En silence ou avec fracas, l’art subtil de la démission
En mai, après avoir longtemps vécu heureux dans un cockpit, le pilote de ligne Yann Woodcock publiait sur le réseau professionnel LinkedIn un long texte dans lequel il expliquait pourquoi il avait décidé de quitter l’aéronautique : « Je pars car j’ai pris conscience de l’ampleur de la catastrophe climatique et de l’effondrement du vivant. Ainsi, je ne souhaite plus être partie prenante d’une industrie contribuant de manière significative au problème. » Ce départ, que l’on imagine assorti d’un véhément rabat d’étole par-dessus l’épaule, s’inscrit dans une nouvelle tendance, épinglée sur les réseaux sociaux sous le hashtag #climatequitting.
Difficilement chiffrables, les « démissions climatiques » conduisent un certain nombre de salariés à prendre congé de leur entreprise, parce qu’ils considèrent que celle-ci n’est pas alignée sur leurs convictions environnementales. Avant, on se trouvait mille arguments pour rester (le crédit du pavillon, la perspective de grimper dans l’organigramme…) ; désormais, il semble exister plein de bonnes raisons de s’en aller : le bilan carbone déplorable de sa boîte, le manque de sens, la surcharge de travail, la lassitude, les collègues toxiques…
En conséquence, la démission, qui constituait un impondérable de fin de parcours sans grand relief, figure aujourd’hui l’acmé de la vie professionnelle. Signe de ce nouveau statut, elle est désormais esthétisée, avec des sous-catégories correspondant aux tempéraments de chacun : les timides pourront avoir recours au « quiet quitting » ou au « ghost quitting », deux formules qui consistent à ne pas vraiment quitter sa boîte mais à s’y faire de plus en plus discret, voire fantomatique.
A l’opposé, le « loud quitting » désigne un désengagement tonitruant où l’on manifeste ouvertement son mécontentement. En 1999, dans le film Office Space, l’actrice Jennifer Aniston anticipait la tendance en larguant son boulot de serveuse, majeur tendu face au visage de son employeur : « Je déteste ce job ! » Devenue un happening en soi, au point qu’il existe désormais des coachs permettant de vous épauler dans la démarche et des posts Instagram inspirants, la démission permet de poser un geste fort, d’afficher une posture morale.
Forme de développement personnel
Dans une enquête sur le « conscious quitting » (la « démission consciente ») publiée en avril 2023, le cabinet de conseil en design d’espace de travail Génie des lieux avançait que 68 % des Français ont déjà pensé à quitter une entreprise non respectueuse de leurs valeurs, et que 34 % seraient déjà passés à l’acte. Même s’il est à noter que les démissions sont en baisse depuis quelques mois, elles restent symboliquement valorisées. Preuve de votre capacité d’indignation, la rupture pétaradante avec votre employeur fera de vous un Stéphane Hessel d’open space adulé.
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