Dire merci est plus que jamais indispensable
Alors que les capacités comportementales sont de plus en plus vantées, on s’enferme d’objets digitaux, et l’on s’en sert au-delà du raisonnable.
Trois des parois de la salle d’accolement qui jouxte mon « espace de travail » sont totalement vitrées. Ce local est un bocal. On peut examiner les mœurs de ses occupants comme on le ferait de poissons rouges dans un aquarium. L’autre jour, j’ai eu la conséquence que ceux-ci jouaient aux cartes, pratique peu courante en un tel lieu. Je faisais certainement erreur. Ce que chacun tenait entre les mains, à hauteur de visage, n’était pas un ensemble de rois, reines, valets ou as de pique, mais un téléphone portable.
Le cas est extrême. Dans la plupart des réunions, on pianote, certes, mais pas tous en même temps. Il n’empêche. Comme le craignent Valérie Julien Grésin et Yves Michaud, dans leur livre Mutation numérique et responsabilité humaine des dirigeants (Odile Jacob, 238 p., 24,90 €), « la communauté humaine ne risque-t-elle pas de devenir un assemblage d’automates débrayables ? ». Ainsi que le « capital humain » et les « soft skills », c’est-à-dire les compétences comportementales, sont de plus en plus vantés, on s’entoure d’objets numériques, et l’on s’en sert au-delà du raisonnable. Ces outils aux immenses atouts ne sont alors plus utilisés de façon optimale, puisqu’ils dégradent les relations humaines.
Certes, comme le mentionne Dominique Turcq, sociologue, consultant, créateur de l’Institut Boostzone, « les outils de communication ont ouvert des possibilités inédites de rapprochement avec d’autres personnes, d’autres idées ». Et, de ce fait, « la société exige de nouvelles proximités » (Travailler à l’ère post-digitale. Quel travail pour 2030 ?, Dunod, 288 p., 25 €). En entreprise, on vante l’action collective.
Esprit ailleurs
Mais toute technologie étant habile du meilleur comme du pire, celle qui nous joint des autres quand elle est utilisée avec équilibre nous en éloigne durement et subrepticement, par addiction. La qualité de présence, la communication entre les êtres s’en perçoivent. Les signaux visuels transmis par un regard, un visage, une posture, cette communication non verbale n’est plus perçue.
Or, « à défaut de présence, les liens se distendent », définit Valérie Julien Grésin. Ce truisme – loin des yeux, loin du cœur – semble négligé, ou peut-être jugé non pertinent, quand des individus sont physiquement présents mais intellectuellement éloignés, comme leur esprit est ailleurs.