Homme, blanc, diplômé… le monde monocolore de la « start-up nation »
Attablé à La Felicita, le restaurant fashion de la Station F, Tally Fofana détonne au milieu des habitués de la pouponnière à start-up de Xavier Niel (actionnaire du Monde à titre personnel). A l’opposé de l’entrepreneur classique – un homme blanc, diplômé, issu de milieux privilégiés –, ce fils de Sénégalais de 39 ans est venu au monde des start-up par les chemins tortueux de la délinquance.
A 14 ans, il volait sa première voiture. A 16 ans, il quittait l’école et un BEP jamais terminé. Une décennie plus tard, il dirigeait un réseau spécialisé dans le vol, le maquillage et la revente de voitures en Europe, employant une dizaine de personnes. « C’était lucratif, l’argent rentrait vite, et sortait tout aussi vite. C’était difficile de s’arrêter. Mais l’appât du gain, beaucoup d’inattention… ont conduit à mon interpellation, le 18 novembre 2013 », se rappelle Tally Fofana, qui va alors passer deux ans à la prison de Nanterre.
Libéré il y a quatre ans, le banlieusard du Val-d’Oise décide que ses deux enfants ne viendront plus le voir au parloir, et transforme son savoir-faire en activité légale. Il crée Digitall qui propose d’aider les constructeurs automobiles à mieux sécuriser leurs véhicules. Depuis un an, sa start-up est hébergée au cœur de la Station F, au sein du Fighters Program, consacré aux entrepreneurs atypiques.
83 % ont un niveau d’étude de bac + 5
Dans le monde monocolore de la « start-up nation », Tally Fofana fait figure d’exception. A 90 % les start-upeurs sont des hommes, 71 % des dirigeants ont été formés en école d’ingénieurs ou de commerce, 83 % ont un niveau d’étude de bac + 5, et leur moyenne d’âge est de 40 ans, relate une étude dévoilée en 2017 par la French Tech, un organisme du ministère de l’économie. Exit les femmes, les banlieusards et les ruraux.
« La société dit culturellement aux femmes et aux pauvres qu’entrepreneurs, ce n’est pas pour eux », lance crûment Mounir Mahjoubi. Ce fils d’immigrés marocains se souvient que sa mère a pleuré le jour où il lui a dit qu’il souhaitait être entrepreneur. « Le risque lui paraissait insoutenable », se souvient le secrétaire d’Etat au numérique.
Absence de réseau, de financement, d’accompagnement, mais surtout autocensure ou manque d’information, les freins à la création de start-up sont autant d’ordre matériel que psychologique. « Dans les quartiers, l’entrepreneuriat fonctionne, mais reste très local, car on n’a jamais dit à ces jeunes qu’ils pouvaient être accompagnés, lever des fonds. L’information n’a pas passé le périphérique », témoigne Loubna Ksibi, qui a monté Meet My Mama, une start-up proposant des recettes préparées par les « mamas » des quartiers.
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