Emploi et handicap : Didier Roche, « serial entrepreneur »
La tour Eiffel, Notre-Dame, le Sacré-Cœur, la Défense… Par temps clair, le 52e étage de la tour Montparnasse offre une vue imprenable, à 40 kilomètres alentour. Lorsqu’il reçoit dans son bureau, l’entrepreneur Didier Roche laisse ses invités s’installer face au panorama. Il est d’autant plus sensible à leur émotion que lui-même ne profite pas du paysage : il est aveugle. Pourtant, lorsque, à 20 ans à peine, il développe sa première entreprise spécialisée dans les biens et services pour aveugles et handicapés visuels, il lorgne déjà le plus haut gratte-ciel de Paris et sa vue à couper le souffle. A l’époque, il a installé ses bureaux dans la CIT, la petite sœur de la tour Montparnasse. « Je me disais “un jour, je serai dans la grande”. Et m’y voilà », résume-t-il sobrement.
Issu d’une famille ouvrière, il devient non voyant à 6 ans, à la suite d’un accident domestique. On s’inquiète pour lui, on redouble d’attention, mais, enfant déjà, il préfère l’admiration à la compassion. Il ne peut plus suivre ses amis dans leurs périples à vélo ? Il fixe des bouts de carton sur la bicyclette qui le précède, et se repère au bruit. Pour jouer au foot, il glisse le ballon dans un sac en plastique. Philosophe, Didier Roche constate : « Le mur de l’impossible recule devant l’être qui marche. »
A 50 ans, il est cofondateur d’Ethik Connection, une agence qui accompagne les entreprises dans la création de projets à fort impact social, et directeur général associé du groupe Ethik Investment, 8 millions de chiffre d’affaires en 2019, avec lequel il développe des restaurants, spas et boutiques proposant des expériences sensorielles dans l’obscurité totale. La marque Dans le noir ? emploie une centaine de collaborateurs dans le monde entier, dont 50 % sont en situation de handicap lourd, essentiellement non voyants. « Avec le Covid-19, nous allons perdre au moins de 60 % à 70 % du chiffre d’affaires, mais nous ne toucherons pas aux postes des personnes handicapées », assure cet entrepreneur, qui place la diversité au cœur de son modèle de création de valeur.
Un capitaine d’équipe
En 2009, il se met en tête de créer un CAP d’esthétique pour les aveugles, et force la main au rectorat, réticent, en allant jusqu’à passer lui-même le certificat. « J’étais le seul homme, le plus âgé aussi. J’ai eu la pire note de l’équipe, mais ça a fonctionné », raconte-t-il, amusé. Aujourd’hui, le CAP a été validé par une cinquantaine de personnes. « Didier, c’est un porteur de projets, un organisateur, un capitaine d’équipe », rapporte Hamou Bouakkaz, ami de longue date, également non voyant.
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