Mark Zuckerberg a annoncé qu’il comptait transformer Facebook en « l’entreprise la plus en avance du monde sur le télétravail ». JOSH EDELSON / AFP
La moitié des employés de Facebook pourraient travailler de chez eux, de façon permanente, d’ici cinq à dix ans, a annoncé Mark Zuckerberg lors d’une conférence pour ses employés diffusée en public sur la plate-forme, jeudi 21 mai.
Le géant des réseaux sociaux va être « l’entreprise la plus en avance du monde sur le télétravail », a assuré le fondateur et patron de Facebook, qui comptait quarante-cinq mille employés dans le monde à la fin de l’année dernière. Fin avril, il a annoncé son intention de recruter dix mille personnes supplémentaires, tant les changements de société liés à la pandémie représentent d’opportunités et de marchés à conserver ou conquérir pour le groupe américain.
Mais les nouveaux salariés, dont une partie passera des entretiens uniquement en ligne, vont intégrer un univers en plein bouleversement, sans possibilité proche ou lointaine de retour à la normale. « Je voudrais insister sur le fait que le Covid-19 ne va pas disparaître avant longtemps », a déclaré M. Zuckerberg, avant de présenter les retours d’expérience et son plan pour l’organisation du travail au sein de son entreprise.
95 % du personnel actuellement en télétravail
Facebook, dont 95 % du personnel est en télétravail en ce moment, avait déjà annoncé récemment que ses employés continueraient à travailler en majorité de chez eux jusqu’à la fin de l’année. Aucun rassemblement de plus de cinquante personnes ne sera organisé avant juillet 2021 au mieux.
Selon une étude en interne, plus de 50 % des employés s’estiment plus productifs en télétravail, et 20 % à 40 % se disent intéressés par la possibilité de télétravailler de façon permanente. Mais 50 % aimeraient retourner au bureau le plus vite possible.
M. Zuckerberg s’est dit « optimiste » sur le potentiel bénéfique du télétravail. « Nous ne le faisons pas parce que des employés le réclament, mais parce que nous sommes là pour servir le monde, et notre communauté, et débloquer autant d’innovation que possible. »
Parmi les avantages, il a évoqué plus d’égalité des chances dans les carrières, des recrutements plus diversifiés, des économies sur les infrastructures et les salaires (qui seront ajustés en fonction du lieu de résidence) et une meilleure rétention des personnes obligées de déménager pour des raisons personnelles.
« En 2020, il est plus facile de déplacer des octets que des atomes, donc je préfère que nos employés se téléportent par vidéo ou réalité virtuelle plutôt qu’ils soient coincés dans les embouteillages à polluer l’environnement », a également déclaré M. Zuckerberg.
Magasins fermés, usines tournant au ralenti, lieux touristiques désertés… Pendant près de deux mois, la machine économique française s’est enrayée.
Mi-avril, au cœur de la crise liée à la pandémie de Covid-19, l’Insee estimait que l’activité économique en France était inférieure de 36 % à la normale. Une baisse d’activité encore plus marquée dans des secteurs comme la construction (− 88 %) ou dans certains services (− 90 % pour l’hôtellerie-restauration, − 64 % pour le transport-entreposage).
Un coup d’arrêt brutal qui a fait chuter le produit intérieur brut (PIB) du pays comme jamais depuis 1945. Le premier trimestre, qui ne comptait pourtant que deux semaines de confinement, a en effet vu le PIB français baisser de 5,8 % par rapport à son niveau du trimestre précédent.
Même le recul brutal enregistré lors du deuxième trimestre 1968 (marqué par les grèves et les manifestations du mois de mai) n’avait pas été aussi fort. En 2008-2009, le recul de l’activité, très important également, s’était étalé sur près d’un an, se soldant par des reculs trimestriels mécaniquement moins violents.
Pour faire face à cette crise d’une ampleur historique, le gouvernement a donc lancé un vaste plan d’aide, mêlant aides aux salariés (chômage partiel) et aides aux entreprises (reports de charges, fonds de solidarité, investissements en capital, etc.).
Au total, ce plan mobilise l’équivalent d’un peu plus de 4 % du PIB. Une manne à laquelle il faut ajouter les 300 milliards d’euros de prêts garantis par l’Etat aux entreprises et les aides en provenance de l’Europe et des régions.
Si massif soit-il, ce plan ne suffira pas à endiguer totalement les premiers effets de la crise. A titre d’exemple, tous les entrepreneurs n’atteindront pas le plafond de pertes requis pour bénéficier du fonds de solidarité, tandis que les demandes de prêts garantis par l’Etat peuvent être refusées (c’était, au 7 mai, le cas de 2,5 % des demandes). Par ailleurs, ces prêts devront être remboursés, ce qui pèsera sur la comptabilité des entreprises. C’est aussi le cas des charges dues au titre des mois de confinement, qui ne sont, le plus souvent, que reportées.
A moyen terme, de nombreux obstacles peuvent gêner la relance
L’économie française portera donc, pendant de longs mois, les stigmates de ces huit semaines de confinement, d’autant que de fortes incertitudes planent sur la reprise de l’activité. Si elles se matérialisent, ces menaces contribueront également à ralentir le redécollage de l’économie française.
En premier lieu, si la situation sanitaire se dégrade de nouveau, un nouveau confinement, partiel ou non, n’est pas à exclure, avec des conséquences similaires à celles observées entre mars et mai.
Même si ce scénario catastrophe ne se produit pas, la productivité ne retrouvera pas immédiatement son niveau d’avant-crise, du fait des protocoles sanitaires mis en place dans les usines, bureaux et commerces. Des précautions qui risquent d’écrêter encore plus les comptes de résultats des entreprises, également mis à mal par la disparition programmée de certaines aides.
Par ailleurs, la crise actuelle, inédite par sa typologie et son ampleur, a lourdement pesé sur le moral des Français. Au mois d’avril, l’indice de confiance des ménages a chuté de 8 points (sa plus forte baisse mensuelle depuis la création de l’enquête) et est repassé sous sa moyenne de long terme.
Certes, les ménages sont plus confiants qu’ils ne l’étaient lors de la mobilisation des « gilets jaunes » ou lors de la crise financière de 2008-2009. Mais, malgré l’épargne accumulée par les Français durant le confinement (entre 55 milliards et 60 milliards d’euros), ce moral en berne pourrait freiner certaines décisions d’achat et ralentir d’autant la reprise.
A cette sinistrose qui gagne doucement les foyers français, s’ajoute celle qui touche les entrepreneurs. L’indice du climat des affaires, qui reflète leur opinion sur leur activité actuelle et future, a ainsi plongé de plus de 30 points en avril, et atteint son plus bas niveau historique.
Or, si l’horizon des dirigeants d’entreprises ne s’éclaircit pas dans les prochains mois, notamment si la consommation ne repart pas assez rapidement, ceux-ci pourraient décider de réduire la voilure en termes d’emplois ou d’investissements. Interrogés en avril, les industriels ont déjà estimé que leurs dépenses d’investissement baisseraient de 7 % cette année.
La crise liée au Covid-19 étant mondiale, l’économie française pâtira également de la morosité du contexte international. Selon le Fonds monétaire international (FMI), le PIB mondial devrait se contracter de 3 % en 2020, et de 6,1 % dans les pays développés. De son côté, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) prévoit que les échanges mondiaux de marchandises chuteront d’au moins 13 % cette année, avant un éventuel rebond en 2021.
A long terme, des finances publiques dégradées et des marges de manœuvre réduites
Si elles ont permis de juguler la crise à court terme, les mesures mises en place par le gouvernement vont fortement peser sur les comptes publics. Le déficit public va donc se creuser de manière inédite, d’autant que la baisse de l’activité va réduire les recettes fiscales perçues par l’Etat.
La loi de finances rectificative du 25 avril, la seconde de l’année 2020, prévoit en effet que le déficit public atteindra 9,1 % du PIB en 2020, contre 2,2 % prévu initialement et 3 % en 2019. Même en 2009, quand il avait fallu contenir les effets de la crise financière et amorcer la relance, le déficit n’avait atteint « que » 7,2 %.
Ce déficit, qui pourrait plonger davantage si la crise perdure ou se révèle plus dévastatrice qu’envisagé, viendra gonfler une dette publique déjà importante.
Le ratio dette/PIB de la France, si scruté depuis la dernière crise, pourrait bondir à 115,2 %, contre 98,1 % fin 2019. Entre 2008 et 2009, ce ratio était passé de 68,8 % à 83 % et, du fait de la crise de la dette de la zone euro, avait continué à grimper jusqu’en 2017.
Pour rétablir leurs finances et leurs marges de manœuvre, les pouvoirs publics seront tentés, comme ils l’ont été par le passé, d’augmenter les impôts ou de diminuer les dépenses publiques, ce qui, à plus long terme, pourrait aussi freiner le rétablissement complet de l’économie française.
Juste avant le confinement, Tobias, étudiant en master hôtellerie de luxe à l’université de Marne-la-Vallée (Seine-et-Marne), était en stage depuis deux mois dans un palace parisien. Sanglé dans un uniforme de gouvernant, il apprenait, pour clore ses études, à encadrer une équipe. Il aurait pu être embauché par la suite. Mais avec le confinement, le palace a fermé ses portes. « Je vais devoir chercher un travail dans un secteur en crise avec seulement deux mois d’expérience », se désole-t-il. Il a aussi perdu son job au parc d’attractions de Disney, qui lui permettait d’arrondir ses fins de mois. Désormais, pour ce jeune Allemand qui a suivi toute sa scolarité en France, les plans sont totalement chamboulés. Si le palace ne rouvre pas cet été, Tobias envisage de suivre une année d’études supplémentaire, pour s’insérer l’année prochaine sur le marché du travail dans de meilleures conditions. Pourquoi pas « un MBA dans une école de gouvernants ».
Alors que l’hôtellerie-restauration, le tourisme et la culture sont particulièrement affectés par la crise liée au coronavirus, les futurs diplômés de ces secteurs anticipent de graves difficultés pour trouver un emploi. Hervé Becam, vice-président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH), présage une année noire, avec « 20 % à 25 % des entreprises qui ne rouvriront pas » si les aides ne sont pas maintenues. « La priorité à court terme des entreprises est de se relever et de refaire travailler leurs équipes », estime George Rudas, président de l’Institut français du tourisme. Les embauches passent au second plan. « Les perspectives sur le marché du travail sont sombres, au moins équivalentes aux crises de 1993 et 2008. Les derniers arrivés, de n’importe quel secteur, sont les premiers touchés par la crise. Les jeunes se retrouvent dans une file d’attente, et vont être touchés de plein fouet par cette récession », explique Philippe Askenazy, économiste du travail et directeur de recherches au CNRS.
Stages amputés
Conscients de ces difficultés, les étudiants en fin de cycle tentent de s’adapter, pour éviter le chômage à la rentrée. Inès (son prénom a été changé) est en master tourisme monde chinois et digital marketing à Angers, et continue son stage dans une agence de voyage en télétravail. Bilingue en mandarin et passionnée par l’Asie, elle sait qu’elle devra revoir ses ambitions à la baisse : le tourisme international se trouve au point mort. Pour les prochains mois, cette Angevine, qui a l’habitude de se « débrouiller seule », compte « trouver un job alimentaire, et miser sur le marketing digital, plus porteur ». Florent, qui devait commencer un CDD dans une galerie d’art à Marseille, travaille maintenant dans les champs de son père, agriculteur. Optimiste, il pense qu’il sera rappelé plus tard mais qu’en attendant il « acceptera n’importe quel job, sans faire la fine bouche ».
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Un avion de la compagnie Norwegian atterrit à Stockholm, le 16 mars. JONATHAN NACKSTRAND / AFP
L’information principale aurait dû être que la compagnie aérienne à bas coûts Norwegian Air Shuttle, en cours de reconstruction, répondait enfin aux conditions posées par l’Etat norvégien, lui permettant d’obtenir les 2,7 milliards de couronnes (248 millions d’euros) de garanties promises, en plus des 300 millions déjà accordés. Mais c’est d’abord l’entrée de l’Etat chinois au capital de Norwegian qui a retenu l’attention des médias nordiques.
Mercredi 20 mai au matin, la compagnie aérienne – huitième d’Europe et troisième du secteur « low cost » derrière Ryanair et easyJet en termes de passagers transportés – a confirmé que BOC Aviation, la société de leasing d’avions commerciaux, contrôlée par l’Etat chinois, allait devenir un de ses plus gros actionnaires.
Selon le communiqué de presse, « Boc Aviation est une compagnie contrôlée par Sky Splendor Limited, qui est contrôlé par la Bank of China Limited, qui est contrôlé par Central Huijin Investment Ltd, qui est contrôlé par Kina Investment Corporation, qui appartient à la République de Chine ».
Très endettée avant le début de la pandémie
Déjà très endettée avant le début de la pandémie de Covid-19, Norwegian s’est retrouvée dans une situation critique, après l’effondrement du trafic aérien. Le 8 avril, la compagnie avait présenté un plan de crise. Il prévoyait de convertir en actions une partie de sa dette auprès des sociétés de leasing, des banques et de ses autres créanciers.
L’objectif, rappelait alors le PDG, Jacob Schram, était « de remplir les conditions fixées par les autorités pour obtenir des garanties d’une valeur totale de 3 milliards de couronnes », qui devaient lui permettre de se consolider.
Avec 15,9 % du capital et des obligations convertibles représentant 7,2 % supplémentaires, la société irlandaise AerCap Holdings, qui loue onze de ses vingt-six avions Dreamliner à Norwegian, devient son principal actionnaire. En deuxième position : la compagnie chinoise BOC aviation, qui lui a fourni quatre appareillés entre 2018 et 2019, récupère 12,6 % de son capital.
« Plus de valeur vivante qu’en faillite »
Interrogé par le quotidien suédois Dagens Nyheter, Jacob Pedersen, chef analyste auprès de la Sydbank, minimise l’aspect stratégique de l’opération : « C’est une mesure défensive. Je ne pense pas qu’une de ces sociétés de leasing le désirait vraiment. Elles vivent de la location d’avions, pas de l’actionnariat dans une compagnie aérienne. » Pour lui, les créanciers de Norwegian ont dû faire un choix : laisser la compagnie couler, ou bien lui jeter une bouée de sauvetage. « Ils ont décidé que Norwegian avait plus de valeur vivante qu’en faillite. »
Tout en se félicitant de l’opération, le PDG de Norwegian a averti que « les mois à venir demeureront difficiles, avec un degré d’incertitude élevé pour le secteur ». Il a rappelé que la compagnie devrait « encore collaborer étroitement avec un certain nombre de créanciers, dans la mesure où les revenus de la compagnie sont actuellement limités ».
1 571 pilotes et 3 134 membres d’équipage licenciés
Le 20 avril, Norwegian avait déclaré la faillite de quatre de ses filiales, en Suède et au Danemark, entraînant le licenciement de 1 571 pilotes et 3 134 membres d’équipage, dans les deux pays scandinaves, ainsi qu’en Finlande, en Espagne, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Jacob Schram avait mis en cause l’absence de dispositifs efficaces de chômage partiel en Suède et au Danemark. Les 700 pilotes et 1 300 membres d’équipage situés en France, en Italie et en Norvège sont pour le moment épargnés.
En 2019, la compagnie a terminé dans le rouge pour la troisième année d’affilée. Elle imputait alors ses mauvais résultats à la crise du Boeing 737 MAX – elle avait reçu 18 appareils juste avant leur immobilisation forcée – et aux moteurs Rolls-Royce défectueux de ses Dreamliner, ainsi qu’à une stratégie d’expansion à marche forcée qui n’a pas apporté les résultats escomptés.
En début d’année, Norwegian avait annoncé une réduction de son offre de 13 % à 15 % pour 2020. Mercredi, le titre de la compagnie a dévissé de 31,2 % à la Bourse d’Oslo, après un afflux de 400 millions de nouvelles actions, soit un recul de plus de 90 % depuis le début de l’année.
Sur le parvis de la Défense (Hauts-de-Seine), le 11 mai. MARTIN BUREAU / AFP
« Aucun responsable ne m’a donné d’instruction au sujet de mon heure d’arrivée au bureau ». Antoine [tous les prénoms des salariés ont été modifiés] travaille dans une tour de la Défense (Hauts-de-Seine), où son employeur salarie 15 000 personnes. Comme les autres entreprises franciliennes, cette importante société est pourtant membre du Medef Ile-de-France.
Or, quelques jours avant le déconfinement, l’organisation patronale a signé, avec les élus franciliens et deux syndicats, une charte incitant les employeurs à étaler les heures de départ et d’arrivée pour éviter les pics d’affluence dans les transports publics. Dans son entreprise, Antoine a proposé que des places de stationnement temporaires soient aménagées pour les salariés décidés à venir à vélo, « mais cela ne semble pas intéresser les manageurs », regrette-t-il.
« Je n’ai pas vu passer de directive concernant les aménagements d’horaires, ni au siège ni dans les agences », constate, pour sa part, Christiane, responsable de la qualité dans une entreprise de prestations de services. « Mais il est possible que les salariés aient négocié leurs horaires avec leur supérieur direct », espère-t-elle.
« Les mesures concrètes sont rares »
Même constat sur un site industriel de la banlieue de Grenoble, où travaillent, en temps normal, 800 personnes. « La mobilité des salariés n’a fait l’objet d’aucune réflexion. Pour l’instant, nous avons un gros sujet, l’organisation de la cantine », admet Yannick, à qui sa direction a confié une mission de « référent mobilité ». Plusieurs autres témoignages, dans les secteurs du commerce, de l’administration ou des services, montrent que l’intérêt des employeurs pour les déplacements des salariés se limite à l’octroi des attestations exigées dans les transports en commun.
« Nous évoquons la mobilité avec nos clients, qui sont des grandes entreprises déjà sensibilisées. Mais les mesures concrètes destinées à tenir compte de l’épidémie sont rares », confirme Timothée Quellard, cofondateur de la société de conseil en développement durable Ekodev. Ainsi, un géant du secteur de l’énergie « donne à ses salariés le choix d’arriver au travail entre 7 et 10 heures, mais aucune instruction précise n’est laissée aux manageurs », souligne-t-il. Par ailleurs, les « fiches conseils métiers », publiées depuis le mois d’avril par le ministère du travail dans le cadre de la protection contre le Covid-19, ne comprennent aucun élément sur la mobilité des salariés.
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Un chauffeur de taxi attend des clients à l’extérieur de la gare d’Austerlitz, à Paris, le 17 mars. CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP
Dans la galaxie des indépendants, les microentrepreneurs tiennent une place à part. Ils sont 900 000 à appartenir au statut juridique créé en 2009 sous le nom d’autoentrepreneur, et rebaptisé en 2014. Selon une enquête OpinionWay menée du 12 au 15 mai pour l’Union des Auto-Entrepreneurs (UAE) auprès d’un échantillon de 335 personnesreprésentatif de la population des autoentrepreneurs français âgée de 18 ans et plus, et constitué selon la méthode des quotas, 83 % d’entre eux ont été contraints de cesser totalement leur activité pendant la crise, parfois parce qu’elle exige des déplacements ou suppose un regroupement de personnes.
C’est le cas par exemple des chauffeurs, des coachs sportifs, des livreurs… Or, parmi ces 900 000 personnes, une sur deux ne dispose d’aucune autre source de revenus : ni indemnités chômage, ni pension de retraite. « C’est la population la plus touchée par les conséquences du confinement », souligne François Hurel, président de l’UAE. Pourtant, c’est aussi une population qui affiche aujourd’hui une forte résilience et un brin d’optimisme.
En effet, toujours selon cette enquête, seulement 7 % disent vouloir jeter l’éponge et trouver un autre métier, alors que 80 % sont résolus à reprendre leur activité le plus rapidement possible. « Paradoxalement, pendant cette crise, le travail indépendant a montré qu’il avait de l’avenir », poursuit M. Hurel. « La prestation de services s’est largement renforcée dans tous les domaines, et le numérique a confirmé sa place fondamentale. »
Capacités d’adaptation
« On observe que les indépendants ont souvent développé des activités complémentaires ou se sont réinventés », confirme Guillaume Cairou, PDG de Didaxis-Hiworkers et fondateur de l’Observatoire du travail indépendant. Dans certains secteurs, les microentrepreneurs ont montré qu’ils savaient s’adapter, qu’il s’agisse de professeurs de yoga qui se sont mis à faire des cours en visioconférence, de professionnels de la santé qui ont développé les consultations par téléphone ou de retoucheurs reconvertis dans la fabrication de masques en tissu.
Reste que, dans de nombreux cas, la relance de l’activité nécessite un investissement minimal afin de se munir des équipements sanitaires indispensables pour se protéger, ainsi que les clients. Le risque sanitaire apparaît en effet au premier rang des inquiétudes face à la reprise, devant le retour des clients. Or, environ un tiers de ces entrepreneurs invoquent des difficultés de trésorerie, alors que 85 % d’entre eux n’ont à ce jour bénéficié d’aucune aide à la reprise, d’après l’UAE.
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FactuelEsthéticiennes, avocats, chauffeurs de taxi… Tous sont à leur compte et ont vu leur activité plonger. Sans droit au chômage, ils puisent dans leurs économies et espèrent des aides pour tenir. Si certains « rêvent » de salariat, beaucoup restent optimistes et n’entendent pas changer de statut.
Leurs revenus s’étagent de 330 euros par mois pour les livreurs à domicile à 8 800 euros pour les médecins (selon les chiffres diffusés par l’Insee dans une note d’avril 2020). Un grand écart qui témoigne de l’hétérogénéité des situations parmi les près de 3,2 millions de personnes non salariées en France. Les indépendants exercent en effet dans des domaines très différents. On y retrouve, outre les livreurs, chauffeurs de VTC et autres réparateurs, des coachs sportifs ou des kinésithérapeutes, des artistes ou des photographes, des médecins et des avocats, des métiers de conseil, ainsi que des chefs d’entreprise. Leur point commun : ils n’ont pas de lien de subordination juridique permanent à l’égard d’un donneur d’ordre et ne disposent pas de contrat de travail. De ce fait, ils ne bénéficient pas de la protection du droit du travail ou du régime d’assurance-chômage. Ils sont donc particulièrement vulnérables en période de crise et celle-ci ne les a pas épargnés.
Inéligibles au chômage partiel, ils ont pu bénéficier, pour une partie d’entre eux, de l’aide de 1 500 euros prévue par le gouvernement. Au 18 mai, près de 257 millions d’euros ont ainsi bénéficié aux indépendants, d’après Bercy. Autre mesure qui a pu les aider à trouver un peu d’air – mais qui ne concernait pas les microentrepreneurs –, la possibilité de moduler le taux et les acomptes de leurs prélèvements fiscaux. L’association GSC, qui propose des dispositifs d’assurance volontaire en cas de chute de leur activité, a enregistré une augmentation de 73 % des appels pendant la crise, preuve que ces dispositions n’ont pas suffi. « Notre fonds social a pu distribuer 620 000 euros au total, sous forme d’aides de 1 500 à 2 500 euros, afin de pouvoir accompagner un maximum de personnes », explique Anthony Streicher, président de l’association. Combien de ces chauffeurs, professeurs de yoga, coiffeurs à domicile ou free-lances vont pouvoir repartir après la crise ? « Il ne suffit pas maintenant de rouvrir, il va falloir tenir sur la durée », ajoute Thierry Millon, directeur des enquêtes chez Altares.
« Pendant deux semaines, il ne s’est rien passé. J’étais chez moi, inquiète », Jeanne Morel, 46 ans, entrepreneuse dans le bâtiment, Marseille
Au soleil du Luberon, Jeanne Morel, 46 ans, finit de réparer la toiture de son cabanon. Cette ancienne styliste pour des marques de streetwear, établie à Marseille, travaille depuis trois ans à son compte dans le domaine de la rénovation générale. Une reconversion après la fermeture de l’entreprise pour laquelle elle travaillait. « Maçonnerie, plomberie, menuiserie… Habituellement seule, sauf quand le chantier est trop gros ou vraiment trop technique », note cette autoentrepreneuse, qui a aussi gardé un pied dans la régie de photographies de mode. « Normalement, cette deuxième activité prend le relais au printemps… Mais là, tous les shootings ont été annulés », explique-t-elle.
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« Cette prudence affichée n’exclut cependant pas une vision à plus long terme. Des organisations misent ainsi sur une accélération de l’activité d’ici quelques mois et s’y préparent. » Ingram / Photononstop
Chez Saunier Duval, on appelle cela « l’ouverture maximale ». Accueillant ses salariés le jour, la nuit et les week-ends, l’usine nantaise spécialisée dans le matériel de chauffage a revu son organisation du travail en ce mois de mai. « C’est un dispositif que nous adoptons habituellement à l’automne, durant notre haute saison », explique son directeur général, Eric Yvain. Les lignes de production devraient cette année fonctionner tous les week-ends jusqu’à la fin de l’année avec, en poste, des salariés volontaires.
« Une telle amplitude horaire nous permet aujourd’hui d’avoir une meilleure gestion de l’espace pour respecter les impératifs sanitaires », indique M. Yvain. Elle témoigne aussi de la volonté de la société de reprendre au plus vite son activité. « Nous souhaitons être à pleine puissance dès juin, confirme-t-il. Nous avons accumulé du retard sur les commandes durant le confinement. Il y a donc urgence à produire pour que le second semestre se déroule dans les meilleures conditions possibles ».
Le code du travail assoupli
A l’heure du déconfinement, des sociétés comme Saunier Duval adaptent leur fonctionnement interne, cherchant à rattraper une partie de l’activité perdue. « Des réflexions ont lieu pour aménager l’organisation afin de gagner en souplesse face aux besoins immédiats, confirme Benoît Serre, vice-président de l’Association nationale des DRH. Certaines s’intéressent par exemple à l’annualisation du temps de travail ou à la mise en place d’un système d’heures supplémentaires. »
Le gouvernement avait montré la voie. Des ordonnances ont assoupli le code du travail, introduisant des dispositions temporaires sur le temps de travail et la prise de congés. Des accords de branche ou d’entreprise ont également vu le jour, imposant aux salariés la prise de jours de congés pendant le confinement ou limitant les congés d’été à deux semaines consécutives. Une mesure qui devait, entre autres, favoriser une plus grande disponibilité des collaborateurs à l’heure de la reprise.
Tout l’enjeu, pour elles, est de disposer d’effectifs suffisants en juillet et août pour mener la relance de l’activité. C’est le cas notamment chez Saunier Duval. « C’est un sujet que nous allons aborder avec le personnel durant le mois de mai », explique M. Yvain qui anticipe par ailleurs des recrutements, afin que « l’usine ait les ressources pour tourner quasiment à plein régime en août ».
En Dordogne, la société de nettoyage ASNBD connaît également une reprise à un rythme élevé. Fait rare, le déconfinement lui a offert une conjoncture favorable, entreprises et collectivités de son département cherchant toutes à faire désinfecter leurs locaux. Après avoir connu le chômage partiel, les trente salariés enchaînent désormais les missions. « Certains font jusqu’à 15 heures supplémentaires par mois, explique Brigitte Dupuy, la gérante. Et cette intensification du travail devrait durer : les clients vont nous demander de revenir très régulièrement. »
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Des employés des Chantiers de l’Atlantique, le 18 mai à Saint-Nazaire. LOIC VENANCE / AFP
Avant ou après l’été ? La question de la date des municipales est aussi un véritable enjeu économique. Certains secteurs, dont l’activité a été fortement ralentie dès février par l’apparition de l’épidémie en Chine, puis mise à l’arrêt par les mesures de confinement, ont besoin pour repartir d’une impulsion qui ne vient pas, faute de décisionnaires dans les communes et les intercommunalités.
Les maires et conseils municipaux non renouvelés ne sont pas en mesure de prendre des décisions d’investissement importantes, telles que la rénovation des infrastructures existantes ou le lancement de nouveaux projets d’envergure, qui arrivent d’ordinaire assez rapidement après une élection. Or, rappelle Pierre Verzat, président de la fédération professionnelle Syntec-Ingénierie, qui rassemble 400 entreprises du secteur, « l’échelon municipal est à l’origine de 50 % de la commande publique en France ».
L’Etat, lui, ne représente que moins de 35 % de ces investissements publics. Les communes et intercommunalités pèsent, par leur poids économique, 1,2 % du PIB. Un levier d’activité non négligeable dans le contexte du Covid-19 et alors que la relance de l’activité figure au premier rang des priorités. « Tant que les conseils municipaux ne seront pas élus, les commissions d’appel d’offres ne pourront pas se réunir et toutes les décisions sont bloquées, ajoute encore Pierre Verzat, qui précise que le nombre d’appels d’offres est en baisse de 20 % par rapport à la normale. Si on veut qu’il se passe quelque chose avant l’été, le temps presse. »
« La commande publique locale menace de s’effondrer »
Les entreprises du secteur maintiennent encore 20 % de leurs salariés en chômage partiel, preuve que l’activité reste en net retrait. L’ingénierie fait également figure d’avant-poste pour deux autres secteurs : les travaux publics et le bâtiment. L’activité provient également en partie de la commande publique pour le premier, et de la délivrance des permis de construire pour le second.
« Sur les 45 milliards de chiffre d’affaires du secteur en 2019, 15 milliards sont liés aux collectivités locales au sens large », notait en mars Julien Guez, directeur général de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP). « Si le trou d’air observé actuellement dans les appels d’offres se poursuit, les carnets de commandes des TPE-PME en viendraient très rapidement à se vider », observe la FNTP, alors que le secteur compte 8 000 entreprises. « Sans attendre les plans de relance qui seront discutés une fois la crise sanitaire passée, il convient de soutenir immédiatement la commande publique locale qui menace de s’effondrer », demande la profession.
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« Dans les pays riches, où les compétences sont disponibles mais les salaires élevés, la relocalisation exigerait une forte automatisation de la production, ne créerait pas beaucoup d’emplois et pourrait faire baisser le pouvoir d’achat. » Robert Hanson/Ikon Images / Photononstop
Entreprises. Il a fallu une pandémie sans précédent pour que l’organisation industrielle mondiale soit ouvertement contestée. D’où les appels, dans les pays riches, à la relocalisation des productions stratégiques, et dans les pays en développement, à une plus grande indépendance industrielle. Mais une démondialisation de la production suscite souvent les mêmes objections.
Dans les pays riches, où les compétences sont disponibles mais les salaires élevés, la relocalisation exigerait une forte automatisation de la production, ne créerait pas beaucoup d’emplois et pourrait faire baisser le pouvoir d’achat. Dans les pays à bas coût de main-d’œuvre, l’indépendance industrielle se heurterait au manque de compétences et serait limitée à des productions à faible valeur ajoutée.
Ces arguments oublient que, depuis le milieu du XIXe siècle, la tâche de la conception industrielle a souvent été de briser des doctrines économiques que l’on croyait universelles. Sans le travail des concepteurs, les révolutions industrielles n’existeraient pas et la Chine ne serait pas devenue l’atelier du monde. Car si la science et la variété des contextes nationaux rouvrent le champ des possibles pour l’activité productive, celui-ci reste largement inconnu.
De nouveaux défis
C’est le travail de conception qui découvre les solutions adaptées aux nouveaux défis et qui lève des barrières que l’on croyait définitives. Aujourd’hui, le défi des pays riches est de concevoir des relocalisations industrielles responsables et créatrices d’emploi. Celui des pays en développement est d’envisager des stratégies locales techniquement ambitieuses.
Dès le milieu du XIXe siècle, ce type de défi a suscité le développement des bureaux d’études industrielles, puis des laboratoires de recherche. Ils furent les premiers employeurs d’ingénieurs, bien avant les usines. Emblématique du travail de conception, la célèbre chaîne d’assemblage automobile était à la fois un gigantesque automate et un procédé permettant d’employer une main-d’œuvre sans qualification spéciale. Car l’automatisation n’a pas pour seul but d’économiser du travail, elle peut servir à le démultiplier.
Le chemin de fer n’a pas eu pour but d’économiser les cochers des diligences et son effet sur l’emploi fut sans précédent… Les robots qui organisent les réunions virtuelles ne visent pas à raccourcir les réunions mais à permettre celles-ci, y compris en situation de confinement…
Solutions innovantes et responsables
Aujourd’hui, la conception industrielle intègre de nombreux métiers, favorise des démarches participatives avec usagers et citoyens, et vise un développement social et durable. La relocalisation doit donc être envisagée comme un stimulus pour la conception de nouveaux écosystèmes industriels dans lesquels rentabilité, responsabilité sociale et soutenabilité font bon ménage.
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