L’individualisation des rémunérations, casse-tête pour les manageurs

L’individualisation des rémunérations, casse-tête pour les manageurs

Dans son ouvrage Le Nouvel Esprit du salariat (PUF, 2020, Prix du livre RH 2021), Sophie Bernard nous entraîne dans les coulisses d’un organisme bancaire. De témoignage en témoignage, cette maîtresse de conférences en sociologie analyse le système d’attribution des primes sur objectifs et les stratégies qui le sous-tendent. Elle en tire notamment cette conclusion : « Les manageurs optent souvent pour le saupoudrage, qui consiste à répartir uniformément les primes entre les bénéficiaires ». Par là, explique-t-elle, ils « renoncent (…) à l’idéal méritocratique ». En cause : l’« enveloppe » qu’on leur demande de répartir, jugée trop modeste : sa distribution « au mérite » entraînerait « une forte discrimination potentiellement source de conflits ». D’aucuns préfèrent donc lisser les sommes versées aux membres de l’équipe. Ce qui revient à « acheter la paix sociale ».

« Au lieu de créer une émulation au sein des équipes, cette part variable – principalement des primes et des compléments de salaire liés à la performance individuelle ou collective des salariés ou aux résultats de l’entreprise – peut susciter jalousie, rancœur ou incompréhension. »

Courante, la pratique illustre l’embarras dans lequel se trouvent parfois des manageurs lorsqu’ils doivent gérer la part variable des rémunérations. « L’individualisation de ces rémunérations est un outil ambivalent, confirme Sophie Bernard. D’un côté, cela doit permettre de mobiliser leurs collaborateurs, mais d’un autre, cela peut provoquer la démotivation de certains salariés estimant que leur prime n’a pas été à la hauteur du travail qu’ils ont accompli. »

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Le revers de la médaille est là : au lieu de créer une émulation au sein des équipes, cette part variable – principalement des primes et des compléments de salaire liés à la performance individuelle ou collective des salariés ou aux résultats de l’entreprise – peut susciter jalousie, rancœur ou incompréhension. Et ce d’autant plus qu’elle représente une part non négligeable de la rémunération brute totale : 19,7 % en France, en 2018, selon la direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (Dares). « La gestion des déceptions doit évidemment être prise en compte par les manageurs », abonde Claire (le prénom a été modifié), cadre dirigeante d’une banque d’affaires.

« Effets pervers en interne »

« Et ce qui était vrai pour cette part variable tend dans certaines entreprises à le devenir pour la part fixe du salaire, explique Pierre (le prénom a été changé), cadre dans un groupe de conseil. Des modulations apparaissent selon les profils. » Ce que confirme Serge Legagnoa, secrétaire confédéral Force ouvrière : « Pour attirer des talents, certaines entreprises peuvent par exemple proposer au nouvel entrant un salaire supérieur à celui de collaborateurs déjà en place, à compétences égales. » Une individualisation de la part fixe qui peut également « avoir des effets pervers en interne, poursuit Pierre. Certains salariés vont adopter des stratégies de mercenaire en se positionnant sur des tâches où ils savent qu’ils auront plus de chance d’être en vue, espérant avoir ainsi la meilleure augmentation possible ».

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