Pour les routiers « les conditions de travail sont devenues très dures »

Le restaurant routier la barbe grise sur la départementale 940 est fermé depuis les mesures de confinement dû à l’épidémie de coronovirus COVID19. Coullons (45720). département du Loiret. région Centre-Val de Loire. France.

GUILLAUME HERBAUT POUR « LE MONDE »

Publié aujourd’hui à 09h02

Quand on quitte la région parisienne en empruntant l’autoroute A6, les voitures disparaissent. Les aires d’autoroute sont silencieuses, les stations-service presque à l’arrêt, et les boutiques n’ont souvent qu’un guichet pour seul accès. Des marquages au sol encadrent les machines à café pour délimiter la distanciation sociale, mais il n’y a personne alentour.

Depuis le 17 mars, les mesures de confinement imposées par le gouvernement ont vidé les routes de France. Il ne reste plus que les chauffeurs professionnels.

L’aire Orléans-Saran, sur l’autoroute A10, durant le confinement imposé pour lutter contre l’épidémie due au coronavirus, le 23 avril.
L’aire Orléans-Saran, sur l’autoroute A10, durant le confinement imposé pour lutter contre l’épidémie due au coronavirus, le 23 avril. GUILLAUME HERBAUT POUR « LE MONDE »
Un chauffeur routier sort des toilettes, où il s’est lavé, sur l’aire de repos Orléans-Saran. Au sol, des marquages pour faire respecter la distanciation sociale près des machines à café.
Un chauffeur routier sort des toilettes, où il s’est lavé, sur l’aire de repos Orléans-Saran. Au sol, des marquages pour faire respecter la distanciation sociale près des machines à café. GUILLAUME HERBAUT POUR « LE MONDE »
Un restaurant routier le long de la départementale D2007, dans le Loiret, fermé depuis les mesures de confinement. Avant la crise, il faisait 150 couverts par jours et pouvait accueillir 80 camions sur son parking.
Un restaurant routier le long de la départementale D2007, dans le Loiret, fermé depuis les mesures de confinement. Avant la crise, il faisait 150 couverts par jours et pouvait accueillir 80 camions sur son parking. GUILLAUME HERBAUT POUR « LE MONDE »

Pierre Audet, 47 ans, a passé la nuit dans son camion, garé à la sortie de la ville de Souesmes (Loir-et-Cher), le long de la route départementale D724. Ce matin, il fait sa toilette en utilisant l’eau de son jerrican. « Les conditions de travail sont devenues très dures. Avec la fermeture des restaurants routiers, nous avons moins accès aux sanitaires, et prendre une douche devient compliqué », raconte M. Audet en buvant un café dans la cabine de son 44 tonnes, un camion avec remorque, qui peut transporter 38 palettes.

« La première semaine de confinement, c’était le chaos. On n’avait pas prévu la fermeture des restos. Les parkings étaient bloqués. Et les sanitaires, fermés. On avait vraiment l’impression d’être des pestiférés. » Depuis, la situation s’est un peu améliorée. En Ile-de-France, par exemple, quatre aires de repos ont été ouvertes par la région, le 20 avril, pour pallier le manque de douches et de toilettes.

Le 22 avril, Pierre Audet, chauffeur routier, attend sur le parking de la société FM de plate-forme logistique alimentaire, à Fontenay-Trésigny (Seine-et-Marne), de livrer 25 tonnes d’huiles.
Le 22 avril, Pierre Audet, chauffeur routier, attend sur le parking de la société FM de plate-forme logistique alimentaire, à Fontenay-Trésigny (Seine-et-Marne), de livrer 25 tonnes d’huiles. GUILLAUME HERBAUT POUR « LE MONDE »
Au bord de l’A10, un magasin Ikea, d’habitude très fréquenté. Un peu plus loin, la zone commerciale de Villabé.
Au bord de l’A10, un magasin Ikea, d’habitude très fréquenté. Un peu plus loin, la zone commerciale de Villabé. GUILLAUME HERBAUT POUR « LE MONDE »
L’aire d’autoroute de Limours-Janvry (Essone), sur l’A10.
L’aire d’autoroute de Limours-Janvry (Essone), sur l’A10. GUILLAUME HERBAUT POUR « LE MONDE »

Pourtant essentiels pour assurer les approvisionnements et éviter toute pénurie alimentaire, les chauffeurs routiers se plaignent également du manque de matériel de protection et de leurs conditions de travail. Certains ont fait valoir leur droit de retrait. Jeudi 7 mai, l’UFR-CFDT, premier syndicat du transport routier, appelle à la grève afin de réclamer des aides pour les salariés « de la deuxième ligne ».

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« Les gens ont une mauvaise image de nous. Pourtant sans nous les marchandises ne circuleraient pas. En continuant à rouler, malgré la crainte d’attraper le Covid-19, on participe à l’effort national. Si on ne roulait pas, cela serait la guerre civile. On fait parti des invisibles, essentiels au fonctionnement de la société. Après vingt-quatre ans de carrière, je suis seulement payé 11,20 euros de l’heure. »

Banderole de soutien aux chauffeurs routiers sur l’autoroute 77.
Banderole de soutien aux chauffeurs routiers sur l’autoroute 77. GUILLAUME HERBAUT POUR « LE MONDE »
A gauche : Pierre Audet, chauffeur routier, fait sa toilette au bord de la route avant de commencer sa journée. A droite : un chauffeur routier se prépare à manger sur le parking de la société FM de plate-forme logistique alimentaire à Fontenay-Trésigny (Seine-et-Marne).
A gauche : Pierre Audet, chauffeur routier, fait sa toilette au bord de la route avant de commencer sa journée. A droite : un chauffeur routier se prépare à manger sur le parking de la société FM de plate-forme logistique alimentaire à Fontenay-Trésigny (Seine-et-Marne). GUILLAUME HERBAUT POUR « LE MONDE »
Restaurant routier abandonné, le long de la départementale D2007, dans le Loiret, le 23 avril.
Restaurant routier abandonné, le long de la départementale D2007, dans le Loiret, le 23 avril. GUILLAUME HERBAUT POUR « LE MONDE »

Depuis le début du confinement, Pierre Audet prévoit une semaine de nourriture avant chaque départ le lundi. Sur la route, les restaurants fermés défilent, sans que l’on sache s’ils étaient abandonnés avant le confinement, comme les nombreuses boutiques des centres-villes.

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Emplois à domicile : le chômage partiel reconduit jusqu’au 1er juin

Si vous n’avez pas recours en mai à votre employé de ménage ou votre garde d’enfant habituel, vous pouvez, comme en avril, utiliser le dispositif d’activité partielle.
Si vous n’avez pas recours en mai à votre employé de ménage ou votre garde d’enfant habituel, vous pouvez, comme en avril, utiliser le dispositif d’activité partielle. Wavebreak Media / Photononstop

Personnel de ménage, garde d’enfant, etc. : le dispositif d’activité partielle, mis en place au début de la crise sanitaire en faveur des salariés des particuliers employeurs, est reconduit au mois de mai, ont annoncé les ministres de la santé et des finances fin avril. Il devrait cesser à compter du 1er juin.

En mars, plus de la moitié des particuliers employant des salariés à leur domicile (55 %) ont eu recours à ce dispositif temporaire d’indemnisation partielle. Sur Pajemploi, la plate-forme destinée à ceux qui font garder leurs enfants par une assistante maternelle ou une nounou à domicile, le taux de recours a été de 32 %. Au total, cette mesure a permis à 361 770 salariés d’être indemnisés, pour un montant total de 76 millions d’euros.

Fin du dispositif pour garde d’enfant

Ce dispositif est en outre étendu, depuis le 1er mai, aux salariés qui bénéficiaient du dispositif dérogatoire d’indemnisation des arrêts de travail mis en place au début de la crise : les parents contraints de garder leur enfant, les personnes présentant un risque de développer une forme sévère de la maladie ou les personnes cohabitant avec celles-ci. Les salariés concernés basculent automatiquement dans le dispositif d’activité partielle.

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En pratique, à la fin du mois de mai, si votre salarié n’a pas travaillé, il vous suffira de remplir, comme fin avril, le formulaire de demande d’indemnisation exceptionnelle, accessible sur les sites Cesu et Pajemploi, en indiquant les heures qui auraient dû être effectuées et qui ne l’ont pas été en raison du confinement, ainsi que leur taux horaire.

Une fois le formulaire validé, vous recevrez un mail vous confirmant l’acceptation de votre demande et vous indiquant la somme à verser à votre salarié. Elle est égale à 80 % du salaire net correspondant aux heures non rémunérées. Ce montant vous sera remboursé dans les jours qui suivent par virement sur votre compte bancaire.

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Il ne vous restera plus qu’à verser cette somme à votre salarié, augmentée, le cas échéant, d’un complément correspondant à la fraction du salaire non prise en charge par l’Etat – les 20 % restant. Ce complément qualifié de « don solidaire » n’est pas soumis aux cotisations sociales et ne devrait pas vous permettre, a priori, de bénéficier du crédit d’impôt pour emploi d’un salarié à domicile, ni du complément libre choix du mode de garde.

Coronavirus : chez Renault à Flins, la production remonte progressivement en cadence

Des employés portant des masques de protection travaillent sur la ligne de montage de la Renault Zoé, dans l’usine de Flins (Yvelines), mercredi 6 mai.
Des employés portant des masques de protection travaillent sur la ligne de montage de la Renault Zoé, dans l’usine de Flins (Yvelines), mercredi 6 mai. GONZALO FUENTES / REUTERS

Du haut de son double mètre, l’homme embrasse du regard la ligne de montage où s’affairent des dizaines d’ouvriers masqués, comme lui, autour des Renault Zoé (et quelques Nissan Micra) en cours d’assemblage. Derrière le tissu, on devine le sourire satisfait malgré la molle cadence de la chaîne de montage. « On est à 75 % de notre vitesse d’avant le confinement, précise-t-il. Mais ce n’est pas si important. L’essentiel dans cette phase de reprise, c’est de donner confiance à nos opérateurs. »

Lui, c’est Jose-Vicente de Los Mozos, le directeur fabrication et logistique de la firme au losange. Il a la lourde tâche de faire redémarrer le moteur industriel de Renault, ses 53 usines et centres logistiques dans 16 pays qui ont presque tous été mis à l’arrêt par la pandémie due au coronavirus. En ce mercredi 6 mai, le patron industriel est à Flins (Yvelines), dans le cadre d’une tournée des usines françaises. Ces dernières ont, pour la plupart, repris il y a deux semaines et commencent à remonter en cadence à l’approche du déconfinement du 11 mai.

Le réveil industriel

Après une hibernation forcée d’une cinquantaine de jours, toute la filière automobile semble s’ébrouer dans une Europe terrassée par le Covid-19. Renault a rouvert toutes ses usines du Vieux Continent (sauf en Russie où il lui a fallu refermer après une reprise prématurée).

En France, c’est aussi le réveil industriel. Le site français de Toyota à Valenciennes s’est remis à tourner il y a deux semaines, puis ce fut Renault dans la foulée, qui atteint désormais la cadence de 1 500 à 2 000 véhicules produits par jour dans l’Hexagone (deux fois moins qu’avant l’épidémie). Le losange a été plutôt en avance, comparé au grand rival PSA. Cette semaine, la production du groupe au lion redémarre au Maroc, au Portugal et en Slovaquie. Quant aux sites français de Peugeot-Citroën, ils ne reprendront qu’à partir du 11 mai. Le principe pour PSA est de coller au commerce : « Nous souhaitons absolument être tirés par l’activité commerciale et pas l’inverse », explique Yann Vincent, directeur industriel de PSA.

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Pour Renault, la logique est plutôt celle d’un deux temps : phase 1, on habitue les équipes à produire dans un nouvel environnement ; phase 2 on augmente la cadence au fur et à mesure que les ventes reprennent, alors que la marque va rouvrir 90 % de ses concessions le 11 mai. « Nous aurons besoin d’un rebond commercial pour faire repartir pleinement l’outil industriel, souligne M. de Los Mozos, mais la première phase a été importante psychologiquement. En Espagne, durant les premiers jours du redémarrage, la peur était palpable chez les salariés. Puis, peu à peu, les opérateurs se sont familiarisés avec notre protocole de sécurité. »

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Restaurateurs, régisseurs, guides… ces métiers de la culture menacés par la crise

Au Palais de la Porte-Dorée à Paris, fin février, on ne pouvait rater les douze grands vitraux, retraçant la vie et l’œuvre de Christian Louboutin. « Un an de travail », sourit avec fierté Emmanuelle Andrieux, patronne de la Maison du Vitrail qui les avait façonnés. Trois mois plus tard, sa PME attend toujours le règlement de la commande. Une autre facture est en souffrance auprès des Galeries Lafayette, dont elle assurait la restauration de la coupole depuis juillet 2019. « Avec le confinement, tout est devenu compliqué », soupire la jeune femme.

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Depuis qu’elle a dû mettre ses 11 salariés en chômage partiel, elle essaye de ne pas rester les bras croisés dans son atelier du 15e arrondissement parisien. Restaurateur de meuble et objets d’art dans le nord de la France, fournisseur du Mobilier national depuis 2007, Patrice Bricout aurait, lui, bien trois-quatre meubles à remettre d’aplomb. « Je suis bloqué parce que je travaille avec d’autres artisans, notamment un doreur et un gainier, qui ont dû arrêter toute activité », confie-t-il.

Problèmes de trésorerie

Tous deux redoutent une chute de 40 % de leur chiffre d’affaires annuel. Selon une enquête réalisée par l’Institut national des métiers d’art, 58 % des artisans rencontrent aujourd’hui des problèmes de trésorerie, 41 % ont subi des annulations de commande, et 58 % subissent des difficultés d’approvisionnement ou de sous-traitance.

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Ces métiers indispensables aux musées forment avec d’autres professions invisibles mais essentielles un « deuxième front » de la culture qui subit de plein fouet les effets de la crise liée au coronavirus. Selon une enquête du CIPAC, la fédération des professionnels de l’art contemporain, les indépendants du secteur des arts visuels, tels que les régisseurs ou médiateurs, ont vu 72 % de leurs activités annulées ou reportés. Perrin Keller est de ceux-là. Autoentrepreneur depuis cinq ans, ce régisseur monte habituellement des expositions à la Fondation Fernet-Branca, à Saint-Louis dans le Haut-Rhin, ou au château de Montbéliard (Doubs). En trois mois, il accuse déjà un manque à gagner de 4 000 euros et, malgré un chantier privé auquel il doit s’atteler après le déconfinement, son horizon reste flou.

Habitués à la précarité comme au travail saisonnier, les guides conférenciers tremblent aussi à l’approche d’un été qui s’annonce pourri. Traditionnellement, ils réalisent près de 50 % de leur chiffre d’affaires annuel de mai à septembre. Guide sur les plages du débarquement, Sylvain Kast, qui travaille à 95 % avec une clientèle américaine, chiffre ses pertes à 6 000 euros pour mars et avril. Pour l’été, il n’a reçu aucune demande de visite et n’imagine pas une reprise du tourisme avant… mars 2021. « On a reçu l’aide de 1 500 euros en mars, mais le fonds de solidarité ne va pas durer. Comment tenir ce long tunnel ? », s’interroge Kijun Kou, guide en langue chinoise.

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L’Institut Montaigne souhaite une augmentation du temps de travail pour « rebondir face au Covid-19 »

L’Institut Montaigne propose notamment de permettre aux entreprises de « déroger au temps de repos minim[al] quotidien de 11 heures minimum par jour ».
L’Institut Montaigne propose notamment de permettre aux entreprises de « déroger au temps de repos minim[al] quotidien de 11 heures minimum par jour ». ARNOLD JEROCKI / DIVERGENCE POUR « LE MONDE »

Des journées de travail plus longues, un jour férié en moins, une semaine de vacances scolaires qui saute, un recours accru au forfait jour dans la fonction publique… dans une note publiée mercredi 6 mai, l’Institut Montaigne, un think tank libéral, plaide pour une augmentation du temps de travail après le confinement.

« Les périodes de confinement strict ou assoupli, et la nécessité de travailler en coexistant durablement avec un virus en circulation vont bouleverser durablement nos organisations productives », peut-on lire dans cette note.

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Pour « rebondir face au Covid-19 », l’Institut Montaigne propose d’« assouplir quelques verrous juridiques persistants » en permettant aux entreprises de « déroger au temps de repos minimum [sic] quotidien de 11 heures minimum par jour ». Autre mesure suggérée : autoriser l’employeur « à titre temporaire (par exemple jusqu’en 2022) à imposer le rachat de jours de RTT pour les salariés au forfait sans majorations ».

« Diminuer le nombre de RTT dans la fonction publique »

L’Institut souhaite un « accroissement du temps de travail sans pour autant que la rémunération supplémentaire correspondante ne [sic] soit versée immédiatement ». Par exemple, en intégrant le versement des heures supplémentaires « dans la formule de calcul de la réserve minimale de participation versée l’année suivante », voire ultérieurement.

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Autres mesures défendues par le centre de réflexion, la suppression du jeudi de l’Ascension comme jour férié, en maintenant les écoles ouvertes, et la suppression en 2020 de la première semaine des vacances scolaires de la Toussaint.

La fonction publique fait l’objet de plusieurs propositions, telles que la hausse temporaire de la durée de travail pour les « fonctionnaires de secteurs d’activité nécessaires à la vie économique ou en tension (), en contrepartie d’une rémunération supplémentaire et après concertation avec les organisations syndicales ». Pour être crédible, l’Etat devrait d’abord solder les heures supplémentaires impayées, souligne-t-il.

La note prône également d’« accroître les catégories éligibles aux forfaits jours dans la fonction publique » et de « diminuer le nombre de RTT dans la fonction publique, à titre provisoire ».

L’Ugict-CGT, qui a publié mardi ses propositions pour sortir de la crise, a, au contraire, appelé à plus d’embauches. « Plutôt que d’augmenter la durée hebdomadaire ou annuelle de travail, au risque de surexposer et d’affaiblir les personnels par une charge et un temps de travail excessifs, il convient de débloquer les budgets pour opérer des recrutements, réduire le temps effectif de travail et répartir l’activité sur un plus grand nombre d’individus pour la sécuriser. »

Le Monde avec AFP

Zoom, la souveraineté numérique et « l’impératif de sécurité à l’heure du télétravail »

Eric Yuan, patron de la plate-forme américaine de visioconférence Zoom, à New York, en avril 2019.
Eric Yuan, patron de la plate-forme américaine de visioconférence Zoom, à New York, en avril 2019. Carlo Allegri / REUTERS

Pertes et profits. Le ministre chargé du numérique, Cédric O, a produit son petit effet devant les députés, mardi 5 mai. Alors que tous les hiérarques politiques se gargarisent du mot « souveraineté », il leur a fait remarquer que le système de visioconférence par lequel ils communiquaient avec lui, la plate-forme américaine Zoom, lui posait problème. « Je n’ignore pas qu’en termes d’expérience utilisateur, c’est probablement la meilleure solution, mais ça pose quand même des vraies questions en termes d’indépendance stratégique de la France », leur a-t-il lancé, rappelant que ses services déconseillent fortement son usage, compte tenu des lacunes au niveau de la protection des données, et que des alternatives françaises existent.

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Zoom est devenue, à la faveur de la crise sanitaire, l’application Internet la plus téléchargée au monde, avec près de 300 millions d’utilisateurs. Pas mal pour une solution lancée en 2012 dans la Silicon Valley par un ingénieur sino-américain, Eric Yuan, émigré quinze ans plus tôt en Californie. Comme tout un chacun, les parlementaires ont été séduits par la simplicité de cette application gratuite, qui ne nécessite aucun téléchargement. Cette mésaventure appelle deux remarques.

Négligence

Tout d’abord, en dépit de ce que l’on raconte trop facilement, le monde de la technologie n’appartient pas qu’au quintette Google-Apple-Facebook-Amazon-Microsoft. Aucun d’eux, pas plus que Cisco, pourtant leader du secteur, n’a été capable de concurrencer Zoom dans sa facilité d’usage, d’accès, et dans la qualité de son service. Eric Yuan travaillait chez Cisco dans les années 2000. Il leur a proposé de développer une application simple, fonctionnant entièrement sur Internet et utilisable sur un smartphone. La firme n’en a pas voulu. Google ou Facebook tentent de rattraper leur retard. C’est la force de la Silicon Valley de faire émerger constamment de nouveaux concurrents.

Mais cette histoire met en lumière également la négligence de chacun, député ou entrepreneur de start-up, à prendre en compte l’impératif de sécurité à l’heure du télétravail. Pirater Zoom était facile ; le système a été piraté. Aujourd’hui, d’autres assaillants s’attaquent, sur ordre, aux laboratoires pharmaceutiques et agences de santé des pays luttant contre le Covid-19. La cyberguerre frappe à notre porte. Et à cela non plus nous ne sommes pas prêts. Comme si nous étions projetés d’un coup, par la faute d’un virus, dans un futur dont nous n’avons pas assimilé les codes, celui de la civilisation numérique.

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Apprentissage : le Covid-19 donne un coup d’accélérateur à la numérisation des CFA d’entreprise

« Une soixantaine d’entreprises se sont emparées de la possibilité offerte par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel (2018) pour créer leur propre centre de formation d’apprentis. »
« Une soixantaine d’entreprises se sont emparées de la possibilité offerte par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel (2018) pour créer leur propre centre de formation d’apprentis. » RoberRobert Hanson/Ikon Images / Photononstop

Une soixantaine d’entreprises se sont emparées de la possibilité offerte par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel (2018) pour créer leur propre centre de formation d’apprentis (CFA). « Malheureusement, la crise sanitaire va leur donner un coup de frein car le nombre d’apprentis est toujours lié à la conjoncture économique », estime Aurélien Cadiou, président de l’Association nationale des apprentis de France (Anaf). Un avis que ne partage pas Yann Bouvier, chargé de mission à la Fondation innovation pour les apprentissages (FIPA), qui regroupe treize entreprises dont Air France, BNP, Veolia… « Les ouvertures et les projets de CFA d’entreprise restent totalement d’actualité, même s’il peut y avoir quelques reports. Le problème va être pour eux de remplir les classes, car le confinement est tombé en pleine campagne de recrutement des apprentis. »

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Pour cela, les entreprises adaptent leur communication vers les candidats. « A mi-avril, nous enregistrions un retard de 5 % à 8 % sur les admissions par rapport aux autres années, explique Pascal Picault, directeur du Formaposte, CFA des métiers de La Poste. Mais nous avons réussi à maintenir le sourcing des candidats : jury à distance, visioconférences, salons virtuels… L’utilisation du digital était prévue avant la crise, nous avons juste accéléré. »

Gratuit jusqu’à fin juin

Le CFA des chefs devait accueillir ses premiers apprentis à partir du 23 mars à Paris, Lyon et Marseille mais, confinement oblige, le premier CFA interentreprises, créé par Adecco, Accor, AccorInvest, Korian et Sodexo, a dû, comme les autres, fermer ses portes le 16 mars. « Même s’il n’y a plus de forums de recrutement ou de journées portes ouvertes, nous organisons des réunions d’informations collectives à distance », explique Françoise Merloz, directrice du CFA des chefs.

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L’inscription se fait en ligne, de même que les tests de sélection. Un entretien par téléphone ou en visioconférence complète le dispositif. Les jeunes sélectionnés – avant et pendant le confinement – ont un accès gratuit à des cours en ligne jusqu’à fin juin, afin de les faire patienter jusqu’aux premières formations reportées à fin août début septembre.

Autre report, chez Engie : « L’ouverture du CFA prévue en septembre 2020 est reportée à janvier 2021, a annoncé le DRH Groupe Pierre Deheunynck. On s’est reconnecté avec Pôle emploi et les réseaux écoles. Sur le recrutement, on envisage des entretiens digitaux. Nous décentraliserons le recrutement et on aura à réorienter les équipes. Mais on saura recontractualiser les alternants. »

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Médecine du travail : dilemme à l’hôpital

Chronique. Protéger ou remettre au travail : une alternative qui se pose à l’hôpital, même pour les plus fragiles. Comme pour tous les travailleurs, le Haut Conseil de la santé publique s’est prononcé sur la protection des soignants vulnérables, qui de par leur état de santé (diabète, maladie cardiovasculaire, mucoviscidose, etc.) développeraient en cas de contamination par le Covid-19 une forme grave de la maladie. Il a recommandé « une exclusion des services à haut risque de transmission » ou « un réaménagement du poste de travail ».

Concrètement, le médecin du travail informe les responsables des ressources humaines que l’agent doit être en autorisation d’absence. Sauf que les hôpitaux ont manqué de bras. « On était en guerre », rappelle Jean-Dominique Dewitte, le président de la Société française de médecine du travail (SFMT).

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Avec le double objectif de « contribuer à la protection des agents, mais aussi [de] contribuer à maintenir la capacité soignante des établissements », le 23 mars la SFMT a publié une nouvelle recommandation. Elle y préconise une application variable de la mise en arrêt des personnels soignants fragiles, en fonction de la gravité de leur situation.

Un classement des catégories à risque

Dans un tableau, elle classe les services hospitaliers en quatre catégories de risque de contamination et détaille le seuil de fragilité en deçà duquel elle estime non indispensable l’éviction d’un agent vulnérable. Les médecins du travail qui suivent la recommandation le réaffectent alors dans un autre service. « Aucune des personnes qu’on a laissées au travail dans notre hôpital n’a été contaminée », note M. Dewitte.

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Y a-t-il une prise de risque pour les agents vulnérables ? « Probablement un petit peu, reconnaît Jean-François Gehanno, l’ancien président de la SFMT. Au départ, la question était : Peut-on affecter ces personnes dans un service hors Covid ? » « Quand on a rédigé en urgence la recommandation, beaucoup nous demandaient de les aider à prendre des décisions, car dans l’Est, il n’y avait plus suffisamment de médecins ni de personnel soignant. Il fallait préserver les forces. Le fait d’avoir fait ces recommandations nous a été reproché, on n’aurait pu nous reprocher le contraire », ajoute M. Dewitte.

« Les recommandations de la SFMT peuvent être interprétées au détriment de la protection des salariés fragiles, s’inquiète un interne en médecine du travail. C’est évidemment moins protecteur d’être réaffecté dans un service hors Covid que de rester chez soi », précise-t-il.

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« Transition écologique : le choc des réalismes »

Gouvernance. Dans l’incertitude actuelle sur la violence de la récession économique, faut-il retarder ou accélérer la transition écologique ? Une lettre de Geoffroy Roux de Bézieux à la ministre de la transition écologique, Elisabeth Borne, a lancé le débat. Le président du Medef demandait un moratoire de six mois pour l’application de la loi du 10 février 2020 visant à lutter contre le gaspillage et à développer l’économie circulaire, et de la loi de 2015 sur la transition énergétique pour la croissance verte.

Selon ses arguments, la chute du PIB pourrait dépasser 3 % en 2020, ce qui condamnerait nombre d’entreprises à la faillite et détruirait au moins 500 000 emplois. Pour M. Roux de Bézieux, les conditions ne sont pas remplies pour appliquer ces lois, en particulier dans certaines industries, comme l’automobile.

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Quand les entreprises doivent lutter pour relancer leurs activités et parfois leurs marchés, il ne serait pas sage de les accabler de contraintes environnementales supplémentaires. Quand elles retrouveront leurs marges, elles pourront répondre aux normes d’une « croissance verte » : tel est l’avis du Medef, qui, comme tel, est respectable et discutable.

Source de prospérité économique future ?

La transition énergétique a souvent été présentée, ces dernières années, comme une opposition entre réalistes et idéalistes ou entrepreneurs contre écologistes. Or cette division crée un faux débat car la question n’est pas d’opposer les contraintes économiques aux contraintes environnementales, mais de savoir si la transition énergétique et écologique peut constituer ou non une source de prospérité économique future.

Le clivage véritable se situe donc plutôt entre ceux qui croient que cette transition est un relais de prospérité, même si la prospérité passe par une adaptation des entreprises et parfois des faillites ; et ceux qui n’y croient pas et considèrent qu’il faut revenir à l’économie « comme avant », pour pouvoir répondre aux exigences environnementales dans un second temps. Dans les deux cas, il s’agit d’affronter des réalités difficiles.

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Pour les partisans de la croissance verte, il n’est plus possible d’espérer financer la transition grâce à la prospérité économique globale. En période de récession, on devra compter seulement sur la création de richesses nouvelles permise par l’économie verte, quitte à accepter que la transition conduise, momentanément, à de la casse sociale.

Trancher et assumer

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Reprendre possession de son travail

« Les Dépossédés de l’open space. Une critique écologique du travail  »de Fanny Lederlin. PUF, 276 pages, 19,90 euros.
« Les Dépossédés de l’open space. Une critique écologique du travail  »de Fanny Lederlin. PUF, 276 pages, 19,90 euros.

Livre Le travail humain n’est pas près de déserter nos vies, n’en déplaise aux apôtres de sa disparition. Ce qui est à l’œuvre avec la nouvelle révolution industrielle n’est pas tant une dématérialisation qu’une numérisation du travail, autrement dit l’avènement du « digital labour », le travail du chiffre (« digit »), mais aussi du doigt (« digit »), celui des hommes et des femmes qui, derrière les écrans des machines, entraînent des algorithmes, regardent des images, lisent des informations, cliquent sur des liens, produisent, nettoient et classent des contenus.

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Ce n’est pas de disparition, mais de dégradation que les mutations technologiques menacent le travail, tranche Fanny Lederlin dans Les dépossédés de l’open space (PUF). Eclatement des formes traditionnelles d’emploi assurant aux salariés la stabilité d’un revenu, dissolution des frontières entre les sphères professionnelles et privées, renforcement des logiques productivistes, réduction des facultés des travailleurs à la seule capacité d’adaptation et étouffement des facultés créatrices du travail… « Il semblerait non seulement que le travail humain doive coexister avec le travail automatisé, mais aussi qu’il soit amené à se développer et à s’étendre… pour servir les robots », estime la philosophe, doctorante à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne.

Puisque l’exploitation massive du travail humain perdure, comment expliquer le foisonnement de récits futuristes annonçant l’avènement d’une humanité libérée du travail, de voitures sans chauffeurs, d’entrepôts sans ouvriers et de champs sans agriculteurs ? Comment interpréter le succès de cette rhétorique de l’automation ? « L’étonnement finit de se changer en suspicion devant l’effort d’occultation de ce travail humain de masse persistant. Car si les professions de “start-upeur”, d’artiste ou d’“expert” sont aujourd’hui médiatisées au point de donner l’illusion qu’elles sont accessibles à tous, les métiers du soin comme ceux du clic sont constamment invisibilisés. »

Créateur et non destructeur

Agentes d’entretien priées de passer avant sept heures pour éviter de croiser les salariés des entreprises qu’elles nettoient, chauffeurs de VTC à qui l’on demande de se faire discrets aux sorties des aéroports, myriade de petites mains dont les plates-formes numériques taisent l’existence… « Jamais, semble-t-il, le travail n’a été aussi bien dissimulé par le capital. »

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L’ouvrage isole trois manifestations à l’œuvre dans le néotravail : l’atomisation sociale et mondaine, à savoir la disparition de la notion d’emploi au profit d’une « tâcheronisation » et d’une indistinction croissante entre temps de travail et temps libre ; la dépréciation de la nature des gens, avec l’avènement d’une époque où il ne s’agit plus de prendre soin de notre environnement ; et, enfin, la totalisation des esprits via la généralisation des modes d’évaluation qui rendent possible l’endoctrinement de travailleurs coupés de leur faculté de juger.

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