Dans les campagnes de Sologne et de Touraine, une agriculture au goût bulgare
ReportageSans la main-d’œuvre bulgare, la fraise du Loir-et-Cher et la vigne d’Indre-et-Loire seraient moribondes. A la tête d’une armada de saisonniers, une poignée de recruteurs font jouer leurs réseaux pour satisfaire les attentes de dizaines de producteurs locaux.
« Pour cueillir une fraise sans l’abîmer, il faut laisser glisser la tige entre les doigts pour que le fruit tombe tout seul dans le creux de la main. C’est un travail délicat, pour les femmes », affirme Djimi Bektashev, 30 ans, ancien saisonnier devenu agent de 260 travailleurs bulgares, souvent des familles acheminées par bus, qu’il déploie à travers le Loir-et-Cher. Jusqu’à la mi-juin, les voici au service d’une demi-douzaine de producteurs de fraises parmi les quarante-deux du département. Presque tous ont recours à une main-d’œuvre étrangère, soit bulgare, soit nord-africaine, payée au salaire minimum.
Entre Montlivault et Saint-Claude-de-Diray, près d’un bac permettant aux touristes à vélo de traverser la Loire, on peut voir ces jeunes femmes en nage, un fichu sur le crâne, accroupies dans des serres de plastique interminables, chauffées à blanc par le soleil. Quand le thermomètre atteint les 30 °C à l’extérieur, la température sous serre dépasse allègrement les 45 °C. « Ces dernières semaines, à cause des fortes chaleurs, j’ai accompagné quelques dames aux urgences de Blois. Elles ont fait des malaises et ont perdu leur journée », déplore Djimi.
L’hiver, ses troupes s’activent dans les champs de tabac des montagnes pauvres de Blagoevgrad, dans le sud-ouest de la Bulgarie, pour 400 euros par mois. En France, après quelques écueils, Djimi préfère ne plus se mêler des contrats de travail : « Je laisse les déclarations à l’employeur. C’est sa responsabilité. » Cependant, il reste vigilant : « [En 2021], j’ai fourni cinquante personnes à une grosse exploitation de fraises. Au bout de trois mois, aucun n’avait été payé, alors je suis allé voir l’inspection du travail… J’étais dans leur bureau depuis dix minutes, dans l’attente de mon rendez-vous, qu’un premier paiement était réalisé. Cet exploitant a le bras long, comme vous dites en France. »
Djimi travaille en solo, sans secrétaire ni rabatteur : les ouvriers le contactent par le biais de Facebook et d’Instagram. Il s’arrange ensuite pour trouver des gîtes où les héberger, autour de 500 euros par mois et par famille. Au client, Djimi facture 140 euros de commission par mois et par travailleur, auquel il ajoute 120 euros de frais de transport. « [En 2022], on a augmenté le tarif du bus à cause du prix du gazole. »
« C’est très dur physiquement »
Le département est touché par une pénurie de travailleurs saisonniers venus du Maroc. Sans raison précise, les visas sont délivrés au compte-gouttes et beaucoup trop tard : la ferme des frères Hermelin, à Cour-Cheverny, n’a pour l’instant obtenu que douze ouvriers sur ses vingt-quatre habituels. « Des personnes qu’on salarie quatre mois, pour la fraise puis le cornichon, et qui n’ont aucun problème à se loger grâce à leurs liens familiaux », souligne Stéphane Hermelin.
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