Après le choc de la crise sanitaire, leur nouvelle vie auprès des morts
ReportageEmus par les enterrements déshumanisés et les images de cercueils entassés à Rungis au plus fort de la pandémie de coronavirus, ils se sont reconvertis dans le secteur funéraire. Par vocation, envie de « réparer » le traumatisme, mais surtout avec l’ambition de réinventer les rites.
Aurore Merchin n’est pas près d’oublier ce matin d’hiver, fin 2018, au cimetière du Père-Lachaise, à Paris. Après avoir attendu un certain temps la représentante des pompes funèbres, qui était en retard, elle s’est retrouvée, à l’issue de la cérémonie, les mains recouvertes des cendres de son beau-père parce que l’urne avait été mal scellée. Pour cette ancienne journaliste pétillante et passionnée, tout, dans ce jour de neige, a été douloureux. Des obsèques gâchées qui l’obsèdent.
Deux ans plus tard, lors du premier confinement dû à l’épidémie de Covid-19, elle est sidérée par les images télévisées de centaines de cercueils empilés dans un entrepôt de Rungis en raison de la saturation des chambres funéraires des hôpitaux parisiens. Personne ne sait que faire des morts du Covid-19. « J’ai eu l’intuition que nous vivions une rupture anthropologique majeure, et que la société tout entière allait basculer dans un deuil traumatique », raconte-t-elle. A 42 ans, Aurore décide de changer de vie et de faire de la mort son métier.
Elle se lance dans une formation de conseillère funéraire dispensée par l’Ecole nationale des métiers du funéraire (Enamef). Après un mois de cours théoriques et d’ateliers pratiques, elle décroche haut la main les épreuves écrites et l’oral au printemps dernier. Elle a créé un compte Instagram (@le.chemin.de.traverse_) et dévore des livres sur la mort.
Stage en pompes funèbres
Cet été, elle a arpenté les cimetières de ses lieux de vacances, en Italie et en Tunisie, où des particuliers ont recueilli les corps de migrants échoués sur les plages pour leur offrir des sépultures. A Paris, elle découvre les taphophiles, ces passionnés de cimetières, et leurs histoires fascinantes. Comme celle de ce vieux Maghrébin qui, chaque jour, prend le chemin du cimetière du Montparnasse pour se recueillir sur la tombe de Jacques Chirac qu’il tient à remercier de lui avoir octroyé sa naturalisation française.
« Les rites funéraires existent depuis la préhistoire, c’est le marqueur de notre humanité, explique Aurore Merchin. Ils ont été niés pendant la Shoah, pendant laquelle mes grands-parents et mes arrière-grands-parents ont été déportés. Ma passion pour ce métier vient aussi de ces vieux fantômes. »
En septembre, elle a fait un stage pratique d’un mois dans une agence de pompes funèbres, qui l’a confortée dans son choix. « Avant, quand j’expliquais que j’étais journaliste, on me regardait presque avec mépris, du style “tu ne sers à rien”. Maintenant, les gens me disent : “conseillère funéraire ? C’est formidable !” Je me sens appartenir à la catégorie des métiers essentiels, comme on dit aujourd’hui. »
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