Retraites : un ans et demis de « débat» au goût d’inachevé

Un « sentiment d’inutilité » existe chez les partenaires sociaux qui font cette semaine une dernière série de réunions avec Jean-Paul Delevoye.

La fin du premier chapitre arrive. Depuis le lundi 6 mai et jusqu’au vendredi suivant, Jean-Paul Delevoye effectue une dernière série de meeting avec les partenaires sociaux sur le débat de la réforme des retraites. Le haut-commissaire qui s’occupe de ce chantier titanesque parachève ainsi une concertation ouverte durant l’automne 2017. A l’ordre du jour des ultimes rendez-vous : la « transition entre l’emploi et la retraite » et les « nouveaux droits en faveur des jeunes et des aidants ».

Les ordonnances d’employeurs et de salariés, au terme de ce long exercice, s’écoutent au moins sur deux points : M. Delevoye leur a octroyer une attention très forte, et les débats virent d’une grande tenue. Frédéric Sève (CFDT) parle d’un processus « de qualité qui a permis de mettre les sujets sur la table ». « Nous avons pu bien travailler lors des rencontres bilatérales, avec des documents qui nous étaient remis plusieurs jours à l’avance, ajoute Pascale Coton (CFTC). Il fallait bien un an et demi pour arriver à un tel projet puisqu’il s’agit de faire converger quarante-deux régimes. »

« Nous avons pu faire le point sur le système et mener des discussions intéressantes, qu’il serait bienvenu de capitaliser lors de la rédaction de la loi, en dépit des désaccords que nous pouvons avoir avec M. Delevoye », déclare Eric Chevée, de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). « Je crois qu’il n’y a pas beaucoup de personnalités qui auraient pu remplir cette mission comme il l’a fait, juge Alain Griset, président de l’Union des sociétés de proximité (artisans, commerçants, professions libérales). Il a bien compris les caractéristiques de nos adhérents. »

Des députés de la majorité, en pointe sur le dossier, se présentent encore plus apologique à l’égard du haut-commissaire. « Jean-Paul Delevoye a su voir le chemin de la pédagogie et de l’explication, ce qui était loin d’être évident », déclare Laurent Pietraszewski, élu LRM dans le Nord. « C’est quelqu’un de bienvaillant, à l’écoute et qui a ouvert toutes les portes. Sa méthode de travail est à reproduire, pour d’autres réformes », ajoute  Corinne Vignon, députée macroniste de Haute-Garonne. Présidente du Comité de suivi des retraites et en parlant à titre personnel, Yannick Moreau observe, elle aussi, que la concertation a été approfondie, et qu’elle a donné la possibilité d’approcher « de nombreux sujets avec des documents dont on peut apprécier le sérieux » : « Les personnes suivant la préparation de la réforme – en raison de leurs fonctions parlementaires ou d’expertise, ou encore de journaliste – ont, en effet, pu, après chaque étape, avoir conscience de ces documents, ce qui est rare. »

le projet de loi « pour une école de la confiance »

« Le projet, en envisageant le recours massif à des étudiants non qualifiés pour enseigner devant des élèves, est un dévoiement du principe même de la formation professionnelle. »
« Le projet, en envisageant le recours massif à des étudiants non qualifiés pour enseigner devant des élèves, est un dévoiement du principe même de la formation professionnelle. » Fotosearch / Photononstop

La réforme de la formation des enseignants est un sujet pas trop connu de la loi « pour l’école de la confiance », administrée par le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Choisie en Février, cette loi doit être vérifier en séance publique par le Sénat à partir du 14 mai.

Ce texte envisage surtout des dispositifs de « préprofessionnalisation » des étudiants se dirigeant à l’enseignement, la création d’instituts nationaux du professorat et de l’éducation (INSPÉ) venant se substituer aux actuelles écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ÉSPÉ) et le déplacement du concours, en ce moment en fin de master 1, vers la fin du master 2. Cet ensemble de mesures, dont les conditions de mise en œuvre sont encore dans un grand flou, inquiète les formateurs d’enseignants que nous sommes.

Il représente à nos yeux un danger, pour les élèves comme pour les futurs enseignants, et pourrait déclarer une profonde dévalorisation du métier. Dans sa forme actuelle, le projet, en envisageant le recours massif à des étudiants non qualifiés pour enseigner devant des élèves, est un dévoiement du principe même de la formation professionnelle. Jamais cet expédient n’avait été érigé en principe organisateur de la formation des enseignants et de l’entrée dans le métier.

De réelles compétences d’enseignant

Suivant le projet, l’emploi de milliers d’étudiants non qualifiés pour faire la classe aura lieu par deux voies : la « préprofessionnalisation », et plus encore la formation dans les INSPÉ, avant le concours d’embauche. La première concernera chaque année 3 000 étudiants, « assistants d’éducation » qui pendant trois ans à partir de la deuxième année de licence « pourront se voir confier des charges d’éducation, de pédagogie et d’enseignement », selon l’article 14 de la loi.

Dans les dispositifs d’initiation au métier d’enseignant qui existent aujourd’hui, les responsabilités données aux étudiants doivent rester en adéquation avec leurs aptitudes. Dans le projet actuel, certaines charges demanderont de réelles compétences d’enseignant sans que la responsabilité exacte des étudiants soit clairement définie : ce sont les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) et les activités pédagogiques complémentaires (APC), qui contribuent à l’acquisition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture.

Procès France Télécom 

Le mur devant lequel un salarié de France Télécom s’est immolé par le feu, le 26 avril 2011, à Mérignac (Gironde).
Le mur devant lequel un salarié de France Télécom s’est immolé par le feu, le 26 avril 2011, à Mérignac (Gironde). PATRICK BERNARD / AFP

Sept avertis, dont d’anciens directeurs de l’entreprise, se présentent à partir de lundi devant le tribunal correctionnel de Paris à la suite de la vague de suicides de salariés entre 2007 et 2010.

Au siège de France Télécom, dans le 15e arrondissement à Paris, le comité exécutif est rassemblé. Les derniers chiffres du trafic des lignes téléphoniques fixes viennent de lui être octroyés. Autour de la table, on veut croire à une erreur. Une dégringolade pareille, c’est impossible. On vérifie. « Les chiffres étaient malheureusement justes », déclare Louis-Pierre Wenes, alors président d’Orange France et numéro 2 de France Télécom.

C’était durant l’automne 2006. Durant l’été, le trafic de la voix sur Internet avait commencé. Sur le marché des télécommunications, ouvert à la compétition depuis la fin des années 1990, de nouveaux opérateurs désorganisaient la vieille maison. Le « dégroupage » imposé en 2002 par la règle européenne leur avait donné accès à la boucle locale – les bandes de fréquence du cuivre. Sur tout le territoire, la guerre s’aggravait  à coups d’innovations technologiques et de diminution des tarifs. La dette de France Télécom s’était augmenter, son chiffre d’affaires et ses marges avaient immergé.

Cette situation économique est le cœur de la défense des sept annoncés qui exposent à compter du lundi 6 mai devant le tribunal correctionnel de Paris pour riposter de « harcèlement moral » ou d’entente de ce délit, en leur qualité d’anciens membres de la direction de France Télécom.

Commencer les 673 pages de l’ordonnance de renvoi, c’est choir une liste de prénoms et de noms comme on en voit manifestés sur les monuments aux morts des villages

Entre eux, l’ancien PDG, Didier Lombard, son directeur exécutif, Louis-Pierre Wenes, et le directeur groupe des ressources humaines, Olivier Barberot, pourchassai en tant qu’auteurs primordiaux d’une stratégie d’entreprise « visant à affaiblir les salariés et agents, à créer un climat professionnel anxiogène » et ayant eu « pour objet et pour effet un abaissement des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité » des salariés, un délit fouetté d’un an d’incarcération et de 15 000 euros d’amende. L’entreprise France Télécom, personne morale, est elle aussi révoquée devant le tribunal.

Trente-neuf personnes ont été tenues en qualité de cibles dans ce dossier. Parmi elles, dix-neuf se sont donné la mort entre 2007 et 2010. Ouvrir les 673 pages de l’ordonnance de renvoi scellée de la juge d’instruction Brigitte Jolivet, c’est d’abord effondrer sur une litanie de prénoms et de noms comme on en voit marqués sur les compositions aux morts des villages.

« mobilisation générale pour le travail, l’emploi et ses grandes transitions »

Réunies lundi 6 mai par le premier ministre, plusieurs distributions se présentent sceptiques sur la conduite d’un tel rendez-vous.

Opération récupération. Lors de sa conférence de presse du 25 avril, le Président de la République a accompli la « mobilisation générale pour le travail, l’emploi et ses grandes transitions ». Le chef de l’Etat a convoité y associer les corps intermédiaires qui, depuis le début de la législature, ont la sensation d’être traités comme quantité négligeable. A charge pour le premier ministre d’orchestrer la complicité avec les partenaires sociaux, les associations d’élus et les organisations environnementales. Une première réunion doit avoir lieu lundi 6 mai, dans la matinée à Matignon, sous l’égide d’Edouard Philippe. Objectif fixé par le président de la République : que l’ensemble des protagonistes puissent « proposer d’ici à septembre des solutions concrètes » aux problèmes mis en exergue par le mouvement des « gilets jaunes ».

Le 29 avril, M. Philippe a précisé l’esprit dans lequel se déroulera cette rencontre. Pas question de parler de « conférence sociale » : le terme rappellerait trop les conclaves de l’ère Hollande, durant lesquels « tout le monde s’emmerd[ait] », suivant la formule lancée à l’époque par Jean-Claude Mailly, alors numéro un de FO. L’idée, a souligné M. Philippe, est de travailler « collectivement », de « faire confiance » aux acteurs de la société civile et de se projeter dans l’avenir – quitte à aller un peu au-delà du quinquennat. Il s’agit, selon le premier ministre, de reproduire « à la façon dont nous voulons produire en 2025, à la façon dont nous voulons vivre, dont nous voulons arriver au plein-emploi », a-t-il détaillé, s’inscrivant dans le prolongement de l’intervention de M. Macron, quatre jours en avant.

« Grand gloubi-boulga »

« Personne ne sait ce qu’il y a dedans », présentait néanmoins, vendredi, l’un des participants. A cette date, la liste des thèmes qui seront approchés n’était pas encore connue des organisations d’employeurs et de salariés. « C’est un peu le grand bazar, personne n’a les mêmes éléments », s’étonne également Marylise Léon, la numéro deux de la CFDT. Sur la forme donnée à ce « sommet », plusieurs personnalités invitées se montrent critiques. « Qu’on ait des grand-messes nationales pour lancer le processus, pourquoi pas ? Mais ce type de fonctionnement est complètement dépassé, juge le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux. L’important est ce que l’on va pouvoir faire en régions. » Président de la CFE-CGC, François Hommeril confie être peu enthousiaste à l’idée de participer à « un grand gloubi-boulga de la société civile ». « Ça devient un peu usant d’être considéré sans aucun autre égard, dit-il. La démocratie française, ce n’est tout de même pas sophistiqué : si le pouvoir en place engage une réforme qui touche le monde du travail, les partenaires sociaux doivent être associés. Notre organisation n’a aucune envie de servir de faire-valoir, nous voulons un mandat clair. » Ça risque de être un « cauchemar », se déplore un participant : « J’y vais avec mon iPad. Les gens sont nombreux, ils sont très longs et ils sont très chiants. »

Prochainement les premières punitions pour l’égalité profesionnelle

« Les critères devant figurer dans l’index sont : les écarts de rémunérations, d’augmentations et de promotions entre les hommes et les femmes de l’entreprise, ainsi que le pourcentage de salariées ayant bénéficié d’une augmentation au retour d’un congé maternité et le nombre de femmes parmi les dix plus hautes rémunérations dans l’entreprise. »
« Les critères devant figurer dans l’index sont : les écarts de rémunérations, d’augmentations et de promotions entre les hommes et les femmes de l’entreprise, ainsi que le pourcentage de salariées ayant bénéficié d’une augmentation au retour d’un congé maternité et le nombre de femmes parmi les dix plus hautes rémunérations dans l’entreprise. » Ingram / Photononstop

Une sanction financière guette aussitôt les sociétés qui n’ont pas encore édité leur index sur l’égalité femmes-hommes.

C’est désormais officiel : le décret posant à l’amende les sociétés qui n’ont encore pas fait acte de clarté en diffusant leur index sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes est paru le 30 avril au Journal officiel, remettant effectives les punitions promises par le gouvernement. Établi par la loi « avenir professionnel » de septembre 2018, cet index consiste en une série d’indicateurs admettant à l’entreprise de savoir où elle en est en matière de promotion et d’égalité salariale entre ses assistants des deux sexes, afin de mettre en place des mesures correctives si besoin.

Le décret envisage donc une sanction financière afin de sanctionner les employeurs n’ayant encore pas publié cet index. Seules les entreprises de plus de 50 salariés sont concernées par cette obligation. En premier lieu celles de plus de 1 000 salariés. En effet, celles-ci avaient uniquement jusqu’au 1er mars pour diffuser ces données.

Fin avril, sur les quelque 1 300 entreprises intéressées, plus de 80 % avaient publié leur index, selon les données du ministère du travail. Les entreprises ayant au moins 250 salariés jouir de d’un répit supplémentaire, allant jusqu’au 1er septembre. De même concernées, les petites entreprises aux effectifs compris entre 50 et 250 salariés auront jusqu’au 1er mars 2020 pour se mettre en conformité.

Sanction jusqu’à 1 % de la masse salariale

Les sociétés en dehors des clous sont donc méfiants de renvoyer une pénalité, calculée en fonction de leur situation particulière et qui pourra atteindre au maximum 1 % de la masse salariale. « Mais la sanction ne doit être que l’ultime recours une fois que tous les autres moyens ont été épuisés », a prévu Muriel Pénicaud dans Les Echos du 29 avril.

Les employeurs insoumis risquent d’abord de se voir rappelés à l’ordre par l’inspection du travail. Ils devront alors « se mettre en conformité dans un délai d’exécution fixé en fonction de la nature du manquement et de la situation relevée dans l’entreprise et qui ne peut être inférieur à un mois », mentionne le décret. Le délai de six mois maximum pour se poser en conformité, qui figurait dans la version antérieure de l’article R. 2242-3 du code du travail, est rompu – possiblement afin de laisser plus de temps aux entreprises espacées des objectifs fixés.

« Il faut penser à une autres organisation du travail »

pixels téléphone smartphone deconnexion
pixels téléphone smartphone deconnexion QUENTIN HUGON 

Depuis l’application de ce dispositif en 2017, les pratiques digitales des salariés n’ont pas réellement changé regrettent les consultants Vincent Baud et Caroline Sauvajol-Rialland .

Le nouvel article L2242-8 du code du travail appliqué depuis le 1er janvier 2017 dans le cadre de la loi travail envisage que chaque entreprise de plus de 50 salariés du secteur privé négocie par an avec ses partenaires sociaux la mise en place de dispositifs de régulation de leurs usages numériques, mais aussi d’actions de formation. A défaut d’accord, une charte simple suffit à contenter le législateur.

Qu’en est-il quinze mois plus tard ? Quelques sociétés parmi les plus grandes ont signé des accords dont l’application semble suivre la même logique que celle des 35 heures en son temps : les mesures ne s’appliquent qu’aux travailleurs qui se sentent concernés ! Pour les autres, les chefs ou ceux qui aspirent à le devenir, pas de transformation. Au même temps, les fins de justice accordant aux salariés le paiement d’heures travaillées non rémunérées et-ou la reconnaissance du préjudice de harcèlement « numérique » se réunissent.

La digitalisation du travail est une révolution du contenu, mais aussi du vécu au travail

Traiter ce sujet de façon défensive revient à passer à côté d’une occasion de premier plan : regarder en face l’activité numérique de ses assistants pour en maîtriser les excès quantitatifs et qualitatifs, n’en conserver que le meilleur au profit de la société comme des salariés ! C’est donc sur la culture digitale des sociétés qu’il faut agir.

En 2013, plus de 71 % des travailleurs avaient un usage professionnel des outils digitaux, pour une moyenne d’utilisation de 4,3 heures par jour. Cette proportion est passé en 15 ans de 40 % ; l’augmentation se poursuit au point que plus d’un salarié sur deux dispose actuellement d’une adresse mail professionnelle, qu’un quart d’entre eux travaille avec un ordinateur portable et 45 % avec un téléphone portable.

Conflit de valeurs

Les outils ne font que se varier : téléphones, mails, messageries instantanées, réseaux sociaux d’entreprise, applications de travail en mode projet… La digitalisation du travail est une révolution du contenu mais aussi du vécu au travail comparable à ce qu’ont été préalablement sa mécanisation, son automatisation, son informatisation et sa robotisation. A deux grandes différences près.

Tout d’abord, ce changement technologique est en prise directe avec la vie privée des salariés, alors que toutes les autres apercevaient leur effet direct s’interpréter au temps et au lieu de travail. Le digital bouleverse les équilibres personnels en plaçant les salariés face à un conflit de valeurs : dois-je répondre à mon manageur alors que je suis en train de dîner un samedi soir ? Dois-je examiner mes mails pendant mes congés ? Ultérieurement, les salariés n’ont pas été préparés à bien utiliser les outils numériques. Une faiblesse d’autant plus grave qu’ils sont passés du statut d’outils de travail à celui d’un vrai mode de travail.

 

 

Pour un statut des salariés des plates-formes numériques

Le gouvernement et la majorité désirent définir le cadre juridique pour ces personnes dans le cadre du projet de loi d’administration des mobilités.

Établis dans un style de no man’s land juridique, les salariées des plates-formes numériques sont peut-être sur le point d’en sortir. Le gouvernement et des députés macronistes aboutissent, en effet, leur réflexion sur ce dossier crucial, puisqu’il touche notre modèle social, très amplement structuré autour du salariat. L’objectif est double : attendrir l’activité des entreprises et étoffer les droits des individus qu’elles embauchent. Des agencements devraient être pris dans le projet de loi d’orientation des mobilités, maintenant en cours d’examen au Parlement.

Depuis certaines années, on vie dans l’émergence d’une nouvelle catégorie d’actifs, payés à la tâche par des plates-formes numériques (comme Uber ou Deliveroo) en contrepartie d’un service soutenu à un consommateur. Qu’ils soient livreurs à vélo ou chauffeurs, fastueusement de ces travailleurs « ubérisés » relèvent du régime du microentrepreneur, pour lequel il existe une « présomption de non-salariat » : différemment dit, ils sont considérés comme des indépendants et ne bénéficient pas de la couverture sociale agréé à un travailleur « ordinaire ». De son côté, la plate-forme qui met en relation « son » salarié avec un client est soumise à des prélèvements moins lourds qu’une société dont la main-d’œuvre est salariée.

Ces changements encaissent l’inquiétude, surtout parmi les syndicats, qui y voient un détricotage insidieux du code du travail. Elles ouvrent aussi sur des contentieux, à l’initiative – en particulier – de ces « ubérisés » : ils sont, en effet, quelques-uns à avoir sollicité à la justice de requalifier en contrat de travail leur relation avec les plates-formes. La quasi-totalité d’entre eux ont d’abord été déboutés. Mais deux conclusions récentes, de la Cour de cassation et de la cour d’appel de Paris, leur ont donné gain de cause, ébranlant, du même coup, les grandes enseignes – Uber et consorts : celles-ci ont peur, dorénavant, que leur modèle économique soit déstabilisé.

Faire une charte

C’est donc dans cette disposition que le gouvernement et des élus LRM ont déclenché une entente sur le sujet. Une démarche similaire avait été engagée en 2018 : elle avait débouché sur l’adoption d’un amendement à la loi « avenir professionnel », soutenu par Aurélien Taché, député La République en marche (LRM) du Val-d’Oise. Invalidé par le Conseil constitutionnel, la modification en question a été réintroduite, sous une forme réécrite, dans le projet de loi d’orientation des mobilités. Il donne la possibilité aux plates-formes d’établir une « charte » sur leur « responsabilité sociale », dans laquelle sont définis leurs « droits et obligations » ainsi que ceux des « ubérisés » utilisés par elles.

Digital : il faut « mettre l’inquiétude sociale dans la stratégie d’entreprise »

« L’entreprise nouvelle génération, celle adaptée à l’économie du numérique, est décentralisée. Elle ne connaît pas les silos et dispose d’une hiérarchie horizontale écrasée limitant le nombre de strates hiérarchiques. »
« L’entreprise nouvelle génération, celle adaptée à l’économie du numérique, est décentralisée. Elle ne connaît pas les silos et dispose d’une hiérarchie horizontale écrasée limitant le nombre de strates hiérarchiques. » Ingram / Photononstop

Fabrice Haccoun

Fondateur et PDG de Livingston

Ex-cadre supérieur d’une grande société digital, Fabrice Haccoun défend, pour un accès augmenté des travailleurs au capital des sociétés et une politique de contribution aux conclusions plus généreuse, que l’Etat pourrait conduire d’encouragements fiscaux.

Notre économie est maintenant essentiellement tertiaire, c’est-à-dire concertée des sociétés de services. Même les grands groupes industriels désirent devenir des prestataires de services et offrent une palette d’apports associées à leurs produits. Parfois, le produit devient même un prétexte admettant de vendre des services.

Il y a plusieurs années déjà que certains fabricants automobiles sont devenus, via leurs banques captives, des sociétés de services et d’ingénierie financière. On n’achète plus un véhicule mais on achète une solution de mobilité saisissant le financement, l’entretien, l’assurance, le véhicule de changement, etc. Même Airbus Helicopters s’y met en vendant du temps de vol et de la haute disponibilité plutôt que des machines.

Et pourtant, nous poursuivons à apposer les modèles de répartition de la valeur hérités de la révolution industrielle. Pour une bonne compréhension, rappelons que, dans l’économie de marché dite capitaliste, la valeur générée par la société se répartit en quatre postes principaux : la rétribution du capital, celle du travail, l’investissement et les taxes. La viabilité de notre modèle économique tient sur le bon emplacement du curseur entre ces quatre postes.

Sur rémunération du capital par rapport au travail

Dans l’industrie gourmande en capital et utilisant surtout de la main-d’œuvre faiblement à moyennement qualifiée, il est commun que l’essentiel de la valeur créée aille à la rémunération du capital, donc du risque et à l’investissement. Il faut malgré cela revoir la manière dont on positionne le curseur de répartition entre capital, travail, investissement et taxes. Il y a, selon moi, surrémunération du capital par rapport au travail, alors que c’est une activité qui réclame peu d’investissement et emploie des ressources qualifiées. Si on ajoute à cela un poids croissant des taxes pour financer des services publics dont l’efficacité est perçue comme étant globalement en recul, on parachève de déséquilibrer l’équation aux yeux de ceux qui produisent.

Pour sortir de cette ornière, il faut que chacun joue son rôle. La société de demain sera donc « sociale », car le modèle de distribution de la valeur tiendra compte de ce récent exemple. Je prône un accès accru des travailleurs au capital des entreprises et une politique de participation aux résultats plus généreuse que l’Etat pourrait d’ailleurs conduire d’incitations fiscales. Outre les aspects liés à la rétribution, ces sociétés doivent investir beaucoup plus dans la formation continue, gage d’employabilité pour les salariés. C’est une contrepartie logique à la diminution du droit du travail entrepris dernièrement par le politique.

Des développeurs de jeux vidéo révoquent une autre fois leurs conditions de travail

Durant des périodes de « crunch », de plus en plus longues, les développeurs peuvent travailler plus de soixante-dix heures par semaine.
Durant des périodes de « crunch », de plus en plus longues, les développeurs peuvent travailler plus de soixante-dix heures par semaine. 

C’est le jeu de tous les records, le fait culturel de cette fin de décennie : Fortnite Battle Royale, le jeu vidéo qui distrait des centaines de millions de personnes… et « tue à petit feu » ses développeurs, avec ses longues périodes de crunch (comme sont nommés ces moments de surcharge de travail pour des développeurs avant la sortie d’un jeu vidéo).

C’est du moins ce qu’il ressort des déclarations reçus par le site spécialisé Polygon auprès d’une douzaine d’utilisés et d’ex-employés du studio américain Epic Games, qui mobilise environ mille personnes et a sorti Fortnite à la fin de 2017. Si des observateurs vantent les avantages à travailler dans ce studio, et que l’un d’entre eux parle même d’un « employeur idéal », d’autres au contraire lèvent un tableau beaucoup moins idyllique.

« Les gens meurent à petit feu »

Des développeurs, mais aussi des garants de l’assurance qualité ou du service client ont décrit à Polygon le récit d’employés en larmes et de semaines à rallonge. « Nous travaillons de cinquante à soixante heures par semaine, parfois soixante-dix, déclare ainsi un ancien employé au site spécialisé. Si, au bout de huit heures de travail, je me tournais vers mon supérieur pour lui demander si je pouvais partir, il me regardait comme si j’étais stupide. »

« Un jour, des collègues se sont levés, sont sortis, et on ne les a jamais revus. Personne n’en parlait »

Un autre expose avoir connu des cas de personnes œuvrant cent heures certaines semaines. Plusieurs employés et anciens employés assurent également que « prendre un week-end est une grande victoire », et avouent se sentir « coupables » de ne pas aller travailler le samedi. Une autre source de Polygon développe connaître « des gens qui n’ont pas tenu leurs objectifs parce qu’ils ont refusé de travailler le week-end : ils ont été virés ».

D’autres expliquent qu’ils ne sont pas prêts à pareil sacrifice. Un ex-employé témoigne : « J’ai vu des collègues, d’abord patients, s’énerver progressivement à force de travailler autant. Un jour, ils se sont levés, sont sortis, et on ne les a jamais revus. Personne n’en parlait. Si je demandais, “hey, est-ce qu’untel travaille encore ici ?”, on me jetait des regards bizarres. »

« On ne peut pas continuer une année de plus comme ça, il faut que ça change, les gens meurent à petit feu », ajoute un dernier employé.

« Fortnite ». EPIC GAMES

Un succès surprise

Epic Games n’a pas convoité commenter ces affirmations, et répondre à nos questions sur le sujet. Interrogé par Polygon, un représentant de l’entreprise a cependant mesuré ces accusations. S’il ne nie pas que les périodes de surcharge de travail existent, il développe qu’elles demeurent « extrêmement rares » et qu’Epic Games « évite systématiquement qu’elles ne se reproduisent ».

Epic Games explique aussi avoir répandu par deux le nombre d’employés à temps plein sur Fortnite Battle Royale depuis son lancement, tout en confessant que « trouver et embaucher des employés hautement qualifiés » prend du temps. Il n’en reste pas moins que les conditions de travail telles qu’elles sont révoquées font mauvais genre au sein d’un des studios les plus en vue du moment, son fondateur et patron, Tim Sweeney, étant même regardé comme la première fortune de l’industrie du jeu vidéo.

« Un jour, nous n’étions que quelques employés. Le lendemain, on nous a dit : “En fait, vous allez travailler avec une cinquantaine de recrues qui n’ont aucune formation.” »

Cette situation peut pourtant se développer par le succès très soudain de Fortnite, qui a explosé en quelques mois. Des employés développent que le projet est né lui-même dans la précipitation et grâce à de nombreuses heures supplémentaires : développé en urgence en 2017 pour surfer sur le succès de PlayerUnknown’s Battlegrounds, Fornite Battle Royale a su éblouir (et garder) les joueurs grâce à des mises à jour très régulières. Côté développeurs, on se souvient notamment qu’« avant que Fortnite ne devienne populaire, nous avions des mois pour préparer [une mise à jour]. Maintenant, nous n’avons parfois qu’une journée », suivant les témoignages repris par Polygon.

Un employé du service client y développe être « passé de vingt à quarante tickets [plaintes de joueurs] quotidiens à 3 000 ». « C’est arrivé si vite. Un jour, nous n’étions que quelques employés. Le lendemain, on nous a dit : “En fait, sur ce créneau, vous allez travailler avec une cinquantaine de recrues qui n’ont certainement aucune formation” », poursuit-il.

L’entreprise reconnaît aussi n’avoir pas « anticipé le succès de Fortnite », ce qui l’a poussé à mobiliser tous ses employés pour capitaliser sur ce succès surprise. A quel prix ?

« Je n’avais pas de vie »

Une pratique, le crunch, qui est loin d’être l’exception dans l’industrie du jeu vidéo. Dans le sillage des témoignages des employés d’Epic Games, des développeurs des jeux de la série Mortal Kombat (dont le dernier épisode, Mortal Kombat 11, est disponible depuis le 23 avril) sont sortis de leur réserve pour révoquer les conditions de travail au sein du studio NetherRealm.

« Mortal Kombat 9 », sorti en 2011, a aussi abandonné certains de ses développeurs exsangues. NetherRealm

« La période de crunch de Mortal Kombat 9 [sorti en avril 2011] a débuté après le jour de l’An, en 2011, relate James Longstreet, un ex-employé de NetherRealm, sur Twitter. C’était écrit sur les plannings. Ce n’était pas un clin d’œil, genre “on est passionnés, on travaille dur” : c’était explicitement exigé » par l’administration.

« J’ai “crunché” pendant quatre mois d’affilée, à raison de 90 à 100 heures par semaine »

Il traque : « J’ai pris un seul jour de repos entre le 1er janvier et le jour où le premier patch a été approuvé. C’était un dimanche, et c’était mon anniversaire, alors on m’a laissé rester chez moi, à condition de rester joignable. J’ai aussi pu aller au mariage d’un ami un samedi soir, après une journée de huit heures de travail, à condition bien sûr de rester joignable. » D’autres anciens agents et prestataires, comme Rebecca Rothschild ou Becca Hallstedt, ont entre-temps confirmé ses dires sur Twitter. Contacté par Le Monde, Warner Bros, l’éditeur de NetherRealm, n’a pour le moment pas donné suite à nos questions.

« J’ai “crunché” pendant quatre mois d’affilée, à raison de 90 à 100 heures par semaine », a certifié un autre ancien employé de NetherRealm au site spécialisé PC Gamer. Il explique qu’il arrivait tout de même à rentrer chez lui, contrairement à certains collègues qui dormaient sur place. « Je n’avais pas de vie. »

Un débat structurel

En octobre 2018, le directeur créatif du imposant Red Dead Redemption II avait créé un tollé dans l’industrie en s’approuvant dans une interview donnée à Vulture que ses équipes et lui aient « travaillé plusieurs fois cent heures par semaine en 2018 ». Le surlendemain, il faisait machine arrière, développant que ce rythme de travail ne concernait que lui et de son cercle proche de coscénaristes. Les conditions de travail des salariés des studios Riot Games ou Telltale Games ont ausi fait l’objet de vives critiques ces derniers mois.

Take This, une association charitable américaine de sensibilisation à la souffrance psychologique, avait déjà diffusé en 2016 un Livre blanc sur les souffrances liées au crunch. Un thème pareillement abordé par le journaliste américain Jason Schreier dans son livre dans Du sang, des larmes et des pixels, ou encore Mediapart et Canard PC dans une enquête commune sur l’exploitation des employés du secteur. Depuis, un projet de syndicat international des laborieux du jeu vidéo, Game Workers Unite, est né en mars 2018.

Les distances de chômage régionaux consternent à se dissoudre en Europe

Des bras robotisés dans l’usine automobile Skoda de Mlada Boleslav (République tchèque), en mars 2010.
Des bras robotisés dans l’usine automobile Skoda de Mlada Boleslav (République tchèque), en mars 2010. Petr Josek Snr / REUTERS

Alors que le sud de l’Italie arrive péniblement à créer des emplois, l’Europe de l’Est est appréciée à une carence de main-d’œuvre.

Délicatement, mais certainement, les conséquences de la crise s’abolissent sur le Vieux Continent. En février, le taux de chômage est ainsi chuté à 6,5 % dans l’Union européenne, soit le plus faible taux noté depuis janvier 2000, selon l’office statistique européen. Cette moyenne prometteuse masque cependant de grandes variations entre les Etats membres, et plus encore au sein même des Etats.

Selon Eurostat, le taux de chômage s’espaçait en 2018 de 1,3 % dans la région de Prague à 35,1 % à Mayotte, le record

Les chiffres diffusés lundi 29 avril par Eurostat admettent d’en mesurer l’abondance. En 2018, le taux de chômage a descendu dans huit régions européennes sur dix. Mais, dans le détail, il s’échelonnait encore de 1,3 % dans la région de Prague et 1,5 % dans le sud-ouest de la République tchèque, où il est historiquement bas, à 29 % dans la ville autonome espagnole de Ceuta, et 35,1 % à Mayotte, le record. L’écart est presque aussi montré pour le taux de chômage des moins de 25 ans, qui varie de 4 % dans la Haute-Bavière allemande à 66,1 % à Melilla, en Espagne.

Sans surprise, ces différences sont en partie l’héritage de la crise de 2008. Ainsi, les régions les plus frappées sont surtout situées dans le sud de l’Espagne et de l’Italie, et en Grèce, pays spécialement affectés par le recul. A l’inverse, les taux de chômage les plus faibles sont enregistrés dans les territoires où la reprise a été la plus solide, surtout en Allemagne, au Royaume-Uni, en Autriche et en Europe de l’Est.

« Ces écarts sont aussi le fruit des politiques économiques nationales et de l’inégale répartition des activités sur le continent, déclare Laurent Chalard, docteur en géographie à Paris-IV-Sorbonne. Ainsi, les richesses productives raidissent à se accumuler sur la dorsale européenne allant des Pays-Bas au nord de l’Italie, en suivant l’axe rhénan. »

S’adjoint à cela ce que les économistes nomment « les phénomènes d’agglomération », à savoir une disposition à la concentration des activités autour des villes dynamiques. A l’opposé, certaines régions périphériques, à l’exemple du sud de l’Italie, réunissent les retards et les handicaps : institutions publiques de moindre qualité, faible propriété des travailleurs, forte présence de l’économie souterraine.