Covid-19 : en grève ou en droit de retrait, des enseignants protestent contre les conditions sanitaires de la rentrée

Au collège Gustave-Flaubert dans le 13e arrondissement de Paris, le 2 novembre.

L’agitation se poursuit dans les établissements scolaires. Aux critiques dès le jour de la rentrée, lundi 2 novembre, sur les modalités de l’organisation de l’hommage à Samuel Paty, se sont ajoutées celles sur le non-respect des consignes sanitaires. Depuis mardi, ils sont de plus en plus nombreux à juger inapplicable ce protocole « renforcé » sans basculer sur une organisation en demi-groupes – en particulier dans les lycées, mais aussi dans certains collèges – réclamée par les syndicats.

Lundi et mardi, des enseignants d’établissements de la petite couronne parisienne, à Romainville, l’Ile-Saint-Denis, Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) ou encore à Grigny (Essonne), mais aussi en région, ont réclamé l’organisation des classes en demi-groupes pour reprendre le travail. Des « droits de retrait » ont également été déposés, en région parisienne mais aussi à Montpellier ou à Perpignan. Certains étaient toujours en grève mercredi, jour où les mobilisations sont habituellement moins fortes. Ni les syndicats ni le ministère de l’éducation nationale n’ont souhaité se prononcer sur un chiffre précis d’écoles ou d’établissements touchés par le mouvement, même si les premiers témoignent d’une « exaspération » du corps enseignant, y compris chez ceux qui ne choisissent pas le moyen de la grève.

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« La mobilisation devrait repartir jeudi, précise Sophie Venetitay, du SNES-FSU, lorsque les enseignants vont regagner leurs établissements après le traditionnel creux du mercredi. Elle pourrait même s’amplifier dans l’académie de Versailles », où l’antenne locale du SNES a appelé à la grève jeudi. Le syndicat national, lui, soutient les professeurs qui militent pour les demi-groupes, et a proposé une journée de « grève sanitaire » mardi 10 novembre « partout où les conditions sanitaires ne seront pas réunies ». Dans le premier degré, le SNUipp-FSU, majoritaire, dit « débattre » de la possibilité d’une grève, également la semaine du 9 novembre.

« Jeudi, nous déposons un droit de retrait, s’il n’est pas accepté, on reconduit la grève, rapporte Camille, enseignante en histoire-géographie au collège Pablo-Neruda, à Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis). Notre principale revendication est le dédoublement des classes, car la distance physique ne peut être respectée dans les salles, dans les couloirs et dans la cour. » Les grévistes de l’établissement demandent aussi le remplacement des infirmières, en arrêt maladie, et l’affectation d’assistants d’éducation dont le nombre réduit complique encore l’application du protocole.

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A Colombelles, « nul n’est inemployable »

PORTRAIT DE FABRICE LIZIARD. FABRICE EST AGENT POLYVALENT, SPECIALISE DANS LES ESPACES VERTS. IL TRAVAILLE CHEZ ATIPIC POUR TOUTE SORTE DE MISSION. AUJOURD'HUI, CHEZ UN PARTICULIER AVEC SON COLLEGUE JEREMI RENARD, IL DOIT ENLEVER UNE ALLEE DE GRAVIER. LA VILLE DE COLOMBELLES A MIS EN PLACE LE DISPOSITIF TERRITOIRE ZERO CHOMEUR. IL EST GERE PAR L'ASSOCIATION ATIPIC ET PERMET A DES CHOMEURS DE LONGUE DUREE DE RETROUVER UN TRAVAIL DANS DES DOMAINES TRES VARIES. COLOMBELLES, CALVADOS, 8 OCTOBRE 2020.

Florence Brochoire pour « Le Monde » »

Par

Publié aujourd’hui à 17h47

Depuis une bonne partie de la matinée, Jaouad Harrachi sillonne l’exploitation pour repérer ce qui peut être cueilli. Coup de chance : le sol est meuble, mais pas détrempé, en dépit des averses de la veille. Carottes, choux-fleurs, potimarrons, oignons… Dans ce coin de Normandie, qui surplombe la périphérie de Caen, le début de l’automne offre encore du choix. On trouve même plusieurs variétés de tomates, cultivées sous serre. « Goûtez celle-là », suggère le quadragénaire en exhibant dans le creux de sa main une baie de petite taille, avec quelques reflets tirant sur le violet.

Jaouad Harrachi, maraîcher dans le « Potager d’Annie », prépare les paniers de légumes avant de les livrer, à Colombelles (Calvados), le 8 octobre.

Cheveux de jais et voix posée, Jaouad Harrachi a l’air serein. Il dit que « ça [lui] a fait du bien » d’avoir décroché cet emploi au « Potager d’Annie », un site de maraîchage glissé entre de vastes parcelles agricoles, deux routes départementales et une zone d’activités parsemée de locaux commerciaux. « Travailler la terre, y’a pas mieux. C’est un beau métier, confie-t-il. Il y a toujours du boulot. Toujours quelque chose à faire. Désherber, passer la tondeuse. » Et quand la pluie tombe, « pas d’excuses » : avec les serres, il est possible de se rendre utile. Jaouad Harrachi apprécie d’être au grand air, toute la journée.

« Pas le travail qui manque »

Avant, il était manutentionnaire dans un établissement Carrefour de Ouistreham (Calvados), à quelques kilomètres de là. Un poste occupé sans discontinuer « pendant vingt ans ». Il a « arrêté » à cause d’un pépin de santé. Et aussi parce qu’il voulait « changer » : « Je ne voyais que le noir dans le magasin, j’ai dit stop. » Après « un an et demi » de chômage et de missions en intérim, il a finalement réussi à se faire embaucher, en octobre 2018, dans une entreprise très singulière.

Tellement singulière, d’ailleurs, qu’elle s’appelle Atipic. Mais celles et ceux qui l’ont fondée auraient très bien pu la baptiser Utopique – pardon, « Utopic » –, tant son objet social paraît un peu fou : elle ne recrute, en CDI et au smic, que des personnes privées d’emploi depuis au moins un an. Sa spécialité ? Répondre à des besoins locaux sans entrer en concurrence avec des employeurs déjà installés dans le secteur : transport de personnes, recyclage de tissus, réparation de cycles, etc.

« La concierg’ je ris » créée par Atipic, réceptionne et distribue des colis, remet leur panier aux clients du « Potager d’Annie », organise des transports solidaires et aide pour des démarches en tout genre.

Etablie à Colombelles, une commune de la banlieue caennaise, Atipic a déployé ses ailes dans le cadre de « Territoire zéro chômeur de longue durée » (TZCLD), une expérimentation nationale engagée sous le quinquennat Hollande qui concerne neuf autres bassins d’emplois en France. Une deuxième vague est prévue, à partir de 2021, dans au moins quarante municipalités, grâce à une proposition de loi qui étend le champ de l’opération. Après avoir fait l’objet d’un compromis en commission mixte paritaire entre les élus des deux assemblées parlementaires, le texte doit être voté définitivement au Sénat, mercredi 4 novembre. Il le sera ensuite dans quelques jours par les députés.

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Le modèle économique d’Uber conforté par les électeurs californiens

C’est une victoire pour l’ubérisation. Mardi 3 novembre, quatre entreprises majeures de l’économie des plates-formes, dont les géants du VTC Uber et Lyft, ont vu leur référendum – la « proposition 22 » – approuvé à 58 % par les électeurs californiens. La « prop 22 » demandait que les chauffeurs et livreurs liés à ces entreprises demeurent des travailleurs indépendants et ne soient donc pas considérés comme salariés, alors qu’une loi récente de l’Etat de Californie régulant ce que les Américains appellent la gig economy (« l’économie des petits boulots ») imposait leur embauche.

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L’événement est crucial pour les sociétés concernées (Uber, Lyft et les plates-formes de livraison DoorDash et Instacart), qui, dans cette bataille électorale les opposant à des syndicats de chauffeurs du cru, ne jouaient pas moins que la pérennité de leur modèle. Uber et Lyft ont vu la valeur de leurs actions monter en flèche (+ 11 % et + 13 %) à l’ouverture de la Bourse américaine.

Signe de l’importance accordée à ce scrutin, les montants dépensés par les quatre entreprises pour soutenir la proposition ont atteint des niveaux jamais vus dans le cadre d’un référendum local : 200 millions de dollars (171 millions d’euros), contre 20 millions pour les partisans du non, dépensés en publicités télévisuelles, campagnes de mails, messages poussés sur les applications desdites plates-formes. Le tout agrémenté d’avertissements au cas où le oui perdrait : menace de quitter la Californie (les quatre sociétés ont leur siège social à San Francisco), spectre d’un allongement des temps d’attente et d’une explosion du prix des courses.

Place aux tribunaux

Si la « proposition 22 » s’engage à ce que les chauffeurs et livreurs bénéficient de protections (revenu garanti à 120 % du salaire minimum, couverture santé, assurance accident), elle évite aux plates-formes des dépenses bien plus élevées, en particulier le paiement des heures d’attente des personnels. Elle satisfait aussi certaines catégories de chauffeurs, comme Bill French, 62 ans, cité par l’agence de presse AP. Ce retraité de Los Angeles, qui arrondit ses fins de mois grâce à Uber, a voté oui au référendum. « Je n’ai pas besoin d’eux pour me contrôler et me dire quand je vais travailler et quand je ne vais pas travailler », explique-t-il.

La déception est évidemment grande pour les tenants d’une régulation de la gig economy. « Le montant obscène que ces sociétés multimilliardaires ont dépensé pour tromper le public ne les dispense pas de leur devoir de payer un salaire décent aux chauffeurs », a déclaré Art Pulaski, secrétaire exécutif de la Fédération californienne du travail. M. Pulaski clame que, cette bataille perdue, la guerre n’en est pas pour autant terminée. Elle devrait maintenant se jouer devant les tribunaux, alors qu’Uber et Lyft sont déjà engagés dans un bras de fer judiciaire avec l’Etat de Californie.

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Le gouvernement néerlandais approuve un plan de sauvetage de la compagnie aérienne KLM

La compagnie aérienne KLM a été durement touchée par la crise économique et contrainte de supprimer 5 000 emplois.

Le gouvernement néerlandais a approuvé, mardi 3 novembre, le plan de sauvetage censé aider la compagnie aérienne KLM, durement touchée par la crise économique. Le ministre des finances, Wopke Hoekstra, avait gelé cette aide, samedi 31 octobre, après le refus du syndicat des pilotes d’accepter une réduction de salaire de cinq ans.

« Des consultations intensives » entre la compagnie aérienne et les syndicats ont abouti à un « résultat positif », ont déclaré les ministres des finances, M. Hoekstra, et des infrastructures, Cora van Nieuwenhuizen, dans une lettre au Parlement. Le plan de sauvetage doit prendre la forme de prêts et venir soutenir la branche néerlandaise d’Air France-KLM à hauteur de 3,4 millions d’euros.

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Suppression de 5 000 emplois et baisses de salaires importantes

Le directeur général de KLM, Pieter Elbers, a fait savoir, de son côté, qu’« une étape importante avait été franchie avec la signature des huit syndicats dans le cadre de cette clause d’engagement ».

Le plan d’économies de KLM prévoit des coupes de 15 % dans les dépenses et la suppression de 5 000 emplois. Environ 3 000 pilotes devraient être particulièrement touchés par ce plan avec des baisses de salaires allant jusqu’à 20 %, selon les médias néerlandais.

Le Monde avec AFP

Comment la crise due au Covid-19 risque de creuser les inégalités de genre

Une femme en télétravail à Vertou, dans la banlieue de Nantes (Loire-Atlantique), le 14 mai.

Un coup de massue. Lorsque l’annonce du deuxième confinement est tombée, mercredi 28 octobre, Assia n’a pu retenir ses larmes : « Enfermée dans 20 mètres carrés, encore une fois : je ne tiendrai pas. » En septembre, après cinq mois de chômage partiel, puis un mois de reprise en demi-teinte, son CDD d’hôtesse d’accueil au sein d’un groupe d’événementiel de la région parisienne n’a pas été renouvelé. « Au chômage, sans perspective, dans un secteur touché de plein fouet : comment vais-je m’en sortir ? »

Aurélie, elle aussi, a peur de s’effondrer. Ingénieure au sein d’un groupe informatique, elle a très mal vécu le premier confinement. « Gérer nos deux enfants de 7 mois et 4 ans entre les coups de fil, les courses, le ménage : même si mon conjoint en a fait plus, l’essentiel m’est tombé sur le dos, raconte-t-elle. Le plus dur est d’avoir eu le sentiment de courir derrière mes collègues masculins, libres de travailler plus. En six mois, j’ai vu l’écart se creuser. Même si, cette fois, l’école est maintenue, ça va recommencer. »

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Parce qu’elles sont surreprésentées dans les emplois précaires et certains secteurs touchés par les restrictions (elle sont 57 % des serveurs, 83 % des coiffeurs…), parce que le télétravail menace l’équilibre entre vie professionnelle et familiale, les femmes risquent d’être plus largement affectées que les hommes par la crise économique liée au Covid-19, en Europe comme aux Etats-Unis. « C’est ce que l’on a constaté durant la première vague de la pandémie, en particulier pour les jeunes femmes, et cela pourrait s’aggraver ces prochains mois », redoute Massimiliano Mascherini, de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound). Dans un rapport paru en septembre, celle-ci tire le signal d’alarme : « L’impact dévastateur de la Covid-19 met en péril les progrès enregistrés en matière d’égalité des genres depuis dix ans en Europe. »

« Hausse des emplois précaires »

Et ce, alors que le salaire horaire moyen brut des femmes est toujours de 15 % inférieur à celui des hommes dans la zone euro, selon Eurostat. Ce qui signifie qu’en ce début du mois de novembre, elles cessent symboliquement d’être rémunérées pour leur travail par rapport à leurs collègues masculins. En France, où l’écart est de 15,8 %, elles travaillent pour rien à partir du 4 novembre, à 16 h 16, a calculé l’économiste Rebecca Amsellem, créatrice de la lettre d’information féministe « Les Glorieuses », qui a lancé une campagne sur le sujet. « Les Françaises perdent 39,2 jours ouvrés de travail rémunéré cette année. Cela stagne depuis cinq ans, et la pandémie risque d’aggraver la situation », explique-t-elle. Dans l’espoir de sensibiliser l’opinion, Bruxelles a également choisi de consacrer la journée du 4 novembre à l’égalité salariale.

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Le télétravail est-il bon pour l’économie ?

Un ordinateur portable sur un bureau.

Le déploiement du télétravail, à l’échelle d’une entreprise ou d’une économie, a-t-il un impact positif sur l’activité et la productivité, ou bien au contraire est-il pénalisant ? « La réponse à cette question n’est pas claire », admet Antonin Bergeaud, économiste à la Banque de France et auteur, avec Simon Ray, d’un article sur le sujet.

Deux études conduisent en effet à des résultats diamétralement différents. Une première, qui date de 2015, porte sur une agence de voyages chinoise, comptant 16 000 salariés. A l’issue d’une préparation au sein de l’entreprise et d’une formation spécifique, les salariés de cette agence ont pu travailler, sur la base du volontariat, de leur domicile. Leur productivité a alors bondi de 20 %. La seconde, plus récente, examine la situation dans un centre de recherche japonais. En raison du Covid-19, les salariés sont passés au télétravail, sans préparation ou formation cette fois. Interrogés, ils estiment que leur productivité est tombée à 63 % seulement de son niveau antérieur.

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Moindre efficacité 

Qui a raison, les Chinois ou les Japonais ? En réalité, la première condition pour que le télétravail se traduise positivement pour l’entreprise est qu’il soit anticipé. « Le développement du télétravail dans le contexte du choc du Covid-19 a sans doute été réalisé dans des conditions non optimales, en termes de préparation, de formation, d’organisation mais aussi de matériel », souligne Gilbert Cette, professeur d’économie à Aix-Marseille Université, dans un article publié dans la revue Futuribles.

Qu’en est-il de la productivité des salariés ? « On peut penser que la productivité horaire diminue avec le télétravail », poursuit Denis Ferrand, directeur général de Rexecode. On est en général, pour de multiples raisons – interférences entre vie professionnelle et vie familiale, manque de matériel adapté, distractions plus fréquentes… – moins efficace lorsqu’on travaille de chez soi. Mais cette moindre efficacité est souvent compensée par un allongement des plages horaires de travail : le temps habituellement passé dans les transports devient du temps travaillé et la frontière entre les horaires de travail et le temps personnel est floue. La durée du télétravail et son ampleur – total ou partiel, par exemple un ou deux jours par semaine – se traduisent aussi différemment.

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A court terme, en allégeant la contrainte des transports, notamment, le télétravail aurait un effet plutôt positif. Mais il en est autrement à long terme. « J’ai tendance à penser que la qualité des interrelations est altérée par le télétravail, ajoute Denis Ferrand, donc, à long terme, l’efficacité de l’organisation est atteinte. » Et avec elle, la possibilité d’aboutir à des gains de productivité.

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Le Covid aide la RSE à sortir « du placard »

«  Selon le baromètre Mazars publié le 2 octobre : 98 % des entreprises ont aujourd’hui une stratégie RSE, en particulier sur le volet environnemental. »

Carnet de bureau. Les projecteurs sont braqués sur l’environnement de travail. « Le rapport au travail est en train d’évoluer. Si on parle beaucoup de management, la RSE, et sa dimension sociale, prend davantage d’importance, dans une sorte de logique, avec le développement du télétravail », explique Benoît Serre, le vice-président délégué de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH).

La responsabilité sociale et environnementale (RSE) passe devant le développement du télétravail dans les priorités des DRH pour 2021, indique une enquête flash de l’ANDRH réalisée fin septembre, auprès de ses quelque 5 000 entreprises adhérentes, plutôt des grosses PME.

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La majorité des DRH interrogés (53 %) prévoit de renforcer les actions dans ce domaine en 2021, contre 27 % cette année. « Les DRH interviennent dans des champs bien plus larges qu’avant : nutrition, violences, personnes vulnérables, écoles et crèches… l’ensemble des sujets de société développés durant la crise [du Covid] arrivent aussi sur le bureau du DRH », a confié la présidente de l’ANDRH Audrey Richard, à l’agence de presse AEF.

Logique de résultats

Aiguillonnées par la réglementation, par la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, 2019) – qui leur permet d’encadrer leur stratégie RSE par l’inscription d’une « raison d’être » dans leurs statuts –, par le changement climatique bien sûr, et la pression de plus en plus forte de toutes les parties prenantes – fournisseurs, clients, investisseurs, salariés, etc. –, les entreprises sortent la RSE du placard.

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Du CAC40 au SBF 120, elles ont « une plus grande maturité » sur le sujet, confirme le baromètre Mazars publié le 2 octobre : 98 % des entreprises ont aujourd’hui une stratégie RSE, en particulier sur le volet environnemental. « Sur la dimension sociale, il y a une meilleure restructuration, mais ce n’est pas ce qui a le plus progressé depuis dix ans. Le volet social était déjà le plus construit », précise Edwige Rey, en charge de ce dossier chez Mazars.

Le changement le plus significatif est que la responsabilité sociale et environnementale – évaluée jusqu’alors par une série d’indicateurs abstraits inscrits dans les bilans annuels de l’entreprise, souvent publiés dans l’indifférence générale – est passée à une logique de résultats. La mesure de la performance RSE s’affine avec la création de marqueurs propres au contexte de travail.

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Les salariés vulnérables cherchent leur place dans l’entreprise

« En s’isolant pour préserver leur santé, les salariés se sont aussi éloignés durablement du cœur de l’organisation. »

Marie le reconnaît, certains collègues ne comprennent pas sa situation : son retour provisoire en présentiel sur le plateau, après plusieurs mois de télétravail et avant son départ quelques semaines plus tard pour reprendre un travail en 100 % distanciel, jusqu’au reconfinement général du 30 octobre. Elle aussi avoue chercher une cohérence entre les nombreux changements qu’elle a dû accepter. Souffrant d’obésité, cette salariée du secteur de l’assurance a vu sa situation professionnelle évoluer au fil des mois, à mesure que des mesures gouvernementales ou des décisions de son entreprise étaient prises.

Considérée comme une personne à risque face à l’épidémie de Covid-19, elle pouvait, jusqu’à la fin août, travailler de chez elle. Las, un décret a exclu certaines pathologies (diabète non équilibré…), dont l’obésité, de la liste des critères de vulnérabilité et Marie a dû retourner au bureau. Un décret finalement suspendu par le Conseil d’Etat mi-octobre. Marie, à nouveau reconnue « vulnérable », est ainsi retournée à l’isolement deux semaines avant le reste de l’entreprise.

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A chaque étape, la jeune femme a fait valoir ses droits, expliquant à ses employeurs l’évolution des textes, dévoilant dans le même temps sa fragilité. Avec, en elle, la peur de « passer pour une personne cherchant à profiter du système, qui exagérerait la situation ». Avec, aussi, la sensation de « faire l’aumône » face à un responsable de service voulant « privilégier le présentiel, même si toutes [ses] missions pouvaient être effectuées à distance ».

« Je me sens de plus en plus à part »

Tous les salariés vulnérables ne sont pas aujourd’hui dans la situation de Marie. Certains ont pu trouver facilement un terrain d’entente avec leur service des ressources humaines, comme Louise (le prénom a été changé), formatrice : « Mon entreprise a pris en compte ma vulnérabilité en me mettant en télétravail avant même le confinement de mars. Les échanges sont nombreux, je suis toujours en contact, les choses se passent bien. » Mais Louise reconnaît être « minoritaire ». Et, de fait, les témoignages de « vulnérables » décrivant une situation professionnelle souvent « perturbante », parfois « angoissante », sont légion. Nombre d’entre eux conviennent avoir désormais du mal à trouver leur place dans le collectif de travail. Marie résume : « Je me sens de plus en plus à part. »

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Loyauté de la preuve et impunité du salarié

« L’arrêt Petit Bateau consacre donc la dangereuse porosité de la frontière entre vie privée et vie professionnelle sur les réseaux sociaux : gardez-vous de vos « amis »«  !Photo : Atelier La source Petit Bateau

Droit social. Alors qu’en principe les salariés doivent être préalablement avertis des méthodes de contrôle patronal, un supermarché espagnol peut-il mettre en place des caméras cachées filmant des caissières soupçonnées de vol organisé, puis les licencier sur la base des vidéos ?

La Cour européenne des droits de l’homme a accepté cette preuve le 17 octobre 2019, au titre d’une « mise en balance entre le droit des intéressées au respect de leur vie privée, et l’intérêt pour l’employeur d’assurer la protection de ses biens et le bon fonctionnement de l’entreprise ». Relançant, en France, le vieux débat qui oppose la loyauté de la preuve fournie par l’employeur à l’impunité disciplinaire du salarié fautif, particulièrement mal ressentie chez les petits patrons peu au fait des subtilités juridiques : « J’ai pour moi la justice, et je perds mon procès », rageait déjà Alceste dans Le Misanthrope de Molière.

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Cette pragmatique conciliation de droits opposés a manifestement inspiré l’important arrêt rendu par la Cour de cassation le 30 septembre 2020, qui affirme que : « Le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit, et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi. »

En l’espèce, une cheffe de projet de l’entreprise Petit Bateau avait publié sur son compte privé Facebook, en avril 2014, des photos de la collection printemps-été 2015. Elle a été licenciée pour faute grave : manquement à son obligation contractuelle de confidentialité ; et parmi ses deux cents « amis » figuraient aussi des concurrents.

Triple tamis jurisprudentiel

En justice, la salariée a mis en cause la loyauté du procédé, et l’atteinte à sa vie privée. « En vertu du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, l’employeur ne peut avoir recours à un stratagème », rappelle la Cour. Sauf que c’est l’une de ses « amies » qui avait « spontanément communiqué » une capture d’écran à l’employeur. Il en aurait été différemment si ce dernier avait invité une stagiaire, voire un huissier à se faire accepter comme « ami(e) » sur Facebook par l’intéressée.

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Et si la faute disciplinaire constitue également une infraction pénale, comme un vol par exemple, la chambre criminelle de la Cour de cassation adopte une position nettement moins raide : « Aucune disposition légale ne permet au juge répressif d’écarter des moyens de preuve remis par un particulier aux services d’enquête au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale. Il leur appartient seulement d’en apprécier la valeur probante, après les avoir soumis à la discussion contradictoire » (Cass. Crim., 27 janvier 2010). Ce qui incite parfois des employeurs à se porter sur le terrain pénal, avec des conséquences dont le salarié se serait volontiers passé.

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Les liens entre travail forcé et travail libre

« Les métamorphoses du travail contraint. Une histoire globale XIIIe-XIXe siècles », d’Alessandro Stanziani. Presses de Sciences Po, 336 pages, 24 euros.

Le Livre. En 1874, l’écrivain Joseph Conrad (1857-1924) quitte la Pologne et arrive à Marseille où il embarque comme mousse. Il découvre que la vie à bord des navires n’est pas celle décrite par la littérature romantique. Depuis l’époque ancienne et pratiquement jusqu’à nos jours, marins, esclavage et formes extrêmes d’asservissement sont étroitement liés.

Les Métamorphoses du travail contraint (Presses de Sciences Po) ne raconte pas l’histoire du célèbre écrivain, mais celles des travailleurs et des asservis qu’il a côtoyés : serfs de l’Empire russe, salariés et matelots des Empires français et britannique, esclaves et immigrés d’un océan Indien battu par les moussons. Comment cerner la difficile conquête de la liberté au travail en prenant comme référence le droit ou bien les conditions réelles des travailleurs ?, s’interroge Alessandro Stanziani.

Dans un monde idéal, ces deux éléments devraient se rejoindre, estime le directeur d’études à l’Ehess. « Dans la réalité, c’est rarement le cas. » Son ouvrage en expose les raisons. Les spécialistes du mouvement syndical ou des conventions collectives en France ne s’intéressent guère à l’esclavage.

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Réciproquement, les historiens de l’esclavage ne suivent guère les débats sur l’affirmation des conventions collectives en France. L’un des paris de l’ouvrage est de montrer que l’histoire du travail forcé ne peut se comprendre qu’en lien avec celle du travail libre. Sphère du travail libre et sphère du travail forcé « se croisent, se superposent parfois et, le plus souvent, se répondent mutuellement. »

Proche de l’esclavage

Les périodisations conventionnelles opposent un avant et un après l’abolition de l’esclavage et du servage. Cette division revient à ne pas tenir compte du taux élevé d’affranchissements en Russie et au Brésil avant les abolitions officielles, ni de l’importance des émancipations d’esclaves dans les sociétés islamiques. C’est ignorer la persistance de formes déguisées d’esclavage et de servage après les réformes.

Comprendre la manière dont chaque société cherche à établir la frontière entre liberté et contrainte au travail est alors essentiel et passe par des débats devenus particulièrement virulents depuis que les cultural studies ont mis en avant, il y a une trentaine d’années, la relativité des notions de liberté et de contrainte.

Plutôt que de scruter l’émergence du travail libre ou de stigmatiser la persistance de formes larvées d’esclavage, le directeur de recherche au CNRS analyse les transformations de certaines formes historiques du travail, et tente de saisir les raisons pour lesquelles, jusqu’à nos jours, les progrès intellectuels, politiques et des conditions matérielles n’ont pas réussi à enrayer la contrainte au travail dans ses formes les plus extrêmes.

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