Emploi et handicap : des actifs dits « invalides » font bouger les lignes
Rivé à un fauteuil, privé de l’usage de ses bras, de ses jambes et de la parole depuis qu’il est né, Philippe Aubert vit avec une paralysie cérébrale athétosique [caractérisée par des mouvements involontaires, non coordonnés du corps]. « J’ai besoin d’aide pour chaque geste, tout au long de la journée », explique la voix métallique d’ordinateur qu’a programmée Philippe en prévision de l’interview en visioconférence. Mu par une volonté de fer, soutenu de façon inconditionnelle par ses parents, le quadragénaire a décroché deux masters 2, s’est formé à l’aide humanitaire et a aidé à la construction d’une école en Haïti. Coauteur du livre Rage d’exister (Ateliers Henry Dougier, 2018), il a fondé l’association du même nom qui contribue entre autres à la participation pleine et entière à la vie sociale et économique des personnes en situation de handicap.
« Je fais partie d’une nouvelle génération de personnes en situation de handicap qui veulent vivre pleinement, je l’appelle “la génération Vestiaires”, en référence à la série télévisée » Philippe Aubert, fondateur de l’association Rage d’exister
« M’engager pour des causes d’intérêt général est essentiel pour moi, je refuse de me contenter de recevoir, en tant que citoyen, je veux donner également », explique celui qui est aussi, depuis l’an dernier, « personne qualifiée » au Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) et qui va présider un conseil interne au CNCPH pour les questions sémantiques, sociologiques et éthiques. « Je fais partie d’une nouvelle génération de personnes en situation de handicap qui veulent vivre pleinement, je l’appelle “la génération Vestiaires”, en référence à la série télévisée qui raconte le quotidien de handicapés sportifs, poursuit-il. Cette génération prend la parole, se montre. Elle ne veut plus être considérée pour ses seules incapacités mais être considérée pour ses capacités, ses compétences, ses connaissances, veut prendre des responsabilités et être pleinement citoyenne. »
A l’instar de Philippe Aubert, nombre de personnes handicapées s’engagent pour l’intérêt général. Le Monde est allé à la rencontre de quatre autres acteurs de changement. Ils sont non-voyant, trisomique, atteint d’un handicap psychique ou moteur. A leur échelle, ils font bouger les lignes dans le monde économique, politique, médical et social. Mais la route est longue.
« Aujourd’hui encore, quand on parle de handicap, un regard péjoratif subsiste, on voit en général la diminution, la marge et l’on n’aperçoit pas le pouvoir d’agir, la capacité à prendre des décisions, ce regard biaisé conduit à une sorte d’invalidation de la personne », constate l’anthropologue Charles Gardou, auteur notamment de Pascal, Frida Kahlo et les autres… ou quand la vulnérabilité devient force (Erès, 2014).
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