Un livreur Deliverooà Paris, le 19 août 2019. JACQUES DEMARTHON / AFP
Le débat sur le statut des livreurs de repas à vélo a connu un nouveau rebondissement, en Belgique cette fois, qui ne plaît guère à Deliveroo. Après deux années d’enquête, l’auditorat du travail de Bruxelles (l’équivalent d’un parquet spécialisé en droit pénal social) estime que les livreurs de Deliveroo, qui ont le statut d’indépendant ou sont sous le régime des « revenus complémentaires non imposés » (sans impôt ni cotisations sociales), sont en réalité des salariés déguisés. « Ce qui implique un certain nombre d’obligations de la part de Deliveroo, notamment les déclarer à l’ONSS [Office national de la sécurité sociale] et payer des cotisations sociales », a indiqué à l’AFP Fabrizio Antioco, premier substitut à l’auditorat, qui a donc décidé de poursuivre la filiale belge devant le tribunal du travail.
Une première audience a eu lieu le 20 janvier, mais les plaidoiries ne débuteront qu’en octobre 2021. « Ce qu’on reproche à Deliveroo, c’est de ne pas avoir respecté ses obligations en droit social », a poursuivi M. Antioco.
En France, l’inspection du travail a commencé une vaste enquête en 2017, qui a donné lieu à un procès-verbal notamment pour travail dissimulé en 2018. Le dossier est entre les mains de l’Office central de lutte contre le travail illégal.
En Belgique, Deliveroo revendique 3 500 livreurs « actifs » sur sa plate-forme. Le syndicat belge Confédération des syndicats chrétiens (CSC) a appelé les livreurs de Deliveroo, anciens ou actuels, à engager une intervention volontaire dans ce procès pour faire valoir leurs propres droits et pour que la décision ne soit pas que symbolique. Interrogé dans le quotidien Le Soir, Pierre Verdier, patron de Deliveroo Belgique, a prévenu qu’en cas de décision allant « dans le mauvais sens », la plate-forme pourrait ne couvrir « plus que 2 % » du territoire belge contre 30 % aujourd’hui.
« C’est un chantage à l’emploi pas propre, alors que Deliveroo sait depuis le début qu’elle n’est pas dans les clous », réagit Jérôme Pimot, cofondateur du Collectif des livreurs autonomes de Paris. S’il se félicite de l’action de la justice belge, il précise cependant que son « combat, ce n’est pas d’obtenir la reconnaissance du salariat mais qu’on arrête de dire que les livreurs sont indépendants alors qu’ils ne le sont pas ». En particulier, ils ne fixent pas eux-mêmes leurs tarifs de livraison. C’est Deliveroo qui le fait. Elle les a d’ailleurs modifiés en août 2019, ce qui a entraîné une baisse de revenus pour bon nombre de livreurs.
Pour continuer à être indemnisé au chômage après 62 ans Pole emploi examine le nombre de trimestres de cotisation à la retraite . Ingram / GraphicObsession
Question à un expert
Mon indemnisation chômage cessera-t-elle à 62 ans ?
Lorsqu’un senior percevant une allocation-chômage atteint l’âge légal de la retraite, 62 ans, deux situations sont possibles.
S’il peut toucher une pension à taux plein, parce qu’il a le nombre de trimestres requis (par exemple 167 pour ceux nés en 1958), Pôle emploi cesse de l’indemniser. Même s’il n’a pas consommé sa durée totale d’indemnisation, habituellement de 1 095 jours (trois ans). Il est donc (lourdement) incité à prendre sa retraite.
En revanche, s’il n’a pas tous ses trimestres, il continue d’être porté par Pôle emploi, et à certaines conditions jusqu’à son taux plein, même au-delà des trois ans d’indemnisation, et au plus tard jusqu’à 67 ans. Ses droits à la retraite continuent alors de se bonifier grâce aux trimestres et points Agirc-Arrco supplémentaires acquis.
Conclusion paradoxale : il peut parfois être plus intéressant d’arriver à 62 ans avec moins de trimestres que le quota requis !
D’où l’importance, on ne le répétera jamais assez, de ne pas racheter de trimestres avant la toute fin de sa carrière, avant d’être sûr d’en avoir besoin. Cela pourrait précipiter la sortie de Pôle emploi et un départ à la retraite avec une pension très probablement inférieure à l’allocation-chômage.
FactuelPartout en France, les enseignes de coiffure peinent à recruter. Le développement de prestations à domicile complique la tâche des employeurs.
Les bacs sont noirs, rutilants. Le stock de bidons de shampooing et de tubes de coloration est plein. Les têtes de cheveux synthétiques sont neuves. L’Oréal a inauguré son école de coiffure, Real Campus, à Paris, rue Didot dans le 14e arrondissement, vendredi 24 janvier, en présence de Françoise Bettencourt-Meyers, petite-fille d’Eugène Schueller (1881-1957), fondateur du groupe de cosmétiques et actionnaire de référence, et Jean-Paul Agon, son PDG. La firme, qui, grâce à ses marques vendues aux professionnels de la beauté, réalise 12 % de ses 27 milliards d’euros de chiffre d’affaires, finance cet établissement aux côtés de la région Ile-de-France.
Ouvert aux personnes en phase de reconversion, aux titulaires d’un brevet professionnel de coiffure et aux bacheliers – la première promotion comprend vingt étudiants –, il doit, à terme, former cent cinquante personnes par an à un bachelor (bac +3) pour exercer le métier, apprendre la gestion et le management d’un salon. Le programme de Real Campus entend « prouver combien la coiffure offre une opportunité extraordinaire de carrière », explique Nathalie Roos, directrice générale de la division des produits professionnels de L’Oréal.
Toutes les fédérations de coiffeurs applaudissent cette initiative censée inciter les demandeurs d’emploi à embrasser la profession. Car, depuis dix ans, le nombre d’entrées en CAP coiffure chute. La filière a perdu 10 000 apprentis depuis 2010. Et, chez les petits coiffeurs comme dans les plus gros salons – la France en compte plus de 63 000 –, le sujet de l’embauche est le plus difficile. « Le problème numéro un d’un entrepreneur qui veut ouvrir un salon est de trouver des collaborateurs », assure Emmanuel Gasnot, président de Dessange International. L’emploi, « c’est le sujetdont tout le monde parle», s’agace Marc Aublet, directeur général de Provalliance, maison mère des Franck Provost, Maniatis et autres Jean Louis David.
« Des difficultés à recruter »
A l’instar des couvreurs et des bouchers, les coiffeurs relèvent des cent métiers dits « en tension », selon Pôle emploi. Les postes de coiffeurs et d’esthéticiens se classent au 21e rang de ce palmarès ; en France, plus de 10 630 de ces emplois sont non pourvus. Les contrariétés s’exacerbent depuis « cinq ans », constate Bernard Stalter, président de l’Union nationale des entreprises de coiffure (UNEC). Désormais, 68,5 % des entreprises de la coiffure et de l’esthétique anticipent « des difficultés à recruter », selon Pôle emploi. « En 2013, elles n’étaient que 51 % à en éprouver», observe Emmanuel Chion, adjoint au directeur des statistiques et études de l’organisme public.
De gauche à droite : Sandrine Cassini, journaliste au « Monde », Frédéric Mazzella, président de Blablacar, Antoine Jouteau, directeur général de Leboncoin, Cédric O, secrétaire d’Etat chargé du numérique, Roxanne Varza, directrice de Station F, et Philippe Escande, éditorialiste économique au « Monde », à Paris, le 23 janvier. CAMILLE MILLERAND
En dix ans, l’écosystème français s’est complètement transformé. Pourtant, le chemin vers la création de champions mondiaux est encore long.
De la start-up à l’entreprise
Antoine Jouteau : Leboncoin a capté le marché, car il offrait une accessibilité forte et gratuite à tous, sans barrière à l’usage. Des petits pas ont permis à l’entreprise de grandir rapidement. Le modèle économique a été créé une fois que l’audience a été constituée. Nous nous adressons à 74 univers différents, mais seuls quelques-uns créent du chiffre d’affaires et de la marge, notamment l’immobilier, l’automobile et la publicité.
Les entrepreneurs ont tous compris que, sans vision internationale, un acteur américain ou asiatique viendrait sur leur marché. Les GAFA [Google, Apple, Facebook et Amazon] ont de tels moyens et sont tellement généralistes qu’ils peuvent s’attaquer à n’importe quel secteur, en plaçant des équipes pour dominer ce marché. Il n’y a pas d’activité numérique nationale. Vous n’avez pas le choix. Il faut d’abord être maître dans son pays, puis réaliser l’expansion.
Roxanne Varza : Il y a quelques années, on se demandait comment créer des start-up en France. Nous sommes passés à l’étape d’après. Pour cela, il faut des talents, de l’optimisation et trouver son marché. La plupart des jeunes pousses vont mourir de ne jamais le trouver. Ensuite, on peut commencer à parler de croissance. Et il faut éviter de vendre sa société trop vite.
Cédric O : Si vous voulez créer des champions, il faut qu’il y ait des entrepreneurs avec le cœur bien accroché. Les fondateurs de Google et de Facebook ont, à un moment de leur histoire, refusé de vendre leur entreprise pour 1 milliard d’euros. Il faut avoir une grande foi dans son entreprise pour penser qu’elle vaudra, non 1 milliard, mais 600 milliards d’euros. Je suis sorti de HEC en 2006. Je vois une vraie différence d’état d’esprit entre ma génération et celle d’aujourd’hui, qui veut faire émerger des leaders internationaux.
J’ai dit un jour que, d’ici à 2025, nous aurions 25 licornes, ces entreprises non cotées valorisées plus d’un milliard de dollars. J’ai reçu deux SMS de deux de ces futures licornes me disant qu’elles n’en avaient rien à faire d’être des licornes, mais qu’elles voulaient valoir 100 milliards d’euros. On peut aimer ou non ce monde. Cet état d’esprit est indispensable si, demain, nous voulons avoir des emplois et de la souveraineté technologique.
Frédéric Mazzella : Nous avons tenté six business models avant de trouver celui qui nous semblait le mieux adapté à l’activité, le plus créateur de confiance, ce qui est primordial dans notre activité. Nous avons 85 millions de membres, dont 17 millions en France. Lorsqu’on me dit qu’on perd de l’argent, j’ai l’impression que les gens regardent un hors-bord en le comparant à un paquebot. Nous sommes en expansion internationale, nous étendons notre présence partout, ce qui coûte de l’argent. Nous avons levé 200 millions d’euros en 2019, ce n’est pas pour les laisser sur des comptes en banque.
A. J. : L’exemple d’Amazon est intéressant. Nul n’a exigé de cette société qu’elle soit rentable. Le PDG demandait de l’argent, en promettant d’en gagner plus tard. On nous pose la question tous les jours. D’un côté, vous avez la course à la valorisation, de l’autre, la course à la rentabilité. Les groupes américains visent d’abord la valorisation, puis la rentabilité. On nous demande de faire les deux, et le second est prépondérant. Vous ne pouvez courir deux lièvres à la fois. Aujourd’hui, Leboncoin a trouvé un modèle vertueux qui lui permet de dégager plus de 50 % de résultat brut grâce à une très forte automatisation. La société investit chaque année la moitié de la marge de l’année précédente. Nous sommes en investissement permanent d’outils sur le marché français. Leboncoin, filiale du groupe norvégien coté Adevinta, vaut entre 4 et 5 milliards d’euros.
F. M. : Toutes les sociétés du secteur sont en concurrence. Des gens me contactent pour dire : « Fred, si tu vois passer un bon développeur, ce serait super si tu pouvais nous l’envoyer. »Je réponds : « Si on en voit un bon, on le prend. » C’est chacun pour soi, étant donné la pénurie. D’où l’inflation sur les salaires. Dans la Silicon Valley, les gens cherchent un emploi pour avoir un salaire et s’interrogent immédiatement sur le prochain cran dans dix-huit mois pour gagner x % de plus. On appelle cela le « job hopping ». Les salariés là-bas restent en moyenne dix-huit mois dans un poste, ce qui est un enfer pour un créateur d’entreprise.
R. V. : Un tiers de la communauté de Station F est international ; 600 personnes ne parlent pas français. Les Américains adorent la France. Il y a eu un effet Trump, un effet Brexit. Les start-up nous le disent clairement. Il y a aussi un effet Silicon Valley : trop cher, trop de concurrence. Les investisseurs ne veulent plus investir dans des entreprises qui ont des équipes techniques établies dans la Silicon Valley. Ils regardent justement des start-up avec de nouveaux modèles.
C. O : Il faut beaucoup plus de gens formés au numérique à tous les niveaux de compétence (ingénieurs, techniciens), étant donné que le premier goulet d’étranglement pour la croissance des entreprises du numérique françaises, c’est le recrutement, et non le financement. Il manque 80 000 postes aujourd’hui dans le numérique. Ce devrait être 200 000 en 2022, et 900 000 au niveau européen.
L’écosystème français
R. V. : Ce qui s’est passé en France ces dix dernières années, depuis mon arrivée dans le pays, m’a impressionnée mille fois plus que ce que j’ai vu aux Etats-Unis. Il n’existait qu’une centaine de start-up quand j’ai débarqué. Quelques années plus tard, tout le monde s’intéressait au sujet. Un vrai changement culturel s’est produit. Aux Etats-Unis, j’avais l’impression que tout existait. Je ne voyais pas comment faire là-bas pour avoir un vrai impact personnel, alors qu’ici tout était à créer. Il y a dix ans, les gens me regardaient comme si j’étais complètement folle. Pourquoi la France ? Que se passe-t-il en France ? Aujourd’hui, tout le monde me dit : « Je veux quitter San Francisco, c’est trop cher, c’est impossible d’innover. »
L’attractivité de la France
F. M. : Je pense que nous avons des valeurs à défendre. Les start-up qui naissent en France ont un ADN différent. Prenez l’exemple de sociétés comme Ynsect, Back Market, Too Good To Go ou Blablacar. Ces modèles n’existent pas aux Etats-Unis. Ils deviennent leaders de leur secteur. Ils sont made in France. Notre chance est de défendre des modèles correspondant à notre ADN pour créer des géants du numérique.
C. O : Nous aurons, dans les cinq ans à venir, de grandes entreprises françaises qui vont émerger et qui vaudront de 5 à 10 milliards d’euros. Ces deux dernières années, 34 entreprises françaises ont été valorisées entre 500 millions et 1 milliard d’euros. Elles ne vont pas toutes devenir des licornes, elles ne vont pas toutes valoir 5 milliards d’euros, mais, mathématiquement, certaines le deviendront. La plupart vont être financées sur des capitaux étrangers, mais elles garderont leur siège et leur ADN en France.
Paradoxalement, si on veut être plus souverains et plus puissants, il faut être plus ouverts. C’est la grande force de l’écosystème de Londres. Dans les start-up, 30 % à 40 % de la main-d’œuvre est étrangère, ce qui est indispensable. Ça vous fait gagner du temps, cela vous aide à conquérir l’international. Vous attirez des talents. Nous devons continuer d’aller dans ce sens, notamment avec le French Tech Visa, un visa très facile à avoir pour l’ensemble des entreprises technologiques étrangères.
Devant l’entrée de la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin), en décembre 2019. Sébastien Bozon / AFP
Le calendrier officiel d’arrêt des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin) est connu depuis plusieurs semaines : le premier réacteur s’arrêtera le 22 février, le second, le 30 juin. La doyenne des centrales nucléaires françaises cessera alors de fonctionner, conformément à un engagement pris par François Hollande en 2012 pendant sa campagne présidentielle, finalement honoré par Emmanuel Macron.
Cette fermeture a provoqué une intense négociation avec EDF sur les indemnisations – le groupe devrait toucher autour de 450 millions d’euros, dans un premier temps, puis recevoir une compensation pour l’électricité que la centrale aurait pu produire.
Le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), Bernard Doroszczuk, a précisé, lors de ses vœux annuels, les évènements qui suivront l’arrêt des installations. EDF a d’ores et déjà présenté, en septembre 2019, un plan de démantèlement. Celui-ci est en cours d’examen par l’ASN, qui doit définir les travaux devant être réalisés. Une deuxième phase doit cadrer les opérations de démantèlement. Un dossier approfondi sera remis à la fin de 2020 par EDF à l’ASN. « Son examen fera l’objet d’un processus assez long, qui débouche sur une enquête publique, puis sur un décret, souligne M. Doroszczuk. Le temps d’arriver à ce décret, cela devrait prendre quatre ou cinq ans. »
La question du maintien de l’emploi
S’il estime que le « site est bien préparé, bien mobilisé et a à cœur de réaliser dans de bonnes conditions ces opérations », il note toutefois que « les services centraux d’EDF » doivent renforcer leur accompagnement de ce projet.
Le président de l’ASN rappelle par ailleurs que Fessenheim a souvent été considéré « comme un bon site » en termes de sûreté. « Cela a encore été le cas en 2019 », souligne-t-il. La fermeture de la centrale, considérée comme un premier pas pour réduire la dépendance de la France au nucléaire par les écologistes, est très fortement critiquée par la filière de l’atome, qui y voit une erreur sur le plan climatique, cette énergie n’émettant que très peu de CO2.
L’arrêt des réacteurs pose par ailleurs un certain nombre de questions sur le maintien de l’emploi dans le territoire. EDF et les pouvoirs publics réfléchissent à des pistes pour maintenir une activité, et plusieurs engagements ont déjà été pris.
Une société d’économie mixte franco-allemande doit être constituée, afin de piloter plusieurs projets de reconversion du territoire situé autour de la centrale. Une des hypothèses jusque-là était la mise en place d’un centre de traitement des métaux qui aille au-delà du démantèlement de la centrale, en partenariat avec des entreprises allemandes. « Cela ne me paraît pas facilement concrétisable », a toutefois estimé la ministre de la transition écologique et solidaire, Elisabeth Borne, à l’Assemblée nationale, début janvier.
Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, arrive à la centrale nucléaire de Gravelines (Nord), mercredi 22 janvier. DENIS CHARLET / AFP
Il a fallu la visite du secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, mercredi 22 janvier à midi, à la centrale de Gravelines, pour braquer les caméras sur le combat des grévistes nordistes. « Il était temps », soupire un agent EDF. Depuis le 5 décembre 2019, le centre nucléaire de production d’électricité est touché par un mouvement social contre la réforme des retraites.
Celui-ci s’est doucement amplifié et, depuis le 14 janvier, près de 500 manifestants se relaient sur le piquet de grève à l’entrée du site, de jour comme de nuit. « Ça fait une semaine que je ne suis pas entrée dans la centrale, mais on est là tous les jours, déclare une femme syndiquée à la CGT. Pourquoi, jusqu’à présent, les médias ne parlent-ils pas de nous pour expliquer que l’on cotise deux fois plus que les autres pendant toute notre carrière et que l’on ne coûte rien à l’Etat ? »
Près d’un feu de palettes, David Maillet, 46 ans, dont vingt-quatre passés chez EDF, serre la main d’anciens agents en retraite depuis dix ans, venus soutenir les grévistes. Il n’a pas souvenir d’un mouvement d’une telle ampleur. Les anciens non plus. Ce technicien d’exploitation à la conduite dans la centrale fait grève… tout en travaillant pour assurer la sécurité du site. « Les gens pensent qu’EDF, c’est la poule aux œufs d’or. Mais c’est fini, ça. On mange notre pain noir. Et personne ne parle de nous parce qu’on n’est pas à Paris, à la RATP ou à la SNCF. »
Sur le site de la plus importante centrale nucléaire d’Europe de l’Ouest, les agents veulent aussi rappeler à l’opinion publique que leur outil de travail n’a rien d’anodin. « Parler de nucléaire, c’est tabou en France, estime Franck Redondo, secrétaire Force Ouvrière pour la centrale. Mais on travaille quand même avec de l’uranium. On a un métier à risque. Il y a un statut qui nous protège, et nous, on garantit votre sûreté ».
A l’arrivée de Philippe Martinez, mercredi, certains grévistes s’en sont pris aux médias. « Journalistes collabos ! Si c’est pour dire qu’on est des nantis ou des délinquants, c’est pas la peine ! » Avec calme, le délégué syndical CGT Stéphane Choquel tente d’expliquer la colère de ses collègues. « On nous annonce la fin de notre régime spécial et l’on fait croire aux gens que l’on a encore les acquis des anciennes générations, dénonce ce préparateur maintenance. Moi, je viens du privé, et en arrivant chez EDF, j’ai perdu 800 euros mensuels et ma voiture de service, alors nous traiter de nantis… »
« La tentation d’enterrer l’affaire peut être grande. » Gary Waters/Ikon Images / Photononstop
Depuis le 1er janvier 2019, la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel impose à tous les comités sociaux et économiques (CSE) de nommer parmi leurs membres un référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. La mesure s’inscrit dans le prolongement de la loi Rebsamen (2015) et de la loi travail (2016), qui ont intégré la notion de propos sexiste, et renforcé les obligations de l’employeur en matière de prévention contre le harcèlement sexuel.
Elle a été globalement saluée par les syndicats et les associations féministes, avec quelques réserves concernant l’insuffisance de moyens dont bénéficient ces référents – et surtout, les risques pesant sur leur indépendance. Les entreprises d’au moins 250 salariés doivent aussi désigner un second référent «chargé d’orienter, d’informer et d’accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes», précise le texte de loi.
Un an après l’entrée en vigueur de la mesure, les entreprises se sont-elles pliées à cette obligation ? Difficile à dire : « Le ministère du travail ne dispose pas d’outil informatique nous permettant de connaître dans quelle mesure [les CSE] le font réellement», nous indique le ministère. Quant aux référents désignés par l’employeur dans les entreprises de plus de 250 salariés, il n’existe aucun moyen de les recenser. Mais Karine Armani, fondatrice d’Equilibres, une société qui œuvre pour l’égalité au travail, considère que cette obligation est prise au sérieux : « Le mouvement #metoo, qui a mis en lumière le problème du harcèlement sexuel, a contribué à faire exister le sujet au sein des entreprises ».
D’autant que les cas portés devant la justice semblent en augmentation. Me Alain Antoine, du cabinet du même nom, et Me Guillaume Boulain, de CRTD & Associés, membres du réseau Eurojuris, témoignent tous deux d’une « hausse » des affaires de harcèlement sexuel. « A ce jour, le nombre de contentieux sur cette thématique reste stable, mais nous constatons une libération de la parole en entreprise », affirme de son côté Me Céline Vieu Del Bove, du cabinet Aguera Avocats.
Un texte de loi imprécis
Dirigeante de la société B2B consulting RH et ancienne DRH chez Thales, Béatrice Bretegnier a sondé des grandes entreprises de la région PACA, où elle exerce. «Fin décembre, quinze des dix-huit entreprises interrogéesavaient déjà nommé leur référent CSE et leur référent employeur ; pour les autres, qui ont constitué tardivement leur CSE, c’était en cours », rapporte-t-elle. Rappelons que les CSE devaient être constitués avant le 31 décembre 2019.
« La rémunération est de plus en plus complexe et individualisée. » Ingram / Photononstop
Les résultats des négociations annuelles obligatoires indiquent que les progressions salariales seront inférieures en 2020 à celles de 2019. Les études se succèdent depuis le début janvier pour l’annoncer, chiffres à l’appui. Certains groupes, comme le pharmaceutique Ipsen, les avaient achevées avant la fin de l’année, d’autres, comme l’assureur AXA, vont seulement s’y atteler. Comment les entreprises pensent leur politique de rémunération et interprètent les attentes des salariés ? Les Rencontres RH, nouveau rendez-vous de réflexion mensuel sur l’actualité du management, organisé par Le Monde en partenariat avec Leboncoin, se sont tenues mardi 14 janvier à la Maison de l’Amérique latine, à Paris, pour tenter d’y répondre.
Pour les salariés, la rémunération apparaît comme un élément d’identification sociale, explique la sociologue Elise Penalva-Icher, qui constate de grandes attentes de transparence de la part des salariés : « Discuter salaire, c’est dire qui je suis et où je me situe dans mon entreprise. Mais les grilles de salaire, qui étaient claires durant les “trente glorieuses”, sont devenues floues, avec la complexification des rémunérations et les dispositifs hétérogènes qui complètent le salaire : variable, intéressement, participation, épargne salariale, stock-options, etc.» En outre, « on a tendance à souvent changer le mode de rémunération, ce qui ajoute à la complexité et à l’opacité », indique le DRH d’Ipsen, Régis Mulot.
Comparaison brouillonne
En réaction, les salariés développent des stratégies relationnelles pour évaluer leur rémunération. Ils se comparent à leurs collègues ou à leurs supérieurs, sauf les femmes, qui s’informent plutôt auprès de leurs subalternes pour relativiser l’inégalité salariale qui les touche. Et cette comparaison brouillonne ne produit qu’insatisfaction, poursuit la sociologue de Paris-Dauphine.
Mais il est difficile d’être transparent sur l’ensemble de la rémunération, estime Jean-Christophe Sciberras, le directeur des relations sociales d’AXA. « Dans les années 1990, on a commencé à objectiver les rémunérations sur les résultats, et on a poursuivi sur des éléments d’appréciation subjective. Or, il n’est pas simple d’être transparent sur ces points-là. » D’autant que « tout n’est pas explicable dans une rémunération, dans la mesure où on parle d’humain », souligne Emmanuel Dufour, DRH d’Unibail-Rodamco-Westfield.
Mais « la demande de transparence ne porte pas tant sur les revenus que sur l’équité », estime Benoît Serre, vice-président délégué de l’Association nationale des DRH (ANDRH). « Ce que j’entends de mes collaborateurs, c’est qu’ils veulent comprendre le système, la cohérence », renchérit Régis Mulot. « Les cadres adhèrent au principe de personnalisation des rémunérations, mais sont perdus face à la mise en œuvre », note Mme Penalva-Icher.
La transparence est aussi portée par les actionnaires. « En quinze-vingt ans, le rôle de l’actionnariat a énormément évolué, pas seulement sur la rémunération des dirigeants, affirme Christophe Le Bars, DRH de Cegos. Dans de nombreuses assemblées générales, les actionnaires interrogent aujourd’hui sur les modalités de rémunération des salariés. »
L’enjeu est de taille, 87 % des cadres disent discuter de rémunération et il s’agit de ne pas perdre les meilleurs. A la Fédération française de sport automobile, la structure est modeste, « on est à moins de cinquante salariés, explique la responsable RH, Sophie Cassan. On est totalement dans l’individualisation des rémunérations, sans système variable. En périphérie, il y a bien la prise en charge de la mutuelle, mais la marge de manœuvre est réduite. Du coup, on crée des différences entre les cadres sans s’en rendre compte, et on en perd qui partent vers les grands groupes ».
De plus en plus complexe et individualisée
Pour fidéliser leurs salariés, « ces dernières années, les sociétés ont mis en avant bien d’autres éléments que la rémunération. Dans un contexte qui apparaît de plus en plus important concernant l’équilibre des temps de vie, les services ou “benefits” qui facilitent la vie des collaborateurs ont pris une importance croissante : facilité pour télétravailler, pour se déplacer, crèches d’entreprise pour les jeunes parents… », énumère Emmanuel Dufour.
Pour Frédéric Dubois, chargé des politiques de rémunérations du Groupe ADP (ex-Aéroports de Paris), ces dernières ont besoin d’être améliorées sur trois axes : le premier est ce qu’on paye, car si au départ le salaire payait le travail, aujourd’hui, la rémunération paye autre chose, de la flexibilité, du temps disponible, etc. ; le deuxième est l’équité reposée par la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) et, enfin, troisième point, la compétitivité sur le marché, avec, par exemple, l’actionnariat salarié pour partager le succès de l’entreprise.
La rémunération est de plus en plus complexe et individualisée. « La demande de transparence est avant tout le besoin de comprendre la stratégie de l’entreprise. Les manageurs doivent échanger davantage pour rendre l’équité plus lisible », recommande-t-il. L’étape suivante étant de redonner de la perspective aux systèmes de rémunération.
Les invités du 14 janvier
Ont participé aux rencontres RH du 14 janvier : Elise Penalva-Icher, sociologue de l’université Paris-Dauphine ; Frédéric Dubois, responsable du département rémunérations d’ADP, Emmanuel Dufour, DRH d’Unibail-Rodamco-Westfield ; Régis Mulot, DRH d’Ipsen ; Jean-Christophe Sciberras, directeur des relations sociales d’AXA ; Sophie Cassan, responsable RH de la Fédération française de sport automobile ; Christophe Le Bars, DRH de Cegos ; Wassila Kriche, responsable RH de la mutuelle Unéo ; Benoît Serre, vice-président délégué de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) ; Anne Rodier, journaliste, Le Monde ; Gilles van Kote, directeur délégué, Le Monde.
Le nombre de postes concernés (216) porterait à 336 le nombre de suppressions d’emplois chez C&A France, d’après les représentants du personnel. PHILIPPE HUGUEN / AFP
C&A réduit une nouvelle fois la voilure. L’enseigne d’habillement va fermer 30 de ses 150 magasins en France au cours de l’année 2020, ont annoncé les représentants de son personnel, par communiqué, mercredi 22 janvier. Les premières mesures prises à l’été 2019 n’ont pas été « suffisantes, selon la direction », a rapporté une représentante élue de Force ouvrière, quelques jours après la tenue d’un Comité social et économique (CSE), le 17 janvier.
En avril 2019, la marque avait affirmé son intention de fermer quatorze de ses points de vente dans l’Hexagone. Bien que cette première opération ne soit pas achevée, elle envisage « un nouveau projet d’adaptation », qui pourrait conduire à « lafermeture de trente magasins supplémentaires », a confirmé une porte-parole au Monde.
Trois de ces C&A sont situés en Ile-de-France, à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), Argenteuil (Val-d’Oise) et Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne). Plusieurs autres sont exploités dans de grosses agglomérations, dont Toulon (Var), Le Havre (Seine-Maritime), Brest (Finistère) et Toulouse (Haute-Garonne). L’enseigne avait déjà renoncé à ses adresses de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) et Caen (Calvados). Cette nouvelle liste ne comprend aucun des magasins de Paris que l’enseigne exploite boulevard Haussmann, en face des grands magasins du Printemps et rue de Rivoli.
« Contexte de marché exigeant »
Le nombre de postes concernés (216) porterait à 336 le nombre de suppressions d’emplois chez C&A France, d’après les représentants de son personnel. Le calendrier des fermetures devrait être précisé lors des prochains CSE, prévus en février.
Confrontée à la crise du marché français de l’habillement, l’enseigne serait dans le rouge « depuis au moins quatre ans », à en croire un élu. C&A avait déjà procédé à la fermeture d’une vingtaine de points de vente en deux ans, entre 2017 et 2018. Au printemps 2019, lors de l’annonce des 14 fermetures, le distributeur avait, pour expliquer sa décision, invoqué « le contexte de marché exigeant » et « lavolonté de sauvegarder sa compétitivité ». Exploitée dans l’Hexagone depuis les années 1970, C&A vend des vêtements à bas prix pour les hommes, les femmes et les enfants. Partout, elle est confrontée à la concurrence de Kiabi, H&M et Primark.
La France n’est pas le seul pays concerné par les mesures de réduction de coûts du groupe C&A (1 900 magasins dans le monde, dont 1 575 magasins en Europe). Outre-Rhin, l’enseigne détenue par la famille Brenninkmeijer, héritière des fondateurs de la chaîne née en 1841, a mis en œuvre un plan de retournement. Selon la presse locale, il porte sur la fermeture de 100 de ses 450 magasins.