Justice : magistrats et greffiers manifestent pour réclamer des moyens « dignes »
Après avoir crié leur souffrance dans une tribune au Monde qui a fait l’effet d’une déflagration, magistrats et greffiers appellent à la grève, mercredi 15 décembre, et à se rassembler partout en France aux côtés des avocats, afin de réclamer des moyens « dignes » pour la justice.
Cette « mobilisation générale pour la justice », à l’appel de 17 organisations, s’annonce massivement suivie, le malaise semblant avoir gagné tous les acteurs judiciaires.
Les deux principaux syndicats de magistrats ont déposé des préavis de grève – « une première » pour l’Union syndicale des magistrats (USM), majoritaire – et appellent avec les représentants des greffiers et des avocats à des « renvois massifs » des audiences.
Rassemblements devant des cours d’appel et tribunaux
Des rassemblements sont prévus à la mi-journée devant la plupart des cours d’appel et certains tribunaux. A Paris, l’intersyndicale a choisi de converger vers Bercy, où elle souhaite être reçue par le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, afin d’obtenir un budget « bien plus ambitieux pour la justice ».
Le procès des attentats du 13 novembre 2015, qui se tient à la cour d’appel de Paris, « commencera exceptionnellement à 14 heures pour permettre à tout le monde de participer à la mobilisation », a précisé mardi le président de la cour d’assises spéciale, Jean-Louis Périès.
Cette mobilisation intervient trois semaines après la parution d’une tribune qui proclamait : « Nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas, qui raisonne uniquement en chiffres, qui chronomètre et comptabilise tout. »
Ecrit par neuf jeunes magistrats après le suicide, à la fin août, d’une de leurs collègues, Charlotte, ce cri d’alarme dénonce souffrance au travail et perte de sens. Le texte a eu un succès aussi fulgurant qu’inédit : en trois semaines, la tribune avait été signée par 7 550 professionnels, dont 5 476 magistrats (sur 9 000) et 1 583 fonctionnaires de greffe.
Un grand nombre de juridictions s’y sont associées, en votant à l’issue de leurs assemblées générales obligatoires de décembre des motions réclamant des moyens supplémentaires, certaines annonçant, par ailleurs, l’arrêt des audiences au-delà de 21 heures.
« Une justice exsangue »
La contestation a même gagné la Cour de cassation : les magistrats de la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire ont, en une rare prise de position, dénoncé lundi « une justice exsangue, qui n’est plus en mesure d’exercer pleinement sa mission dans l’intérêt des justiciables ».
Le constat dressé dans la tribune est également partagé par la hiérarchie judiciaire : dans un communiqué commun, les présidents des quatre « conférences », qui représentent les chefs des cours d’appel (premiers présidents et procureurs généraux) et des tribunaux judiciaires (présidents et procureurs), alertent sur une « situation devenue intenable ».
Natacha Aubeneau, secrétaire nationale de l’USM, fait valoir :
« Cela fait des années qu’on dénonce la souffrance au travail, la justice rendue en mode dégradé. Nous sommes arrivés à un point de rupture. »
« On sent une unanimité assez inédite. Tout un corps qui partage le même constat, cela fait extrêmement longtemps qu’on n’a pas vu ça », renchérit Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche).
Le ministre de la justice promet de maintenir « les efforts »
Le garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti, qui avait heurté de nombreux magistrats et greffiers en affirmant que la justice avait été « réparée » grâce à un budget « historique », a tenté lundi de calmer la fronde, venue percuter les Etats généraux de la justice lancés à la mi-octobre par le gouvernement.
Lors d’une conférence de presse, donnée à la chancellerie, le ministre a défendu son bilan, le mettant en perspective, chiffres à l’appui, avec les « abandons des décennies passées », et a promis de maintenir « les efforts ». Il a notamment annoncé l’augmentation du nombre de places au concours de l’Ecole nationale de la magistrature, pour permettre l’arrivée de 380 auditeurs de justice dans les juridictions dès 2023, ainsi que la pérennisation de quelque 1 400 postes créés dans le cadre de la justice de proximité.
En 2017, la justice était dans un « état de dénuement, de « clochardisation » », a renchéri Eric Dupond-Moretti mercredi matin sur France Inter. A propos de la surcharge de travail des personnels de la justice, le garde des sceaux a ajouté qu’« un tiers des stocks est dû au manque de moyens », le reste à des problèmes « de répartition du travail », « de management ».
Dans un message adressé mardi à l’ensemble des magistrats et des agents judiciaires, le ministre a assuré avoir « entendu le mal-être » et les « attentes légitimes » exprimées, assurant qu’il était « déterminé à améliorer durablement [les] conditions de travail et le fonctionnement de la justice ».