« En finir avec la productivité » : le sexisme d’une notion phare de l’économie et du travail
Livre. Que serait devenu Adam Smith (1723-1790) sans sa mère, Margaret Douglas ? A la suite de l’autrice Katrine Marçal, Laetitia Vitaud se pose la question dans son essai, En finir avec la productivité qui a pour sous-titre Critique féministe d’une notion phare de l’économie et du travail. Manière de nous montrer que si l’économiste écossais a pu laisser sa trace dans l’histoire, c’est grâce à ses travaux fondateurs, mais aussi parce qu’il disposait des conditions nécessaires pour les réaliser. Et cela en raison notamment de la présence d’une mère aimante qui « lui préparait de bons petits plats, lui lavait ses vêtements et le soignait quand il avait un rhume ».
L’autrice, spécialiste du futur du travail, résume : « Pour pouvoir être productif, il faut que quelqu’un vous prépare à manger. » Ce que n’a pas intégré M. Smith dans ses écrits. L’économiste a, certes, posé les bases théoriques du concept de productivité, mais il avait « un angle mort terrifiant » dans sa pensée, estime donc Mme Vitaud. Une pensée pourtant encore dominante. « Les indicateurs qui inspirent nos politiques ne tiennent pas ou peu compte du travail non rémunéré des mères (et des pères), du soin, du nettoyage, de la cuisine, de l’aide apportée aux personnes âgées », poursuit l’autrice.
A travers cet exemple des plus symboliques, elle nous montre combien la notion de productivité est imparfaite (et même « toxique »), invitant à la dépasser pour définir une nouvelle manière d’évaluer la valeur d’un travail effectué. Son ouvrage se présente comme une critique de ce concept, alimentée par une réflexion féministe. Au fil des pages se dévoile ainsi « le lien entre la logique productiviste et les inégalités de genre ».
Intégrer les apports invisibles et gratuits
Car, explique l’autrice, « les femmes portent la productivité de tous sur leurs épaules sans en recevoir les fruits. Lestées des charges mentale et émotionnelle de leur foyer », elles sont responsables de l’entretien de la force de travail de leur famille et n’ont souvent pas les moyens matériels optimaux pour développer leur propre activité professionnelle.
La période de télétravail imposée par la pandémie de Covid-19 en a apporté une illustration éclairante. Elle a pu aussi être vécue comme « un cadeau empoisonné » par les femmes. Dans de nombreux secteurs d’activité, elles « ont pris sur elles une part plus importante de corvées domestiques et eu moins souvent accès à un espace de concentration ». Mme Vitaud en livre un exemple saisissant. Dans le monde universitaire, « à cause du confinement, les femmes chercheuses, en particulier les mères, ont soumis beaucoup moins d’articles à la publication. Les hommes, en revanche, ont trouvé le moyen de produire beaucoup plus ».
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