L’aliénation des cadres sportifs aux fédérations
« Il est hors de question de supprimer ces postes. » Questionnée mardi 9 avril, la ministre des sports, Roxana Maracineanu, a, à une autre foi, essayer de rassurer les conseillers techniques sportifs (CTS). Depuis la demande de Matignon à son ministère, en septembre 2018, de supprimer 1 600 postes d’ici à 2022 en ciblant ces cadres d’État, caractéristique et rouage du modèle sportif français, le monde du sport français s’inquiète.
Une « lettre blanche » du ministère des sports, confirmant des informations du Parisien, nous montre le futur de ces « chevilles ouvrières du sport français », comme ces cadres sportifs sont souvent qualifiés : ils devront passer graduellement, et sur la base du volontariat, sous la tutelle des différentes fédérations d’ici à 2025, leur détachement devenant ensuite obligatoire.
L’équipe de Roxana Maracineanu insiste sur le fait qu’il s’agit là d’un document de travail, non encore approuvé par la ministre, qui projette des « perspectives de travail » sur « un modèle qui va être réformé ». Mais les grandes lignes de l’évolution espérée par le gouvernement, à savoir un désengagement de l’Etat dans le fonctionnement du sport français, sont là. Tour d’horizon de ce qui se prépare.
Quand on parle de CTS, de quoi et de qui s’agit-il ?
Qu’ils soient directeurs techniques nationaux, entraîneurs nationaux ou conseillers techniques nationaux et régionaux, les 1 600 CTS garantissent la mise en place des politiques publiques dans le domaine de l’éducation, l’assimilation, la lutte contre le dopage…
Quel est le projet du gouvernement ?
« La réforme que j’engage va vers une plus grande autonomie des fédérations et une plus grande responsabilité des résultats sportifs qu’elles mettent en place, a résumé Roxana Maracineanu, mardi. Mais aussi qu’elles soient responsables des plans de développement des politiques sportives. »
« Ces 1 600 cadres techniques, actuellement fonctionnaires d’État mis à disposition des fédérations gratuitement, on a envie qu’ils deviennent des cadres techniques au service des fédérations », a déclaré Mme Maracineanu. Ils « ne perdront pas leur statut » [de fonctionnaire], insiste-t-on au ministère.
Par contre, en cessant progressivement d’être payés par l’Etat pour le devenir en majorité par les fédérations, les CTS permettront à la ministre de respecter « l’engagement présidentiel de réduire de 50 000 le nombre d’agents publics sur le périmètre de l’Etat et de ses opérateurs », comme le mentionné, à l’été 2018, la lettre de cadrage de Matignon.
Comment le détachement des CTS vers les fédérations va-t-il s’opérer ?
Un « détachement d’office immédiat » de ces agents du ministère vers les fédérations sportives « est écarté au profit d’une mise en œuvre progressive et sur la base du volontariat », précise le document de travail du ministère.
Si la réforme devrait rapidement être lancée, le ministère cible 2025 – après les Jeux olympiques de Paris 2024 – comme date butoir où « le détachement d’office sera mis en place ». Il fixe un chiffre de 50 % des CTS « détachés » dans les fédérations d’ici à 2025.
Un rapport de l’inspection générale de la jeunesse et des sports, remis en novembre 2018 à Roxana Maracineanu, avait recommandé « d’écarter tout scénario de rupture » immédiate, « dans le contexte de la préparation des équipes de France aux JOP [Jeux olympiques et paralympiques] de Tokyo 2020 et de Paris 2024 ».
Fer de lance de la contestation depuis septembre 2018, l’Association des directeurs techniques nationaux (ASDTN) dénonce ce qu’elle qualifie de « campagne de détachements sauvages vers les fédérations sportives ».
Le Syndicat national des activités physiques et sportives (Snaps), s’insurge que « le scénario de démantèlement du service public du sport et de son ministère semble poursuivre sa route en dépit des belles déclarations de la ministre lors de son audition » à l’Assemblée nationale.
Insistant sur la nécessaire « pédagogie autour de la réforme » auprès « d’agents et de présidents de fédérations ne connaissant pas parfaitement la position de détachement », la lettre blanche prévoit des réunions avec le comité olympique (CNOSF) et l’association des DTN avant la formalisation de la réforme.
En parallèle, « une négociation sera menée avec deux ou trois fédérations partenaires qui seraient prêtes à s’engager de manière volontariste dans le projet de réforme », prévoit la lettre blanche.
Les fédérations seront-elles accompagnées financièrement ?
L’ASDTN alerte sur « les dangers et surcoûts évidents de ces détachements » pour les fédérations.
Le projet prévoit que les « fédérations pilotes » pourront bénéficier de « modalités de compensation particulières au moins pour la première période de 5 ans ». Plusieurs candidates se sont fait connaître, selon le ministère, qui, à ce stade, n’en dévoile pas l’identité.
Certaines grosses fédérations sont en mesure d’assumer le poids financier d’une telle réforme et y aspirent, « demandeuses » selon le ministère de « récupérer le lien hiérarchique sur ces agents ».
Récupérer la tutelle des cadres d’Etat est le rêve de certains dirigeants fédéraux, qui deviendraient les uniques patrons de leurs directeurs techniques nationaux et entraîneurs de haut niveau.
D’autres fédérations, de sports moins médiatiques et moins à même d’attirer des sponsors, redoutent de ne pouvoir faire face à ces nouvelles dépenses.
Une compensation « pondérée en fonction de critères d’autonomie financière des fédérations » est prévue par le ministère et sera versée jusqu’en 2025. Le montant de cette aide sera estimé par un cabinet extérieur, afin de « garantir l’objectivité du résultat ».
Que se passera-t-il après 2025 ?
Cette date de péremption attise les critiques. L’ASDTN estime qu’elle marquera la « suppression de l’encadrement public du sport, alors que le détachement des cadres et sa compensation ne seront garantis que cinq ans et qu’ensuite un détachement obligatoire massif sans compensation s’appliquerait. »
« L’idée de la compensation n’est pas qu’elle s’arrête en 2025 », rétorque-t-on au ministère des sports, accusant les DTN d’agiter un chiffon rouge.
Bientôt employés par les fédérations, les futurs ex-CTS se concentreront-ils sur le seul haut niveau ou pourront-ils aussi poursuivre leurs activités moins rentables (en matière d’éducation, santé…) ? Sur ce point, la lettre blanche demeure muette.
A 5 heures, mardi 9 avril, une partie des travailleurs de la rédaction digitale d’Europe 1 n’a pas éclairci ses ordinateurs, mais a restauré sur ses écrans sept feuilles blanches pour écrire « En grève ». L’issue de cesser le travail pendant 24 heures, mûrie durant le week-end, est appuyée par l’intersyndicale SNJ-CGT-CFTC.
#GreveE1fr : la rédaction numérique combat contre la #précarité à @Europe1 https://t.co/Y4l7YJevpy
— MartheRonteix (@Marthe Ronteix)
A l’origine de ce déplacement, le statut aléatoire d’une large partie de la narration numérique, un état de fait annulé de longue date par les équipes, qui sollicitent une acceptation des pigistes. Sur 30 journalistes, 14 sont utilisés sous ces contrats journaliers, ces journalistes travaillant « pour la grande majorité à temps plein depuis trois ans », regrette une gréviste, elle-même dans ce cas. Dans un sentiment, l’intersyndicale souligne qu’« ils remplissent les tableaux de service du 1er janvier au 31 décembre, sont à leur poste chaque jour de 5 heures à 23 heures, assurent une veille constante de l’actualité, enrichissent le traitement de l’info sur l’antenne par leurs analyses et leurs dossiers ».
Le réaménagement futur de la dissertation numérique inquiète pareillement, alors que la radio est déficitaire et soumise à un plan d’économies. Ce projet a été annoncé par la direction de la station, le 23 janvier, mais il n’a toujours pas été présenté. Cela fait craindre aux journalistes une « contraction » de leurs effectifs pour admettre à Europe 1, dont les audiences ne cessent de régresser depuis près de trois ans, de diminuer sa masse salariale.
Malgré les nombreuses explications demandées par la rédaction, le flou persiste. « Ce plan devait être présenté en détail fin février, mais on n’en sait constamment pas plus, déclare un pigiste. L’ambiance est pesante, on ne sait pas de quoi notre avenir sera fait. » Le contenu éditorial suscite les demandes. « Est-ce qu’on sera une simple vitrine de la radio ou un vrai site d’information », se questionne un journaliste. Dans une position, l’intersyndicale a demandé « à la direction d’apporter au plus vite la réponse que les [salariés indûment employés en contrats précaires] attendent, aussi bien sur la recyclage de leurs contrats que sur la clarification de la stratégie numérique de l’entreprise ». « C’est un combat que nous menons depuis des années », déclare Olivier Samain, délégué du Syndicat national des journalistes (SNJ) à Europe 1.
Fréquentée, la direction n’a pas convoité s’exprimer. En novembre 2018, le vice-PDG d’Europe 1, Laurent Guimier, avait développé vouloir engager la radio dans un nouveau modèle prenant en compte à la fois l’antenne traditionnelle, dite « linéaire », mais aussi les enceintes connectées et les podcasts avec l’ambition de être le « numéro un de la production audio pour le numérique ».
En 2017, le directeur d’Europe 1 de l’époque, Denis Olivennes, interpellé par les représentants syndicaux, avait lancé une vague de titularisations, portant d’abord sur 22 travailleurs, puis ensuite sur 30. Mais, accentue M. Samain, « il y a des endroits de l’entreprise, comme la rédaction numérique, où ce courant de CDIsation n’est pas passé ».