« Enseigner : quoi qu’il en coûte ? » : l’impact psychique de la continuité pédagogique pendant le Covid-19

« Enseigner : quoi qu’il en coûte ? » : l’impact psychique de la continuité pédagogique pendant le Covid-19

Cela a constitué la plus grande perturbation de la sphère éducative qu’ait connue le monde moderne, souligne le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. La pandémie de Covid-19 a entraîné en 2020 la fermeture brutale des établissements scolaires à travers le monde. Près de 1,6 milliard d’apprenants ont été touchés. En France, un grand nombre d’élèves et d’étudiants ont dû suivre leurs cours depuis leur domicile, par écran interposé. A charge pour les enseignants d’assurer, dans l’improvisation, cette « continuité pédagogique ».

L’événement, qui a provoqué la sidération générale, est connu. Ce qui l’est moins en revanche, c’est la façon dont les enseignants ont vécu intérieurement cette expérience à marche forcée. Quel impact sur leur psychisme, mais aussi sur leurs méthodes et sur les apprentissages qu’ils ont pu transmettre ?

Professeur en sciences de l’éducation à l’université de Rouen-Normandie, Jean-Luc Rinaudo s’est penché sur ces questions dans un livre paru aux éditions Erès, Enseigner : quoi qu’il en coûte ? Un ouvrage au travers duquel il explore le vécu des acteurs de cet épisode inédit, à travers de nombreux témoignages, convoquant régulièrement l’analyse psychanalytique et soulignant la force des processus inconscients à l’œuvre.

Durant cette période, les enseignants ont dû relever un premier défi : trouver « la bonne distance » dans leur rapport aux élèves et aux étudiants. « Les participants des classes virtuelles peuvent ressentir un sentiment de présence de l’autre, à la condition que cette présence ne se fasse pas envahissante, intrusive et que les limites de l’intime soient préservées », indique l’auteur. Ils ont dû aussi maintenir un lien avec les élèves, une question prioritaire aux yeux d’une enseignante, Stéphanie : « Les enjeux relationnels ont pris le pas sur le contenu même des savoirs à enseigner. »

Les interactions se sont effacées

M. Rinaudo note combien les conditions d’exercice du métier d’enseignant ont pu mettre à l’épreuve les professeurs, dans cette « situation qui ressembl[ait] à l’école mais n’en [était] qu’un ersatz ». De fait, ils ont dû exercer leur métier devant un ordinateur, en « enseignant tronc », dans une relation souvent désincarnée. Pire : en de nombreux cas, ils n’ont eu face à eux qu’un écran noir, les caméras des apprenants n’étant pas activées. Les enseignants n’ont alors plus eu la possibilité de s’appuyer sur les réactions des élèves pour comprendre comment leur discours était accueilli.

Les interactions se sont effacées, les formateurs pouvant alors se vivre comme de simples « machines à enseigner ». De même, ils ont délivré leurs cours dans un silence inhabituel. « Une classe ordinaire bruisse, rappelle M. Rinaudo. L’enseignant qui éprouve le sentiment d’être seul, de parler dans le vide, peut légitimement s’interroger sur le sens de sa pratique professionnelle et ressentir une forme de perte de son identité. »

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LJD

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