Derrière le mirage de l’entrepreneuriat, la réalité des patrons sous le smic

Derrière le mirage de l’entrepreneuriat, la réalité des patrons sous le smic

Côté pile, Carlos Tavares, PDG de Stellantis, et ses 36,5 millions d’euros de rémunération annuelle en 2023. Côté face, des milliers de « petits patrons » débutants ou confirmés, à la tête de commerces ou d’entreprises individuelles, qui se paient au smic, voire moins. Comme Nelly Bouet, 42 ans, propriétaire d’un café-restaurant près de Vichy (Allier). Dans le brouhaha de l’établissement, sa voix est empreinte d’une colère mêlée de fatalisme. « Avant de m’installer ici, en 2018, je faisais de la gestion de patrimoine, témoigne-t-elle. J’ai voulu arrêter afin de ne plus sillonner la France pour aller voir les clients, je voulais travailler pour moi, ne plus courir après le pognon. » Mauvais pari. « Aujourd’hui, je suis au-dessus du seuil de pauvreté, et en dessous du smic », grince-t-elle.

La pandémie de Covid-19 et les changements de mode de vie qu’elle a cristallisés ont fait plonger son café-restaurant. « Jusqu’en 2020, tout allait très bien. J’avais une clientèle de personnes âgées qui venaient déjeuner ici pour rompre leur solitude et ne pas avoir à faire la cuisine. Depuis la crise liée au Covid-19, les municipalités ont passé des contrats avec des sociétés qui leur livrent leurs repas tout prêts, à des prix défiant toute concurrence. D’un côté, ils isolent nos anciens, de l’autre, mon chiffre d’affaires a plongé. » La restauratrice, qui a cinq enfants, dont trois à charge, ne s’en sort plus, malgré une gestion drastique. « Je n’ai plus de salariés, je ne prends que des extras. J’ai supprimé la carte bancaire et tous les faux frais. Je trime durement pour essayer de m’en sortir, mais ça devient fatigant de travailler pour survivre. »

Francine Morand, elle, est gérante de six auto-écoles dans l’Ain, et emploie quinze personnes. La concurrence et l’augmentation des charges l’ont obligée à diminuer sa rémunération de 30 % depuis 2019. « Cela fait trente-cinq ans que je suis à mon compte, je travaille de 8 heures à 19 heures, tous les samedis matin, et à la fin du mois je gagne entre 1 500 et 2 000 euros, expose cette sexagénaire. Je n’ai pas l’espoir de mieux me payer, je suis résignée. » A cinq ans de la retraite, elle pourrait envisager de vendre son fonds de commerce, car elle n’est pas propriétaire des murs. « Mais, dans cette activité, ça se vend une misère. La clientèle n’a pas de valeur, les gens changent d’auto-école comme de chemise. »

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Selon une enquête menée par la Confédération des petites et moyennes entreprises en début d’année, un patron de très petite entreprise (TPE) ou de petite ou moyenne entreprise (PME) sur cinq se paie moins de 1 400 euros, soit moins que le smic, qui s’élevait à 1 398,69 euros net au 1er janvier. Un petit tiers (31 %) se paie entre 1 400 et 2 600 euros – ce qui correspond au salaire moyen dans le secteur privé en 2022, selon les chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques. Un quart d’entre eux gagne entre 2 600 et 4 000 euros net, et un quart, plus de 4 000 euros mensuels.

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