EDF : mobilisation en Normandie contre le projet « Hercule »
En mode guerrier (« Macron se prend pour Hercule ») ou plus subtil (« Eux, Hercule. Nous, on avance »). Baptisé « Hercule », le projet controversé de réorganisation d’EDF s’est prêté, sans surprise, aux jeux de mots des opposants syndicaux et politiques réunis, jeudi 25 mars matin, devant la centrale nucléaire de Penly, près de Dieppe, en Seine-Maritime.
A l’appel de la CGT, ils étaient plus d’une centaine à tenir le piquet de grève dès l’aube, distribuant des tracts, filtrant les entrées des salariés bloqués dans leurs voitures. D’autres sites français ont été concernés, comme la centrale du Blayais, en Gironde, au nord de Bordeaux, où plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées. A l’instar des multiples journées d’action menées ces derniers mois, le mot d’ordre est clair : dénoncer « le démantèlement et la privatisation » à venir de l’électricien français.
D’après la CGT, près de 30 % de grévistes ont été comptabilisés à Penly, et 20 % à Paluel, l’autre centrale de Seine-Maritime. Aucune action visant à baisser la production n’a, cette fois, été entreprise. Si la participation a légèrement fléchi en Normandie, au regard des mobilisations antérieures, le syndicat ne s’inquiète pas. « Localement, nous étions les seuls à appeler à la grève, ce jeudi », relativise Nicolas Vincent, délégué syndical CGT à Penly, qui a déjà en tête la mobilisation du 8 avril, jour symbolique du 75e anniversaire de la loi de nationalisation fondatrice d’EDF et de GDF. « Ce prochain mouvement, à l’appel de l’intersyndicale, sera très suivi », anticipe-t-il.
Une réforme qui vise à scinder le groupe en trois parties
La réforme « Hercule », lancée en 2019, est portée par la direction d’EDF, elle-même poussée par le gouvernement. Elle vise à scinder le groupe en trois parties : EDF Bleu, une entité publique, rassemblerait les activités nucléaires ; EDF Vert, côté en Bourse et ouvert aux capitaux privés à hauteur de 35 %, regrouperait la vente d’électricité, les énergies renouvelables et le distributeur Enedis ; EDF Azur, enfin, concentrerait les barrages hydroélectriques.
A l’origine de ce colossal projet, on trouve la lente et incertaine négociation menée, à Bruxelles, par le gouvernement français. En échange de ce projet « Hercule », l’exécutif espère, en effet, convaincre la Commission européenne de revoir le mécanisme appelé Accès régulé à l’énergie nucléaire historique (Arenh). « Ce poison », selon Jean-Bernard Lévy, PDG d’EDF, oblige l’entreprise, surendettée et fragile financièrement, à vendre, à prix fixe, une part de sa production à ses concurrents.
A Penly, la CGT milite, elle aussi, pour la suppression de ce dispositif, mais « en tordant le bras » à Bruxelles. « Et non pas par le biais de ce projet, synonyme de perte de souveraineté en matière énergétique, assène Nicolas Vincent, de la CGT. Une puissance étrangère qui prendrait le contrôle pourrait dicter ses conditions… » Le maintien annoncé du parc nucléaire dans le giron public ne les satisfait pas pour autant. « Car ils oublient de dire que le financement du parc se fait grâce à la vente d’électricité. Si elle passe au privé, qui va payer ? Le contribuable », estime, pour sa part, Sylvain Chevalier, secrétaire CGT du comité social et économique à Paluel.
« Un saucissonnage opéré en catimini »
Les syndicats peuvent compter sur le soutien d’un arc politique allant du Parti communiste à Europe Ecologie-Les Verts, en passant par le Parti socialiste et Les Républicains. Jeudi, seuls des élus de gauche – dont trois candidats putatifs aux prochaines élections régionales en Normandie – étaient présents devant la centrale de Penly. Critiquant « un saucissonnage effectué en catimini » et anticipant « un impact sur le prix pour l’usager », Sébastien Jumel, député PCF de Seine-Maritime, s’interroge sur « la nature du deal » négocié avec Bruxelles : « Comment garantir le caractère intégré de l’entreprise ? Comment s’assurer que les filiales d’EDF ne se concurrenceront pas entre elles ? Personne ne nous répond. »
Pour Eric Coquerel, député La France insoumise de Seine-Saint-Denis, ce projet « ne vise qu’à socialiser les pertes et privatiser les profits ». Et d’appeler, au contraire, « à la création d’un grand pôle public de l’énergie ». La vice-présidente socialiste de la Métropole Rouen-Normandie, Mélanie Boulanger, voit, elle, dans le projet « Hercule » un facteur d’inégalités : « Nous n’aurons plus accès à l’énergie dans les mêmes conditions, où que l’on habite, et sept jours sur sept. »
Tous espèrent « faire plier le gouvernement », en sachant le temps compté. Selon Sébastien Jumel, l’exécutif voudrait en effet « accélérer le calendrier » et aurait, à l’en croire, ciblé « une fenêtre de tir pour mettre en œuvre son projet entre l’été et l’automne ».