Dominique Méda : « La réforme de la fonction publique va affaiblir considérablement l’administration en la rendant dépendante du pouvoir politique »
Au moment même où la légitimité et le bien-fondé de l’intervention de l’Etat n’ont jamais été aussi évidents et où le nouveau président des Etats-Unis apporte une contribution majeure à une forme de rupture avec le néolibéralisme, le président de la République française vient de décider de porter à la fonction publique un inquiétant coup d’estoc.
Selon le discours qu’il a prononcé le 8 avril et le projet d’ordonnance en cours, il ne s’agit en effet pas seulement de supprimer l’Ecole nationale d’administration (ENA), bouc émissaire tout trouvé dans une période difficile, et trophée habilement agité devant les populistes de tout poil, mais surtout de mettre en œuvre la « fonctionnalisation » de nombreux postes (notamment de trois inspections générales interministérielles chargées d’importantes missions de contrôle) : les agents concernés devront passer continuellement d’un emploi à durée limitée à un autre, en étant étroitement subordonnés à l’autorité hiérarchique qui les y aura nommés.
C’est une augmentation considérable du nombre d’emplois mis ainsi à la main du pouvoir politique. Ils ne disposeront plus, en effet, des marges d’indépendance qui leur permettaient non seulement de rédiger des rapports (parfois critiques) sur les politiques publiques ou sur les pratiques de l’administration, des associations ou du secteur privé (on pense au rapport de l’inspection générale des affaires sociales sur le Mediator, en 2011), mais aussi de disposer du recul et du temps nécessaires pour en proposer de meilleures.
Démocratiser l’ensemble des grandes écoles
Cette réforme, mise à l’agenda en urgence, va ainsi contribuer à affaiblir considérablement l’administration, en la rendant plus dépendante du pouvoir politique, et ce, alors qu’il existe un risque majeur que l’extrême droite arrive au pouvoir. En 1946, le statut des fonctionnaires avait pourtant été précisément conçu en réaction à celui imposé par le régime de Vichy, pour organiser la professionnalisation, l’indépendance et la protection de la fonction publique contre l’arbitraire du politique.
Si un certain nombre de critiques portées contre l’ENA et les hauts fonctionnaires sont parfaitement justifiées, il serait tout à fait possible d’y répondre sans prendre de tels risques.
« Oui, certains “grands” corps sont des lieux de pouvoir exorbitant. Il suffirait d’encadrer voire d’interdire le pantouflage, redonnant au métier de fonctionnaire sa vocation première : le service de la collectivité »
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