ifeoma Ozoma, quand on connaît la capacité des outils de surveillance de la tech, il y a de quoi devenir parano…
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