La longue marche des avocats issus de la diversité
Fragments de FranceA CV et parcours égaux avec leurs confrères venus de milieux plus aisés, les jeunes juristes issus de l’immigration ont un mal fou à intégrer les grands cabinets parisiens. Et quand ils y parviennent, ils se voient souvent reprocher de ne pas maîtriser les codes et les usages…
L’avocat Yassine Yakouti se souvient de l’année où il a décidé de se présenter à la conférence du stage. Ce concours d’éloquence très sélect, vieux de deux cents ans, transforme douze jeunes avocats anonymes en rockstars du palais pendant un an. A peine a-t-il été élu secrétaire de la « conf » que, comme le veut la tradition, les gros dossiers criminels lui ont été attribués, le bâtonnier lui faisait la bise. Un monde s’est alors ouvert à lui.
Il a découvert que les gens bien nés commandent une planche de fromages quand ils prennent un verre en terrasse, qu’ils « ne portent pas certaines marques de chemises », chères mais jugées de mauvais goût, mais, éventuellement, en août, à Paris, des espadrilles… Des manières, des usages que l’avocat qui a grandi à Antony (Hauts-de-Seine) dans un milieu ouvrier, 29 ans à l’époque, ne maîtrisait pas. Aujourd’hui associé et à la tête de son cabinet, Yassine Yakouti défend des syndicats, les salariés espionnés d’Ikea, le rappeur Kaaris après une altercation avec son rival Booba à l’aéroport d’Orly et quelques sommités du banditisme parisien…
« J’ai tout fait pour être là, je me suis donné les moyens de mes ambitions », confie sans ciller le pénaliste de 40 ans aux traits enfantins. Soit de longues études de droit à l’université Paris-Saclay, jonglant entre une spécialisation en fiscalité et droit des affaires et des petits boulots de chauffeur-livreur, un double cursus en école de commerce puis une année aux Etats-Unis, avant d’intégrer un grand cabinet anglo-saxon. Une voie royale pour le droit des affaires que ce fan de Jacques Vergès, le défenseur de Klaus Barbie et de Carlos, a pourtant choisi de quitter pour faire du droit pénal.
Sa réussite se lit sur une image. Sur le cliché immortalisant les 42 élus au conseil de l’ordre du barreau de Paris pour l’exercice 2021-2022, alignés en robes noires autour du bâtonnier Olivier Cousi, sur un bel escalier de pierre, on ne dénombre que deux visages issus des minorités visibles. Les sourires du binôme Clarisse Jurin et Yassine Yacouti ne trahissent ni malaise ni étonnement.
Cette photo monochrome ou presque du conseil de l’ordre du barreau de Paris prouve combien l’intégration de jeunes avocats issus de la diversité est compliquée. Elle justifie à elle seule de porter un regard sur ces blocages, alors que le métier est très attractif et que son éthique professionnelle devrait le prémunir de toute discrimination. Or, dans le milieu, où la question de l’égalité homme-femme est récemment devenue une préoccupation, le sujet de la mixité sociale et ethnique reste, lui, encore tabou.
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