Pourquoi les négociations sur les salaires sont de plus en plus compliquées dans les entreprises

« Avec le métier qu’on fait, on ne devrait pas avoir à râler », soupirent en chœur des ouvriers du bâtiment devant leur entreprise Demathieu Bard Ile-de-France, à Chevilly-Larue (Val-de-Marne). En ce glacial lundi 20 janvier, ils sont entrés en grève pour protester contre la faiblesse des augmentations proposées par leur direction dans le cadre des négociations annuelles obligatoires (NAO), + 1 % selon leurs délégués syndicaux.

Interrogée, l’entreprise a refusé de communiquer des chiffres, tout en disant veiller « à mettre en œuvre une politique salariale équitable ». « C’est un métier pénible : dans la pluie, dans le froid, on est dehors pour bosser, même quand, comme aujourd’hui, il fait 0 degré, fait valoir l’un d’eux, âgé de 40 ans. Et c’est dangereux, ajoute-t-il, en montrant sa main. Ce doigt-là, je me le suis coupé, on me l’a recollé ! Et, malgré tout, il faut encore cesser le travail pour essayer de ne pas perdre d’argent avec l’inflation ? » Elle a atteint, en décembre 2024, 1,3 % sur un an, selon l’Insee, qui prévoit 1 % en juin 2025.

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Croissance : le décrochage européen par rapport aux Etats-Unis se confirme

L’une des usines de l’aciériste HKM, à Duisburg (Rhénanie-du-Nord-Westphalie), le 13 août 2024.

Le décalage est vertigineux. En 2024, l’économie américaine a crû de 2,8 %, un chiffre plus de trois fois supérieur à celui enregistré en zone euro (0,7 %) et dans l’Union européenne (0,8 %), selon les données officielles publiées des deux côtés de l’Atlantique, jeudi 30 janvier. Un fossé confirmant le décrochage du Vieux Continent observé depuis plusieurs années, et décrit avec vigueur par Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne, dans un rapport rendu en septembre 2024.

Aux Etats-Unis, la plupart des indicateurs sont au vert. En 2024, le taux de chômage reste très bas, à 4,1 %, contre 6,3 % en zone euro. L’inflation y était encore à 2,9 % en décembre 2024, chiffre jugé encore trop éloigné de l’objectif des 2 % de la Réserve fédérale (Fed). C’est notamment pour cela que son président, Jerome Powell, a décidé de laisser ses taux inchangés, à 4,2 % mercredi, après les avoir baissés d’un point fin 2024. Il n’empêche : la Fed et les Etats-Unis ont réussi à faire ce que la plupart des observateurs jugeaient quasi impossible : juguler l’inflation, qui s’était envolée jusqu’à 9,1 % en juin 2022, sans faire remonter excessivement le chômage, ni passer par la case récession. Les économistes appellent cela un atterrissage en douceur, prouesse déjà réalisée seulement au milieu des années 1990.

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Au Sénégal, des milliers de candidatures pour 350 postes de travailleurs agricoles en Espagne

Des travailleurs agricoles dans un champ d’oliviers à Ronda, en Espagne, le 28 novembre 2015.

La frénésie a gagné tout le pays, de Saint-Louis (nord) à Kaolack (centre est), et jusqu’à Ziguinchor, en Casamance. Deux jours durant, lundi 27 et mardi 28 janvier, les bureaux d’accueil, d’orientation et de suivi ont été pris d’assaut, dès leur ouverture au petit matin, par des milliers de Sénégalais brandissant leurs CV, en quête d’un emploi en Europe.

Ces bureaux, rattachés aux quatorze agences régionales de développement, ont été chargés par l’Etat de réceptionner les candidatures dans le cadre du programme de migration circulaire renouvelé entre le Sénégal et l’Espagne. L’accord prévoit que pour 2025, 350 emplois de travailleurs agricoles en Espagne soient ouverts aux Sénégalais. Ils n’étaient que 100 en 2024.

La mesure a toutefois été victime de son succès. Pour la seule journée de lundi, 10 000 candidatures ont été déposées sur l’ensemble du territoire, selon le secrétariat d’Etat aux Sénégalais de l’extérieur chargé du dossier. Elles étaient 5 000 pour la seule ville de Dakar. Submergé, le même secrétariat a indiqué, mardi après-midi, dans un communiqué que, « pour des raisons de sécurité », les dépôts de dossiers « se poursuivront désormais à travers une plateforme numérique dédiée ».

« Grand désespoir de la jeunesse »

« Cet engouement traduit le grand désespoir de la jeunesse sénégalaise, minée par un chômage endémique », observe Abdoulaye Ngom, enseignant-chercheur en sociologie à l’université Assane-Seck de Ziguinchor. D’après l’Agence nationale de la statistique et de la démographie, le chômage atteint 20,3 % au troisième trimestre 2024, en hausse de 0,8 point par rapport à l’année précédente. Et le nouvel exécutif, installé en mars 2024, n’a pour l’instant pas instauré de mesure concrète pour endiguer le chômage, en dépit de ses promesses de « transformation systémique du pays ».

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Le programme de migration circulaire conclu avec l’Espagne en 2021, et renouvelé en août 2024 lors de la venue du premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, à Dakar, n’a rien d’inédit. Des accords similaires ont été signés avec l’Arabie saoudite, le Koweït ainsi que la France, sous les présidences d’Abdoulaye Wade (2000-2012) puis de Macky Sall (2012-2024). Face aux nombreux morts en mer et à l’afflux de migrants sur l’archipel espagnol des Canaries – près de 47 000 personnes y ont débarqué depuis les côtes ouest-africaines en 2024 –, cet accord vise à « garantir des mouvements migratoires sûrs, ordonnés et réguliers », selon le ministère espagnol du travail.

Pour cela, encore faudrait-il que le programme cible les candidats à l’émigration clandestine. Ces 350 contrats de travailleurs agricoles en Espagne sont officiellement destinés aux citoyens sénégalais âgés de 25 à 55 ans, sans considération de diplôme ni de niveau d’étude. Il s’agit de contrats à durée déterminée de trois mois, renouvelables, pour des missions de cueillette et de conditionnement de fruits.

« Gages de retour »

« Depuis les premiers accords de migration circulaire en 2006, il n’y a jamais eu de transparence dans la méthode de sélection des travailleurs », dénonce Moustapha Fall, président de l’Association nationale des partenaires migrants, qui a son siège à Mbour, ville de départ de nombreuses pirogues. Selon lui, beaucoup de ces postes auraient été par le passé « accaparés par des militants politiques », sans préciser qui et à quelle fin.

Le secrétariat des Sénégalais de l’étranger promet que la gestion des demandes sera désormais moins opaque. « C’est d’ailleurs parce que nous avons été transparents sur l’appel à candidature qu’il y a eu un tel engouement », assure le secrétaire d’Etat Amadou Chérif Diouf. Reste que, selon le chercheur Abdoulaye Ngom, l’ambition du programme d’endiguer l’émigration clandestine est « une utopie », au regard du ratio entre les milliers de candidats au départ et le nombre « dérisoire » de postes ouverts en Espagne.

Selon le secrétariat des Sénégalais de l’extérieur, d’autres initiatives du même ordre seraient à l’étude avec la Belgique et le Japon, avec des cohortes plus importantes. « Mais pour cela, nous devons donner des gages de retour des candidats retenus, sinon on ne peut pas parler de migration circulaire », ajoute le secrétaire d’Etat, qui espère atteindre le niveau du Maroc, qui envoie chaque année près de 10 000 travailleurs agricoles en Espagne. En 2024, le taux de retour officiel des Sénégalais issus du programme était de 65 % ; en 2019, il était de 40 %.

En visite au Qatar, le 21 janvier, le ministre du travail, de l’emploi et des relations avec les institutions, Abass Fall, a en outre annoncé avoir obtenu un millier de perspectives d’emploi pour des Sénégalais dans ce pays, dans les secteurs des technologies, des sciences, de la médecine et de la logistique. L’accord date en réalité de 2014, mais il n’avait jamais été mis en œuvre. Dans l’opposition et la société civile, de nombreuses voix se sont élevées, interrogeant le bien-fondé pour le Sénégal de laisser partir des scientifiques, des médecins et des ingénieurs, alors que le pays en manque cruellement.

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Tension sociale dans une filiale de la Banque de France après un suicide

Un cas de suicide pèse depuis plusieurs semaines sur le climat social d’une filiale de la Banque de France, neuf mois après la présentation au comité économique et social central du groupe d’un rapport d’expertise mettant en cause l’impact social de la restructuration de ses activités après un suicide et une tentative de suicide parmi les salariés.

Le regain de tension touche le site de Vic-le-Comte (Puy-de-Dôme), qui fournit l’imprimerie historique du groupe à Chamalières et une trentaine de clients étrangers en papiers sécurisés pour l’impression de billets et de documents sécurisés. Ce site est exploité par la société EuropaFi, issue d’une filialisation de l’activité de papeterie industrielle en 2016.

Un agent de maîtrise du service de maintenance électrique de Vic-le-Comte a mis fin à ses jours en novembre 2024. S’il n’a laissé aucun écrit permettant d’établir un lien entre son suicide et ses conditions de travail, la CGT, majoritaire sur le site, souligne qu’il avait mis en cause à plusieurs reprises ces dernières années les difficultés rencontrées dans son travail en évoquant la « mauvaise ambiance au service » ou encore « l’impression de faire trois métiers ». Il avait déposé une demande de changement de poste, avant d’y renoncer.

De son côté, la CGT déclare avoir alerté la direction sur la situation qu’elle jugeait « inquiétante » du service de maintenance en évoquant un « mal-être » et des tensions « palpables au quotidien ».

Un expert extérieur

Après le suicide de ce salarié, le CSE a désigné le 19 décembre 2024 le cabinet spécialisé Technologia pour mener une expertise concernant « l’ensemble du périmètre d’EuropaFi » sur « l’augmentation des risques psychosociaux (RPS) », des « problèmes au service maintenance » et un « manque criant d’actions sur la prévention des RPS ».

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Mais la direction de l’entreprise, qui était prête à l’ouverture d’une enquête interne paritaire, conteste à la fois le bien-fondé de l’expertise et les conditions dans lesquelles elle a été décidée par le CSE. Lors de l’audience du 28 janvier au tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand, elle a réfuté les arguments avancés par le CSE pour caractériser l’existence d’un « risque grave, identifié et actuel », qui justifie, selon le code du travail, le recours à un expert extérieur à l’entreprise. Elle a reçu des manifestations de soutien des parents du défunt.

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