Au premier semestre, la France a détruit 715 000 emplois sous l’effet de la crise sanitaire
L’épidémie de Covid-19 a entraîné la perte de 715 000 emplois en France au premier semestre 2020, soit un recul de 2,3 % en glissement annuel, à mettre en regard d’une baisse du produit intérieur brut (PIB) de 18,9 % sur la même période, selon les chiffres définitifs publiés par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), mardi 8 septembre. Un fort décalage qui s’explique par les mesures d’urgence prises dès le début de la crise sanitaire pour protéger les salariés, à commencer par le chômage partiel.
L’Insee a par ailleurs confirmé sa prévision d’un plongeon de 9 % du PIB sur l’ensemble de l’année 2020, malgré les espoirs d’une reprise plus rapide que prévu. « Certes, le recul du PIB au deuxième trimestre a été moins marqué qu’anticipé initialement, mais l’incertitude sanitaire tend à croître de nouveau et nous conduit à tempérer le rythme prévu pour la poursuite de la reprise », expliquent les statisticiens nationaux.
Dans ce contexte, l’emploi salarié devrait rester quasi stable au second semestre, le nombre d’emplois perdus à la fin de l’année avoisinant 720 000. «Certes, il y a des destructions d’emplois qui vont se poursuivre dans des secteurs particulièrement touchés par la crise : le matériel de transport, l’hébergement-restauration, l’événementiel… Mais on s’attend à un rebond des créations dans d’autres secteurs qui ont retrouvé une activité quasi normale », explique Julien Pouget, directeur de la prévision à l’Insee. L’institut souligne d’ailleurs la nette reprise de l’intérim au deuxième trimestre : + 23 % par rapport au trimestre précédent (soit + 108 100 emplois), après une chute inédite de 40,4 % au premier trimestre.
Forte dégradation de la qualité des emplois existants
En revanche, le chômage, après une diminution en trompe-l’œil (un grand nombre de personnes ont renoncé à chercher un emploi pendant le confirnement et la période estivale), pourrait flamber. A la fin 2020, il toucherait environ 9,5% de la population active, soit 1,4 point de plus qu’un an plus tôt.
Le bouclier du chômage partiel va perdre de son efficacité à partir du 1er octobre, quand la mesure va devenir plus coûteuse pour les entreprises et les salariés
En effet, le dynamisme de l’activité enregistré après le déconfinement marque aujourd’hui le pas. L’Insee a révisé à la baisse sa prévision de croissance au troisième trimestre, à 17 %. Dans les derniers mois de l’année, les défaillances d’entreprise, jusqu’à présent contenues, vont s’accélérer, et les plans sociaux annoncés dans les secteurs particulièrement sinistrés comme l’aéronautique vont commencer à produire leurs effets. De plus, le bouclier du chômage partiel va perdre de son efficacité à partir du 1er octobre, quand la mesure va devenir plus coûteuse pour les entreprises et les salariés, la prise en charge par l’Etat passant de 84 % à 72 % du salaire brut.
« Cela se traduira par un ajustement sur le marché du travail car l’équilibre qui avait été mis en place pendant et après la période de confinement va être modifié », relève Philippe Waechter, directeur de la recherche économique chez Ostrum AM. Selon la Dares (la direction des études du ministère du travail), cette activité partielle concernait encore 2,4 millions de salariés en juillet, soit un peu moins de 15 % des salariés du privé.
Cette disparition massive d’emplois en France s’accompagne d’une forte dégradation de la qualité des emplois existants. D’après l’économiste Hippolyte d’Albis, professeur à PSE (Ecole d’économie de Paris) et directeur de recherches au CNRS, la part du « sous-emploi » dans l’emploi , qui oscille habituellement autour de 6 %, a atteint 20 % au deuxième trimestre, « un niveau jamais enregistré par l’Insee ». « Si l’on additionne les chômeurs toutes catégories et les personnes en sous-emploi, on atteint 11,15 millions de personnes au deuxième trimestre, soit 37,4 % de la population active estimée en 2018 », calcule-t-il.
La question de la formation, clé de la reprise
Dans ces conditions, le plan de relance de 100 milliards d’euros du gouvernement, dont l’un des objectifs prioritaires est de « lutter contre le chômage », va-t-il permettre d’inverser la tendance ? « J’espère que le plan de relance en 2021 créera 160 000 emplois. C’est notre objectif », a déclaré le premier ministre, Jean Castex, le 3 septembre. Un chiffre qui n’est « pas délirant », à en croire Mathieu Plane, de l’Observatoire français des conjonctures économiques. « Selon Bercy, 30 % du plan devrait être mis en œuvre en 2020, soit environ 30 milliards d’euros, ce qui représente une impulsion budgétaire de l’ordre de 1,2 point de PIB », analyse-t-il. « On peut donc avoir 160 000 créations d’emplois en face. » Pas de quoi toutefois renverser la vapeur sur le marché du travail. Mais, comme le notent les économistes, « France Relance » n’est pas un plan de court terme. Il est plutôt conçu pour relancer la compétitivité économique et produira des effets à moyen ou long terme.
« S’il est à mon sens calibré de manière à répondre à la crise, le plan de relance doit encore être mis en œuvre », fait valoir Gilbert Cette, professeur d’économie à l’université d’Aix-Marseille, ce qui représente un « véritable défi ». « Si l’on prend par exemple le sujet de la rénovation énergétique, avant de lancer effectivement les chantiers, il va falloir former les gens, leur donner les qualifications nécessaires, certifier les entreprises…Il faudra également examiner les projets de rénovation sur le fond. Tout cela ne se fera pas d’un claquement de doigt. Cela va nécessiter de la réactivité et beaucoup d’agilité, et les effets sur l’emploi du plan de relance viendront seulement après ». « Le gouvernement vise à créer des emplois non délocalisables, mais il risque de buter sur la rareté des compétences », renchérit Philippe Waechter.
En conséquence, la question de la formation sera l’une des clés de la reprise du marché de l’emploi. Elle n’est d’ailleurs pas oubliée dans le plan, qui consacre au total une quinzaine de milliards d’euros à l’emploi des jeunes et à la formation professionnelle. Le projet prévoit notamment un milliard d’euros pour accompagner la reconversion des salariés des secteurs les plus sinistrés, comme l’aéronautique. « Il s’agit d’un effort massif », reconnaît Hippolyte d’Albis. « Mais il faut rappeler que la formation, ce n’est pas qu’un problème de moyens. Il faut avoir des formateurs, et des formateurs de qualité. C’est quelque chose qui se construit, et sur le long terme. » L’appareil de formation va devoir faire la preuve de son efficacité pour s’adapter aux évolutions du marché du travail et aux nouveaux besoins.