« Avec le robot de traite, je me sens plus éleveur qu’avant »
Automatisation des métiers (1/3). Quel est l’impact de la robotisation sur le monde du travail ? Premier épisode de notre série en trois volets sur l’automatisation des métiers avec un reportage dans la ferme d’un éleveur laitier en Haute-Saône
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Une ferme au milieu de la campagne haut-saônoise, quelque part entre Vesoul, Besançon et Dijon : 120 hectares, 70 vaches, taille moyenne. Une production de lait bio, et un peu de céréales. C’est le printemps et la saison des pissenlits bat son plein. Dans la pâture parsemée de jaune, une partie du troupeau broute. L’autre est restée dans l’étable et digère le fourrage. L’intérieur du bâtiment est silencieux. Un chien aboie contre un chat perché sur une poutre. Une petite radio diffuse sa musique, qui se mêle à la rumination des vaches.
Soudain, Jouvence se lève. D’un pas lourd, la montbéliarde se dirige vers une porte métallique. Un capteur lit le numéro inscrit sur son collier. Elle est autorisée à entrer dans la salle de traite. Là, un robot de plus de 2 mètres de haut, équipé d’un long bras articulé, l’attend. Jouvence hésite, mais le bruit des granulés qui tombent dans l’auge la convainc d’approcher.
Le bras du robot se met alors en action. Une caméra repère les quatre quartiers du pis avant que des « gobelets trayeurs » ne s’emboîtent dessus. Une première fois pour nettoyer et éliminer les impuretés, une seconde fois pour traire. Dans un petit bureau à côté, Benoît Boivin, l’éleveur du troupeau, regarde des chiffres et des courbes défiler sur son ordinateur. Il sait tout : ce que Jouvence est en train de produire, la qualité de son lait, ses derniers passages au robot…
La ferme de la Sourceline, accolée au petit village d’Angirey, est une ferme du XXIe siècle. Robotisée, numérisée, équipée de caméras, de capteurs, de portes intelligentes, de logiciels informatiques. Ici, la traite est en libre-service. Les vaches peuvent aller se faire traire vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sans assistance humaine.
Pour Benoît Boivin, c’en est fini de l’astreinte répétitive et harassante de la traite mécanique, chaque matin à 5 h 30 et chaque soir à 17 heures, tous les jours de l’année. Le « bagne », pour ce père de famille de 50 ans qui l’a pratiquée pendant dix ans : « Une petite partie du métier, mais une grosse épine dans le pied. » La technologie, dit-il, a transformé son métier.
La Sourceline fait partie des quelque 10 % d’exploitations laitières en France à avoir fait le choix de la robotique. C’était en 2005, au moment où les ventes de robots de traite commençaient à grimper. Au départ, Benoît Boivin n’y était pas favorable. Trop cher (150 000 euros, sans compter les travaux pour aménager les infrastructures) et trop risqué. « Ma crainte, c’était d’être dépendant des industriels. J’avais peur qu’ils nous imposent leur façon de faire, de perdre un peu la main. » Mais les problèmes articulaires de Bruno, son associé de l’époque, ne lui ont guère laissé le choix. « Il était à cinq ans de la retraite. Il m’a dit : “Je suis fatigué, j’ai trop mal au genou. Si on ne prend pas un robot, je partirai.” »