« C’est beau, mais ça paie pas » : à Limoges, l’usine J. M. Weston peine à recruter
Fragments de FranceLe fabricant de chaussures de luxe n’arrive pas à remplacer les salariés qui partent à la retraite. Son unique site de production, en Haute-Vienne, emploie 140 artisans, dans des métiers réputés exigeants et peu rémunérateurs.
Il est 16 heures. La sirène de débauche a retenti. Les 140 artisans de la manufacture de chaussures J. M. Weston, située à Limoges, ont éteint leurs machines, donné un coup de balai sous leur table de travail, déposé leur blouse au vestiaire et rejoint le parking. Michael Frangne, lui, est toujours à son poste. Il ponce l’arête de semelles et de talons de bottes cavalières. Tous les jours, une semaine sur deux, il effectue une heure supplémentaire. « Parce que j’ai personne pour fraiser », explique ce responsable de secteur.
S’il ne le fait pas, « les collègues n’auront pas de paires à talonner, demain », précise-t-il. Le poste de fraiseur est à pourvoir depuis le printemps. Lundi 13 septembre, un intérimaire s’est présenté pour une mission de remplacement. « En fin de journée, il avait l’air content », se souvient M. Frangne. Mais, le lendemain, il n’a pas « rembauché » et « a averti les RH [les responsables des ressources humaines] » qu’il ne reviendrait pas parce que ses tâches « demandaient trop de précision », dit-il, en soupirant. M. Frangne dit « ne pas comprendre » et regrette que cet intérimaire ne le lui ait pas parlé « en face », parce qu’« il l’aurait rattrapé pour un autre poste ».
La marque de chaussures de luxe est confrontée à un problème d’embauche dans son unique site de production, situé depuis 1989 dans la zone industrielle nord de Limoges. Le personnel est vieillissant. « 45 % des artisans ont plus de vingt ans d’ancienneté », observe Gaël Coeuret, le nouveau directeur de la manufacture. La moyenne d’âge dans l’entreprise est de 48 ans. En 2020, neuf salariés sont partis à la retraite. Cette année, ils seront douze.
Weston, filiale du groupe EPI, détenu par la famille Descours, fondatrice de l’ex-Groupe André, a anticipé ces départs en formant plusieurs de ses ouvriers du cuir, mais cela reste insuffisant. Les spécialistes de la chaussure manquent à l’appel. Or fabriquer une paire de chaussures Weston exige 150 à 200 étapes et mobilise des dizaines de personnes.
Certains postes requièrent « des mois, voire des années de formation », rapporte M. Coeuret. Une mécanicienne doit savoir « tenir une ligne droite sur un tracé », mais aussi maîtriser « les arrondis, les parallèles », détaille Micheline Mathé, chef d’atelier de la couture. Et piquer une peau de veau ne pardonne pas. « On n’a pas le droit à l’erreur », puisque « dans le cuir, un trou, c’est un trou, contrairement au textile, où on peut défaire une couture et la refaire », note Deborah Ballage, en poste depuis presque cinq ans. « Il faut aimer la difficulté, la minutie », ajoute sa voisine, Sylvie Pithon, 56 ans. Lors des semaines d’immersion en entreprise proposées par Pôle emploi, seuls « deux candidats sur dix » réussissent les tests de dextérité, remarque Mme Mathé. Et les candidats font défaut.
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