Microtâches contre microgains, le business incontrôlé des sites de clics rémunérés
Voter pour une vidéo sur Youtube : 10 cents (9 centimes d’euros). Suivre quelqu’un sur Twitter : 12 cents. Télécharger cinq photos : 39 cents. Bienvenue dans le monde du « gain au clic » sur RapidWorkers. Revendiquant plus de 100 000 inscrits dans le monde, cette plate-forme de microtravail est l’un des nombreux sites du genre apparus sur le marché ces dernières années.
Le phénomène a pris son envol dans les années 2000 avec le lancement par Amazon de Mechanical Turk, une référence au prétendu automate du XVIIIe siècle, qui dissimulait une personne bien vivante. Sur l’engin d’Amazon, c’est derrière leur écran que les humains sont cachés. Des donneurs d’ordre anonymes leur passent commande pour des missions généralement ouvertes à tous, contre une rémunération modique. Mais, avec ce vivier de recrutement mondialisé, ils mettent en concurrence des travailleurs sur tous les continents.
Le phénomène a d’abord explosé dans les pays à bas coût : Inde, Chine, Venezuela… Depuis, le microtravail a pris de l’ampleur partout dans le monde. Selon une étude commandée par le moteur de recherche professionnel ReportLinker, parue en octobre, le marché du microtravail devrait atteindre près de 2,5 millions de dollars (2,2 millions d’euros) rien qu’aux Etats-Unis cette année.
Aucun statut professionnel exigé
Ces plates-formes mettent en avant la souplesse du modèle : « Votre plage horaire est flexible et la seule chose dont vous avez besoin, c’est un ordinateur ou un portable avec une connexion Internet », annonce, sur sa page d’accueil, Clickworker, l’une des plus importantes au monde. Selon le sociologue Antonio Casilli, spécialiste de ce sujet, on ne dépasse pas deux dollars de gain par heure en moyenne. La plupart de ces sites se présentent comme des compléments de revenus : ils rémunèrent généralement leurs utilisateurs en utilisant PayPal ou des cartes cadeaux. Aucun statut professionnel, microentrepreneur ou autres, n’est exigé pour s’inscrire.
Peut-on louer son cerveau comme on loue sa maison ou sa perceuse, en dehors de tout droit du travail ? Selon un expert anonyme, auditionné par le Conseil national du numérique pour le rapport « Travail à l’ère des plates-formes », paru en 2020, la question des revenus des indépendants se voit bouleversée par l’économie numérique, qu’il qualifie d’économie « de la multitude ». Internet a permis l’explosion de cette forme de travail hyperfragmentée, rendue invisible, où des plates-formes mondialisées mobilisent partout des millions de travailleurs, placés en dehors de tout cadre juridique.
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