Procès Terra Fecundis : c’était « “Germinal” dans les exploitations agricoles »
Leur position n’a pas varié d’un iota, après cinq jours de procès et dix années d’enquête : c’est l’« incompréhension totale » face aux charges qui pèsent sur eux. Ces mots-là, Me Guy André les a prononcés en concluant une heure et demie de plaidoirie, vendredi 21 mai, devant la sixième chambre correctionnelle du tribunal de Marseille. Ils résument à merveille l’état d’esprit de ses clients et des autres prévenus, mis en cause dans ce que certaines parties civiles ont présenté comme la plus grande affaire de fraude sociale jugée en France.
Me André défendait deux des principaux protagonistes cités à comparaître : la société de travail temporaire espagnole Terra Fecundis, en tant que personne morale, et l’un de ses dirigeants, Francisco Lopez Pacheco. Les faits incriminés portent – entre autres – sur du travail dissimulé et sur du marchandage de main-d’œuvre en bande organisée : l’entreprise d’intérim se voit reprocher d’avoir mis à la disposition d’agriculteurs français des milliers d’ouvriers originaires, pour la plupart, d’Amérique latine, sans les avoir déclarés comme il fallait et au mépris de plusieurs obligations relatives à la rémunération minimum, aux temps de repos, aux durées maximales d’emploi, etc.
Ces infractions ont eu pour conséquence de priver notre système de protection sociale de cotisations, à hauteur d’un peu plus de 80 millions d’euros entre début 2012 et fin 2015 – la période retenue par la procédure pénale. Un manque à gagner qui n’inclut pas les pénalités de retard, chiffrées, elles, à une trentaine de millions d’euros.
Conditions de travail inacceptables
Il s’agit d’un « dossier hors norme » dans lequel on a assisté à une « industrialisation de la fraude », selon la formule de Xavier Leonetti. Jeudi, dans son réquisitoire, le procureur a livré une batterie de statistiques impressionnantes sur les performances de Terra Fecundis : en 2011, le prestataire avait fourni à des exploitants établis dans l’Hexagone près de 2 900 salariés, pour cueillir des fruits et des légumes. Quatre ans après, le chiffre avait plus que doublé, atteignant quasi 6 800. Et la dynamique semble s’être poursuivie après 2015, avec un chiffre d’affaires tutoyant les 60 millions d’euros sur certains exercices, d’après les services déconcentrés du ministère du travail.
Dans son intervention, M. Leonetti s’est attaché à démontrer que cette réussite découlait du dévoiement des règles européennes sur le détachement : celles-ci autorisent une entreprise à envoyer du personnel à l’étranger, tout en cotisant à lorganisme de sécurité sociale de l’Etat où elle se trouve. A une condition, toutefois : la mission des collaborateurs « exportés » doit être limitée dans le temps. Or, Terra Fecundis ne se conformait pas à ce cadre juridique, en particulier parce que ses ouvriers étaient employés continûment en France, sur une période de plusieurs mois. Mais, au lieu de s’immatriculer dans notre pays et de régler les contributions dues aux Urssaf, elle a continué de payer ses charges en Espagne, où elles sont moins élevées. Une distorsion en sa faveur lui ayant permis de pratiquer des tarifs inférieurs à ceux de ses concurrents.
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