« Il n’existe aucune preuve de l’impact d’une formation de sensibilisation aux enjeux climatiques sur les comportements »

Les engagements politiques pour le climat sont en grande partie le fruit d’une prise de conscience collective. Les résultats d’une enquête réalisée dans 20 pays et sur plus de 40 000 répondants montrent qu’il existe une reconnaissance quasi unanime (plus de 75 % des répondants dans chaque pays) de la menace majeure que représente le changement climatique.

Les Français sont particulièrement conscients de l’origine humaine du changement climatique. Une enquête sur près de 3 000 résidents français montre que plus de 90 % des personnes interrogées reconnaissent que le changement climatique est en cours, et 35 % le qualifient de « catastrophique ».

Pourtant, il existe un fossé entre la gravité perçue du changement climatique et les comportements effectifs : la voiture reste majoritaire pour les déplacements domicile-travail, même pour de courtes distances, une douche moyenne dure neuf minutes (contre cinq recommandées), la diminution du volume des déchets ménagers est loin des objectifs fixés ; les Français prennent l’avion cinq fois plus que la moyenne mondiale.

Manque de conscience

Les citoyens ne semblent donc pas pleinement disposés à faire tous les efforts nécessaires pour lutter efficacement contre le changement climatique. Une hypothèse pour expliquer ce différentiel entre attitudes déclarées et comportements effectifs est le manque de conscience de la part des citoyens du degré de transformation profonde qui serait nécessaire pour éviter une catastrophe collective.

Une montée en compétences sur les enjeux climatiques pourrait contribuer à cette prise de conscience. De nombreuses initiatives affichent aujourd’hui l’objectif de former à ces enjeux. Axa a lancé en avril 2021 la Climate School, une formation en ligne consacrée aux enjeux environnementaux, s’adressant aux salariés d’entreprises de tous les secteurs. EDF multiplie les formations destinées à l’ensemble de ses salariés, notamment sur l’environnement et le développement durable.

Ainsi, trente-deux mille de ses collaborateurs ont participé à la fresque du climat, un atelier de sensibilisation au changement climatique. Selon les chiffres de l’association prestataire de cet atelier, un million de personnes ont participé à une fresque du climat depuis sa création en 2018, essentiellement dans les universités, les entreprises et les collectivités territoriales.

Toutes ces initiatives de formation mobilisent des ressources importantes en temps (et en argent pour les formations payantes), avec la promesse que ceux qui y participent seront « motivés et outillés pour agir à leur niveau ».

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Philippe Moati, économiste : « La crise de l’habillement pourrait bien s’étendre à d’autres secteurs du commerce »

Economiste, cofondateur de l’Observatoire Société & Consommation et professeur à l’université Paris Cité, Philippe Moati analyse la crise structurelle du modèle traditionnel du prêt-à-porter et la place, de plus en plus importante, de la maison pour les Français.

Comment décryptez-vous la situation dramatique du secteur du prêt-à-porter ?

C’est un secteur qui souffre d’une dynamique structurelle défavorable. Répondant à un besoin saturé, il a vécu sous perfusion à coups d’accélération des collections et de surenchère promotionnelle. Il est aujourd’hui victime des arbitrages des consommateurs face à l’inflation et de la prise de conscience de son impact environnemental. L’« ultrafast fashion » et la seconde main créent une nouvelle concurrence par le bas, alors que d’autres misent sur la montée en gamme. C’est le milieu de gamme peu différencié, et désormais relativement cher, qui souffre le plus. Cette crise de l’habillement pourrait bien s’étendre à d’autres secteurs du commerce. Nous vivons une mutation du modèle de consommation et de la structuration des filières d’offre. Nous passons d’une logique descendante, centrée sur le produit, à une logique ascendante, centrée sur le client.

Quels sont les résultats immédiats de cette évolution ?

Dans l’habillement, de grandes enseignes ont évolué du vêtement à « l’équipement de la personne » en complétant leur offre d’accessoires, de bijoux, ou de cosmétiques avec une certaine unité de style dans laquelle est censée se retrouver la clientèle ciblée qui vient y chercher un look. La diversification vers l’univers de la maison est d’abord une manière de prendre position sur un marché porteur. On pourrait aller beaucoup plus loin, par exemple en concevant des offres qui proposent d’accompagner le client dans la satisfaction de son besoin, sans nécessairement lui vendre les produits. Il y a des expérimentations dans ce sens, notamment dans l’habillement, mais qui restent pour l’instant très embryonnaires.

Dans cette configuration, le vêtement cesserait d’être un élément d’identification…

Ça me paraît être un raccourci un peu rapide. Le vêtement que vous choisissez de porter, c’est l’image que vous donnez de vous. C’est d’autant plus important dans une société qui accorde à chacun un espace croissant pour construire son identité. Mais la maison est devenue primordiale. Lorsqu’on interroge les gens sur ce qui compte le plus pour eux, il n’y a aucune ambiguïté : c’est la famille, les amis les plus proches, tous ceux que l’on invite à la maison… Il est vrai que la consommation a sans doute perdu un peu son rôle d’affirmation de son statut social. Désormais, elle est davantage un vecteur d’expression de sa singularité. D’où l’importance de la décoration et de l’aménagement du foyer.

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En grève, des livreurs Uber Eats manifestent samedi et dimanche pour une meilleure rémunération

L’appel à la grève a été lancé par Union-Indépendants, les fédérations CGT Transports et SUD-Commerces pour réclamer une meilleure rémunération. Des rassemblements de livreurs Uber Eats grévistes sont prévus samedi 2 et dimanche 3 décembre, entre autres à Paris, à Bordeaux, à Nice, à Strasbourg, à Lyon, à Toulouse, à Marseille et à Armentières, après un changement dans l’algorithme du groupe qu’ils estiment désavantageux.

Malgré le froid, ils étaient quelques dizaines à s’être rassemblés sur la place Stalingrad à Paris, chasubles de syndicats sur le dos et pour certains vélo à la main. Depuis le 10 octobre, un nouveau système a été mis en place par Uber Eats dans les agglomérations de Lille, Rouen et Valence, pour « valoriser le temps passé à réaliser la course », a justifié la plate-forme.

De précédents mouvements en novembre

Généralisée depuis le 1er novembre, cette nouvelle tarification « peut faire varier certaines courses à la hausse et d’autres à la baisse, mais ne vise pas à diminuer la rémunération moyenne par course », avait assuré vendredi Uber Eats, qui dit avoir même noté « une légère augmentation du revenu moyen par course de 1,4 % » dans les villes pilotes.

Des livreurs évoquent eux une autre réalité : « J’ai constaté que les courses à 1 ou 2 kilomètres sont payées 2,85 euros sur Uber, alors qu’avant elles étaient à 3,30 euros », a affirmé Adrien, livreur de 37 ans interrogé par l’Agence France-Presse, qui travaille pour Uber depuis 2020 et récemment, aussi, pour Deliveroo.

« Avec l’inflation, les salaires augmentent partout, on est les seuls à voir notre rémunération baisser. Ça sera quoi, la prochaine étape ? 0,50 euro la course ? Devoir payer pour livrer ? », proteste celui qui a l’impression d’être la « variable d’ajustement » du système. Des mouvements de protestation de livreurs indépendants, qui sont en France quelque 65 000 à passer par Uber Eats, avaient déjà eu lieu en novembre.

« Tâcherons du XXIᵉ siècle »

A Bordeaux, une vingtaine de livreurs, accompagnés d’une dizaine de militants de la CGT et du porte-parole du NPA Philippe Poutou, se sont réunis place de la Victoire en fin de matinée pour réclamer l’amélioration de leur rémunération et de leurs conditions de travail.

Selon la députée Danielle Simonnet (LFI), présente au rassemblement parisien, les plates-formes brandissent leur promesse de rémunérer au minimum horaire de 11,75 euros pour « faire baisser le prix des courses » pour les livreurs, ces « tâcherons du XXIe siècle ». « C’est 11,75 euros de l’heure effective de course », sans compter le temps d’attente. Donc « vous cumulez des courses pendant une heure pour qu’elles soient rémunérées au total à 11,75 euros, ça veut dire que vous faites fortement chuter le prix de chaque course individuelle ».

« Ça crée une situation d’esclavage moderne », selon David Belliard, élu à la Mairie de Paris, ville où les « livraisons de repas ont explosé ces dernières années ». M. Belliard demande à ces plates-formes, qui « exploitent ces gens », de requalifier leurs contrats en salariat. Il regrette que ce système de rémunération pousse les livreurs « à prendre évidemment des risques inconsidérés pour eux et ceux qui sont autour ».

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Le Monde avec AFP

Les syndicats tournent la page de l’union, sept mois après la réforme des retraites

Pendant au moins plusieurs mois, l’intersyndicale ne défilera plus au grand complet dans la rue. Lors d’une rencontre, vendredi 1er décembre, au siège national de la CFDT à Paris, les dirigeants des huit principales organisations de salariés ont tenté de redéfinir les règles de fonctionnement de leur alliance, traversée par des tensions depuis quelque temps après le long combat, en rangs serrés, contre la réforme des retraites.

Il ne s’agit pas d’un divorce, mais les parties en présence tournent une page : elles cessent – au moins provisoirement – de lancer toutes ensemble des appels à manifester, tout en maintenant leurs échanges, à un rythme moins soutenu qu’avant et avec un nombre variable de participants suivant les circonstances ou les dossiers à traiter. Les manœuvres communes dans l’espace public sont mises en sommeil mais pourraient redémarrer à la fin de l’hiver.

« On ne passe pas de tout à rien »

Au cours de leur conclave de vendredi, les numéros un se sont dit leurs quatre vérités et en ont tiré les conséquences pour la suite. « Quand elle sert à organiser des mobilisations contre des réformes régressives comme celle sur les retraites, l’intersyndicale est un bel outil », confie Frédéric Souillot. Mais selon le leader de FO, l’heure est venue de « ranger cet outil dans une boîte », ce qui n’exclut pas, tient-il à préciser, « que nous le ressortions si d’autres lois de grande ampleur, contraires à l’intérêt des travailleurs, sont présentées par le gouvernement ». Plusieurs responsables confédéraux abondent dans ce sens : « Le fait est que l’intersyndicale ne peut pas être la même que lors de la réforme des retraites », estime Cyril Chabanier, le président de la CFTC. Une telle union « est toujours circonscrite à un moment particulier et à un thème précis », renchérit François Hommeril, le patron de la CFE-CGC.

La fin d’une aventure commune ? Non, à ce stade, car M. Souillot affirme que lui et ses homologues vont « continuer de [se] voir et de [se] parler, comme avant la réforme des retraites ». « On ne sait pas encore comment on va organiser les choses, mais on va se rencontrer régulièrement, confirme Marylise Léon, la secrétaire générale de la CFDT. Est-ce que cela doit être deux, trois, quatre fois par an ? Je ne sais pas, mais l’important sera de ritualiser ça. » C’est une « nouvelle phase » qui s’ouvre, assure Sophie Binet, la dirigeante de la CGT. « L’existence de l’intersyndicale était liée à la lutte contre la réforme des retraites, mais nous allons prolonger sous une autre forme le travail unitaire qui avait été engagé depuis l’été 2022, ajoute-t-elle. Cela s’inscrira dans un cadre souple, fluctuant suivant les sujets, le but étant de l’installer dans le temps long. » M. Chabanier le résume en quelques mots : « On ne passe pas de tout à rien. »

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Les syndicats des livreurs des plates-formes comme UberEats ou Deliveroo lancent un appel à la grève

« Chaque secteur de la ville est balisé. On aura un gréviste devant chaque grande chaîne de restaurant – McDonald’s, KFC… – pour bloquer les commandes tout le week-end. On a monté ça très vite, en trois semaines, avec l’aide de la CGT, s’enthousiasme Karim (qui n’a pas donné son nom de famille), livreur à Marseille. Nos blocages sont pacifiques. On essaie d’expliquer aux autres livreurs que le but c’est de faire mal à Uber et Deliveroo. On ne veut pas faire de manifestation : l’objectif, c’est zéro commande livrée. »

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L’initiative phocéenne répond à un appel national à la grève des livreurs, samedi 2 et dimanche 3 décembre, lancé par la CGT et Union-Indépendants (affilié à la CFDT), auxquels s’est jointe la fédération SUD-Commerces. Des actions sont attendues dans une cinquantaine de villes françaises, sous la forme de blocages ou de rassemblements, comme samedi midi à Paris, place Stalingrad.

Cette mobilisation des coursiers, qui promet d’être la plus suivie depuis l’émergence des plates-formes de livraison de repas en 2016, fait suite à une baisse des rémunérations des 65 000 travailleurs de l’application UberEats, le leader du secteur. « C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de la colère des livreurs, après des années de baisse continuelle, alors que l’inflation flambe », résume Ludovic Rioux, secrétaire de la CGT-Livreurs. « En prenant l’échantillon de 50 livreurs qui nous ont fait remonter les chiffres de près de 3 110 courses avant et après la mise à jour, on observe que 42 gagnent moins qu’avant, constate Fabian Tosolini, délégué national d’Union-Indépendants. La baisse par livreur va jusqu’à 20 %. Le prix d’une course a parfois chuté jusqu’à 40 %. »

« Inquiétudes sur la nouvelle tarification »

Les syndicats imputent cette baisse à un accord signé en avril entre les trois principales plates-formes (UberEats, Deliveroo, Stuart) et la Fédération nationale des autoentrepreneurs (FNAE), qui fixe un revenu minimal horaire de 11,75 euros brut… uniquement sur les temps de course, et sans compter le temps d’attente entre deux prestations.

Les propositions formulées, le 21 novembre, par UberEats n’ont pas donné satisfaction. « Après avoir entendu les inquiétudes sur la nouvelle tarification exprimées par certains livreurs, nous avons mis en œuvre des garanties renforcées, explique au Monde un porte-parole d’UberEats. Nous portons temporairement la garantie minimale de revenu horaire de 11,75 euros à 14 euros et nous prenons nos responsabilités pour nous assurer que le niveau moyen de tarification des courses demeure identique. » Les syndicats exigent un retour au modèle de rémunération en vigueur jusqu’en octobre, et davantage de transparence sur les règles de l’algorithme.

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Emploi : la lutte contre la discrimination des seniors s’intensifie

Avec le décalage de l’âge légal de la retraite, les seniors vont devoir jouer les prolongations sur le marché du travail. Or, celui-ci continue de les discriminer. C’est du moins le sentiment des 1 500 salariés représentatifs du secteur privé sondés dans le cadre du dernier baromètre de perception de l’égalité des chances en entreprise du Medef, publié en octobre 2023.

La moitié des sondés craignent d’être un jour victimes de discrimination au travail, la première crainte étant liée à l’âge – 41 % le mentionnent – devant l’apparence physique (19 %). La délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) pourrait combler cette faille. Le député Renaissance Marc Ferracci a en effet déposé un amendement au projet de loi de finances 2024 pour élargir les missions de cette instance, et lui donner les moyens de lancer des « testings » sur toutes les catégories, dont les seniors.

Ces opérations consistent à envoyer à des employeurs des CV factices de candidats au profil similaire, en faisant varier un seul critère, et permettent d’évaluer l’ampleur de ce type de discrimination. Mais ils font souvent l’impasse sur la variable de l’âge. « Nous prenons ce sujet à bras-le-corps et allons effectuer en 2024 un premier testing consacré à cette classe d’âge, affirme Marc Ferracci. Notre objectif est de faire évoluer les comportement des entreprises par des amendes ou par le “name and shame” en publiant les noms de celles qui discriminent. »

Persistance de la discrimination par l’âge

Au-delà des perceptions des salariés, la discrimination par l’âge renvoie en effet à une réalité, explique Jean-François Amadieu, professeur de sociologie du travail à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne : « Le rejet des seniors lors des embauches est souvent lié à une apparence moins avantageuse. Un poids excessif, un visage fatigué renvoient à des préjugés sur une supposée moindre performance au travail. »

Un testing, réalisé en novembre 2021 par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, qui dépend du ministère du travail, permet de prendre conscience de l’ampleur du problème. Focalisé sur les discriminations à l’encontre des Maghrébins, il avait consisté à envoyer 9 600 candidatures à des employeurs. Résultat ? Un candidat au « nom à consonnance française » ayant entre 48 et 55 ans a presque trois fois moins de chance d’être rappelé pour un entretien (14 %) qu’un candidat de la tranche 23-30 ans (39 %), toutes choses égales par ailleurs. Et encore, ce testing excluait les plus de 55 ans, qui sont davantage pénalisés…

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« Partout se dessine une réduction considérable des marges de manœuvre dont disposent syndicalistes et directions dans les négociations sociales »

Depuis les ordonnances travail de 2017, les accords d’entreprise l’emportent dans une majorité de domaines sur les accords de branche. S’agit-il pour autant de renforcer un dialogue social au plus proche des salariés et de développer, comme le souhaitaient les lois Auroux (1982), la citoyenneté au travail ? C’est en réalité tout le contraire qui se produit. La mise en place des comités sociaux et économiques a abouti à diminuer considérablement le nombre de représentants du personnel et à les éloigner davantage des salariés pour en faire des « professionnels » du dialogue social, seule une toute petite minorité d’entreprises (1,6 % en 2021) ayant fait le choix de conserver des « représentants de proximité ».

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés La laborieuse relève des représentants des salariés en entreprise

Plus qu’un levier du progrès social, la priorité donnée à la négociation collective d’entreprise est d’abord pensée comme le moyen de subordonner encore davantage les règles du rapport salarial aux impératifs de compétitivité des entreprises, qu’elle serve à développer l’intéressement et les augmentations individuelles plutôt que les augmentations générales, à baisser le taux de majoration des heures supplémentaires ou à flexibiliser l’organisation des temps de travail.

Bien sûr, l’usage des dispositifs de négociation et leurs résultats restent variables. Dans les grandes entreprises, quand les salariés sont qualifiés et que les syndicats conservent un réel ancrage militant, leurs représentants restent en mesure de peser sur les décisions patronales. Cependant, sous la pression actionnariale, la nature des compromis se transforme. Les syndicats sont bien en peine, notamment, d’empêcher la généralisation des politiques de rémunérations liées à la performance, individuelle ou collective.

Lire le décryptage : Article réservé à nos abonnés A la SNCF, climat social tendu et menace de grèves

Dans les grandes entreprises des secteurs du nettoyage, de l’aide à domicile ou de la logistique, les négociations sont encore plus déséquilibrées, tant il est difficile pour les syndicats de mobiliser des collectifs de travail morcelés, précarisés et constitués d’une main-d’œuvre interchangeable. Dans le secteur sanitaire et social, notamment, soumis à des politiques de réduction des coûts, les négociations salariales en entreprise restent purement formelles.

Inégalités amplifiées

En réalité, une même tendance se dessine partout : celle d’une réduction considérable des marges de manœuvre dont disposent les syndicalistes et les directions dans des négociations qui se déploient sous la pression des marchés financiers pour les uns, des donneurs d’ordre pour les autres, ou des contraintes budgétaires que l’Etat impose aux secteurs qu’il subventionne.

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« Le modèle économique et social qui s’est mis en place en France après la seconde guerre mondiale a vécu »

Les syndicats de salariés français sont exclus des décisions économiques, à l’échelon des entreprises comme des politiques gouvernementales, contrairement à ce qui se passe en Allemagne ou dans les pays nordiques, dont le modèle économique et social de codécision donne aux syndicats une place essentielle dans les conseils d’administration des entreprises : les négociations collectives régulent le fonctionnement du marché du travail et l’organisation du travail.

Denis Kessler [1952-2023], ancien vice-président du Medef, parlait de « Yalta implicite » pour décrire le modèle économique et social qui s’est mis en place en France après la seconde guerre mondiale : les patrons se réservaient les décisions concernant le modèle productif, la stratégie des entreprises et l’organisation du travail ; le personnel politique, les politiques publiques ; les syndicats, la gestion de la protection sociale. Comme le disait M. Kessler dans un entretien à la Revue de l’Institut de recherches économiques et sociales, « en France, le pacte social (…) a, en définitive, consacré la non-inclusion des syndicats (…) dans les domaines économiques et une formidable intégration de ceux-ci dans le domaine social » (« Pour une économie du paritarisme », Revue de l’IRES no 24, 1997).

En 1945, les conseils d’administration des caisses de Sécurité sociale comptaient une forte majorité de représentants des salariés, au nom du principe de « gestion par les intéressés ». On parle alors de « démocratie sociale », préférée à la gestion étatique, qui risquait d’imposer une logique budgétaire. Il s’agissait de permettre l’extension des droits sociaux, le financement devant être ajusté aux besoins par l’augmentation des cotisations.

Ce rôle gestionnaire des syndicats leur a donné une légitimité pour défendre la Sécurité sociale face aux tentatives gouvernementales de réforme, présentées comme autant de remises en cause des « acquis sociaux ». Dès les années 1950, malgré la faiblesse du taux de syndicalisation, les syndicats démontrent leur capacité de mobilisation sur la question. Elle est restée très forte, comme le montrent les mobilisations de décembre 1995 contre le plan Juppé, et celles de 2003, 2010, 2019 et 2023 contre les projets de réforme des retraites.

Etatisation de la gouvernance

Au fil du temps cependant, les syndicats de salariés perdent leur domination sur la gestion de la Sécurité sociale, au profit du paritarisme (représentation égale des salariés et des employeurs), voire du tripartisme (intervention de l’Etat). Avec le plan Juppé de 1995, l’étatisation de la gouvernance du système s’accélère, au nom du fait que la Sécurité sociale est moins directement liée au travail (universalisation des droits à la santé, retraite de base), que les impôts (notamment la CSG) représentent une part croissante de son financement, et que les partenaires sociaux ne prendraient pas les décisions difficiles… Le plan Juppé prévoit donc une réforme de la Constitution qui, adoptée en 1996, instaure le vote de la loi de financement de la Sécurité sociale par le Parlement.

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Industrie : le grand défi de l’emploi des jeunes

Roland Lescure, le ministre délégué en charge de l’industrie, avec des collégiens venus découvrir les métiers de l’industrie, à l’invitation du ministère de l’économie et des finances, à Paris le 30 novembre 2023.

L’usine occupe un hangar en duplex dans une rue discrète d’Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, à quelques minutes de Paris. Au centre de l’atelier de 1 500 mètres carrés, des kiosques « mobiles et solaires » sont en présentation. Bienvenue chez PicNic, jeune start-up française, lancée en 2018 par trois amis trentenaires qui rêvaient de « créer du lien social tout en faisant du bien à la planète », explique Raphäel Brochard, un des cofondateurs, casquette de titi sur la tête et sosie goguenard du comédien Félix Moati.

Autour de lui, une vingtaine d’étudiants, garçons et filles, de l’école privée parisienne School of impact, qui forme en alternance après le bac aux métiers du management en développement durable, l’écoutent sagement dérouler son argumentaire. En ossature bois et métal recyclés, dessinés et fabriqués en France, alimentés par des panneaux solaires, les kiosques, de trois tailles différentes, sont proposés à la vente ou à la location à des collectivités locales, à des commerces ou à des entreprises pour organiser des événements éphémères ou offrir des lieux de vente ou d’accueil.

« Ici, on fait de l’industrie, on maîtrise toute la chaîne de valeurs, de la conception à la livraison, le tout en circuit court et en matière recyclable », explique Raphaël Brochard, qui annonce fièrement le doublement du nombre de salariés, de 15 à 30, en 2024, et une future levée de fonds pour « viser notre prochaine étape, le marché européen ».

« L’industrie, ça décarbone, ça embauche et ça paie bien »

PicNic, comme beaucoup d’autres start-up créées en France, incarne une partie de l’industrie moderne, loin de l’image de l’usine à la Zola, avec la cheminée qui fume, le bruit et les cadences infernales. Exactement l’image du nouveau monde industriel que le gouvernement veut montrer à la jeunesse française, à l’occasion de « la semaine de l’industrie », un événement organisé du lundi 27 novembre au dimanche 3 décembre par le ministère de l’économie, avec Bpifrance comme principal opérateur.

« Dans les dix ans qui viennent, la réindustrialisation de la France et la décarbonation de notre industrie vont demander la création de 100 000 emplois par an, soit 1 million de personnes en tout. Il faut absolument que la jeunesse se tourne vers ces métiers », explique Roland Lescure, le ministre délégué en charge de l’industrie, qui a passé la journée du 30 novembre à déambuler parmi la cinquantaine de stands d’entreprises (dont les grands groupes EDF, Siemens, Dassault Systèmes ou RATP) installés au ministère pour faire découvrir leurs activités à 1 500 collégiens et lycéens d’Ile-de-France.

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Bruno Le Maire pousse à renouer avec la réforme pour affirmer son identité politique

Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, lors d’une conférence de presse, à Washington, le 7 février 2023.

Trois jours avant les dernières rencontres de Saint-Denis, Emmanuel Macron sonde, au cours d’un dîner des cadres de la majorité à l’Elysée, mardi 14 novembre, l’opinion des uns et des autres sur d’éventuelles évolutions institutionnelles. L’ancien premier ministre Edouard Philippe se dit favorable au retour du cumul des mandats, et opposé à l’élargissement du champ du référendum, au menu des discussions. De l’autre côté de la table, la réplique du ministre de l’économie, Bruno Le Maire, fuse : « Tu veux remettre le cumul des mandats, restreindre le référendum… T’as plus qu’à proposer le retour du président du Conseil et c’est bon ! », ironise, grinçant, le numéro deux du gouvernement, renvoyant son possible rival pour 2027 aux institutions d’un autre temps. Emmanuel Macron, impassible, savoure.

Lire aussi le reportage : Article réservé à nos abonnés Bruno Le Maire veut en finir avec le « pessimisme »

La scène est à l’image de l’automne de Bruno Le Maire. Après une rentrée atone, au cours de laquelle il a laissé ses jeunes collègues Gérald Darmanin, le ministre de l’intérieur, et Gabriel Attal, le ministre de l’éducation, occuper le devant de la scène, le ministre de l’économie, 54 ans, donne à son tour de la voix. Se pose en père Fouettard de l’orthodoxie budgétaire, après avoir distribué les chèques. S’offusque des « cadeaux » distribués par Elisabeth Borne aux oppositions dans le projet de loi de finances pour 2024. Propose de réduire la durée d’indemnisation chômage des plus de 55 ans, provoquant un front uni des partenaires sociaux. Convie un millier de maires à Bercy pour leur dire que la France a « un besoin criant d’autorité ». Bref, Bruno Le Maire a entrepris, dit-il au Monde, de « secouer le cocotier ».

L’objectif du plein-emploi fixé par Emmanuel Macron, « absolument stratégique pour la société française », est impossible à atteindre sans entreprendre des réformes structurelles potentiellement impopulaires, pense-t-il. « Le plein-emploi, ce n’est pas 7 % de chômage, c’est 5 % », énonce le ministre, alors que le chômage stagne autour de 7 %, voire remonte légèrement. Or « cela ne viendra pas tout seul, il faut remettre du charbon dans la machine ». A un moment où Emmanuel Macron cherche un second souffle, un an et demi seulement après le début de son second mandat, Bruno Le Maire l’exhorte à « tenir la ligne de la transformation », au lieu de se cantonner à la simple « gestion ».

« Il faut continuer de pédaler »

S’il tient ce discours volontariste, voire alarmiste, c’est que le ministre n’ignore rien, explique-t-il, de cette « tentation, qui touche tous les gouvernements et toutes les majorités », de lever le stylo une fois les premiers résultats engrangés. « La pente la plus naturelle, une fois qu’on a fait des réformes courageuses, c’est de se dire : on s’en tient là », philosophe l’ancien député Les Républicains de l’Eure, du haut de ses « vingt ans d’expérience politique ».

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