Entreprises : « Il faut avoir le courage de briser le silence à l’endroit où il doit l’être et oser nommer les abus managériaux qui ont pu en résulter »

Tribune. Dans le sillage du livre La familia grande (Seuil, 2021), publié par Camille Kouchner, les déflagrations de l’affaire Duhamel n’en finissent pas de nourrir des remises en question qui concernent l’ensemble de la société française. Nombre d’entreprises ont en effet été influencées par la « pensée 68 », pour reprendre l’expression du philosophe Luc Ferry, en particulier celles qui furent fondées ou qui sont encore dirigées par des soixante-huitards imprégnés par cet état d’esprit. Il fallait être transgressif, innovant, transparent, libéré. Un vent nouveau soufflait alors sur l’entreprise. Aujourd’hui, celles-ci ne pourront pas échapper à une remise en question.
Le fameux « il est interdit d’interdire » est devenu, appliqué à l’entreprise, « il est interdit de donner des ordres », « le patron veut une entreprise sans chef », sans hiérarchie, horizontale. Tels étaient les mots d’ordre paradoxaux qui, ne devant plus apparaître comme des ordres, ont contraint leurs auteurs à devoir manipuler les salariés pour orienter différemment leurs comportements, sans pression hiérarchique.
Le contournement de la contrainte hiérarchique
Avec le recul dont nous disposons aujourd’hui, que nous enseigne l’expérience au sujet des manières de gérer le personnel dans les entreprises de ce type, qui se voulaient progressistes et qui se disent encore, aujourd’hui, avancées, sinon même « libérées » ? Elle nous apprend que, quand un dirigeant ou un manageur s’interdit de donner des ordres, il se condamne à :
– devoir employer des circonlocutions : on ne parle plus d’ordres mais de « suggestions », d’« invitations » et de « conseils ». La réalité, elle, demeure que si un salarié ne comprend pas l’implicite dont ces euphémismes sont porteurs et qu’il n’obtempère pas, les difficultés ne tardent guère. Son activité sera scrutée de près, ses petits défauts mis à jour devant ses collègues au nom de la transparence, de manière que les pairs – et non la hiérarchie – lui signifient qu’ils ne veulent plus travailler avec lui.
– Devoir accroître son emprise sur ses collaborateurs : il doit désormais susciter les « libres décisions » de ses collaborateurs par une intériorisation de la Vision portée par le dirigeant conçu comme un guide, un « leader », les mots « chef » ou « directeur » étant bannis. Acculturé en profondeur, chaque membre de l’organisation est censé en venir à agir spontanément dans la direction souhaitée. Le contrôle socio-idéologique remplaçant la contrainte hiérarchique, plus personne ne commande mais tout le monde obéit.
Il vous reste 57.08% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.