Covid-19 : pour les blouses blanches, « cela ressemble à un jour sans fin »
Lors de la première et de la deuxième vague épidémique, Le Monde a donné la parole à une vingtaine de soignants à travers la France, en première ligne contre le Covid-19. Dans un « Journal de crise des blouses blanches » ils nous ont raconté leur quotidien professionnel bouleversé. Après une année de crise sanitaire, nous avons demandé à quatre d’entre eux de revenir sur cette période si particulière.
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« Je n’aurais jamais pensé vivre cela dans ma vie de médecin »
Damien Pollet, 59 ans, médecin généraliste à Salins-les-Bains (Jura)

« Je me souviens que le 8 mars 2020, quand j’expliquais au directeur des Thermes de Salins et au maire qu’il fallait fermer l’établissement, personne ne me croyait, on me prenait pour un fou furieux ! Puis j’ai lancé un appel sur Facebook pour récupérer des masques, car j’étais catastrophé de voir, lors de visites dans des Ehpad, que le personnel n’en avait pas. Mais, le 21 mars, je suis tombé malade, gravement. Hospitalisé, j’ai subi le Covid de manière violente, cela m’a confirmé que c’était sérieux et que je ne souhaitais à personne de vivre la même chose. Je me disais : mais que nous arrive-t-il ?
Je n’aurais jamais pensé vivre cela dans ma vie de médecin. Cette expérience a été unique : en tant que généraliste, elle nous sort de notre zone de confort, réinterroge notre métier et tisse des liens très fort avec les patients. J’ai reçu des courriers très émouvants. Cette crise liée au Covid-19 oblige aussi à des collaborations extraordinaires. Dans ma région, le centre de vaccination a suscité un engagement très fort des communes, des pompiers, des infirmières, de l’administration publique… l’émulation est incroyable. Cela a été une année très riche en rencontres, réflexion, anticipation, adaptabilité. Il y a eu une telle solidarité que je garderai de cette crise, malgré tout, un souvenir ému.
Je suis confiant face à l’avenir. Grâce à la vaccination, qui stoppera les formes graves et la mortalité, je crois à un renouveau fin avril-début mai. Au centre de vaccination, les gens repartent contents, parce qu’ils savent que cette petite injection va changer leur quotidien. Il y a quelques semaines, beaucoup disaient ne pas vouloir de “ce vaccin fait à la va-vite”, maintenant, ils le veulent tous ! »
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« Ce travail en commun des soignants, il faut le chérir »
Julie Oudet, 39 ans, médecin urgentiste au SAMU de Toulouse (Haute-Garonne)
« En médecine de catastrophe, j’avais été formée au pire des scénarios : une pandémie à virus respiratoire qui s’installe dans la durée, entraîne des conséquences lourdes et une méfiance face aux mesures prises. La crise sanitaire que nous vivons n’est pas différente de ce qu’on m’a appris.
Depuis un an, ce qui m’a le plus marquée est la mobilisation des soignants au sens large. En mars 2020, lors de la première vague, face aux milliers d’appels que l’on recevait au SAMU, nous avions créé une cellule de crise Covid avec un pool d’étudiants en santé. Ce sont ces mêmes jeunes qui, une année plus tard, ont répondu à nouveau à l’appel pour participer à la plate-forme départementale de vaccination. C’est une boucle incroyable ! Ces jeunes – mes pioupious, comme je les appelle – sont extra. La vaccination est un travail dantesque, une charge de travail démentielle, mais c’est ce qui nous sauvera – excusez-moi pour l’expression mais il n’y en a pas d’autres – de la merde. L’énergie, la niaque de ces jeunes pour faire au mieux à l’égard des patients, c’est ma drogue pour tenir car je trouve cela beau.
Cette expérience du Covid-19 ne fait que conforter ma conviction que nous devons travailler tous ensemble, généralistes, infirmières libérales, urgentistes, réanimateurs, étudiants, etc. Ce travail en commun, ce respect mutuel, indispensable quand le système de soins est sursollicité, il faut le chérir.
Des soignants sont épuisés. On décompressera d’autant mieux qu’on aura, avec la vaccination, la satisfaction du travail accompli. Mon objectif est de parvenir à une situation de type Covid saisonnier, comme on a la grippe saisonnière. Ce Covid saisonnier ne sera pas grave parce qu’il ne dépassera pas la capacité du système de soins et sera donc gérable. »
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« On ne s’en sort pas, et cela arrive après un an de galère »
Thomas Gille, 39 ans, pneumologue à l’hôpital Avicenne, à Bobigny (Seine-Saint-Denis)

« Une pandémie, ce n’est pas de la science-fiction. Même si cela était assez loin de nos préoccupations, nous étions nombreux à savoir que ça pouvait arriver. De là à imaginer toutes les implications que ça aurait… La situation a été inédite et la réponse a été à la hauteur.
Au printemps, l’hôpital a fait du Covid à 90 %. Il a fallu que les gens acceptent d’aller travailler dans des unités qui n’étaient pas les leurs, avec d’autres collègues, bref, que tout le monde aille dans la même direction. Me revient en mémoire l’afflux de patients au plus fort de la première vague. Ils arrivaient en continu, jour et nuit. C’était du jamais-vu.
Dans les suivis post-Covid, on reçoit des patients avec des trajectoires de vie sinon brisées par la maladie, du moins très infléchies. Ils ont fait des formes sévères, voire très sévères, ont souvent une cicatrisation pulmonaire assez longue, heureusement, dans la grande majorité, ils ont tendance à s’améliorer spontanément. Une minorité a des séquelles importantes et permanentes. En revanche, ce qui est marquant, c’est la grande prévalence de syndromes de stress post-traumatique.
Depuis un an, les cellules de crise, qui réunissent des représentants des différents services hospitaliers ou administratifs, se sont pérennisées. Le dialogue est un peu plus ouvert que par le passé. Mais cela ressemble à un jour sans fin. Nous avons, ces derniers jours, les mêmes discussions que lors de la deuxième vague à l’automne. Les hospitalisations remontent, nous essayons de jongler pour avoir, d’un côté, assez de lits pour les malades du Covid-19 et, de l’autre, ne pas faire perdre de chances aux patients non-Covid. On ne s’en sort pas, et cela arrive après un an de galère, de fatigue…
En début d’année, quand les premiers vaccins sont arrivés, on s’est tous dit qu’il allait falloir tenir jusqu’à l’été et que ça allait le faire. On essaie toujours de se raccrocher à cette idée. Mais, en réalité, personne n’en sait rien. »
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« Un énorme travail sur les survivants nous attend »
Aurélie Frenay, 36 ans, psychologue en réanimation à l’hôpital Saint-Joseph Saint-Luc de Lyon et au Médipôle Lyon-Villeurbanne (Rhône)

« La métaphore des vagues, on ne peut pas faire mieux pour dire ce que l’on vit. Cette année m’a appris à tenir bon au milieu d’un bain traumatique. Aujourd’hui, on attend la troisième vague qui n’arrive pas vraiment et en même temps, on se demande si la deuxième est terminée. Nous sommes dans une intensité qui dure et qui est devenue notre quotidien.
Contrairement au début de l’épidémie, les services doivent continuer à accueillir une réanimation classique en parallèle du Covid. Jongler entre les deux temporalités est difficile. Avec des patients là pour vingt-quatre à soixante-douze heures en risque vital immédiat et des malades du Covid-19 qui restent en général plusieurs semaines. Pour autant, la question d’un deuxième confinement strict n’est pas un sujet de discussion dans les services où je travaille. Ce n’est pas conscient, mais continuer à traiter la réanimation traumatique classique nous relie à la vie d’avant, celle qu’on espère voir revenir. Il y a de l’ambivalence. Les soignants sont épuisés mais s’accrochent à cette idée de retour à la normalité.
Dans les premières semaines du confinement, il y a eu de la sidération et la peur de l’inconnu. Mais nous avons été obligés de vivre et de travailler avec. On s’est adaptés et c’est le point positif. Il fallait continuer à fonctionner, créer de nouveaux liens avec les collègues, avec les patients, ou entre les familles et les patients. On s’est mis à utiliser les portables, les tablettes numériques. On a fait preuve de souplesse, de créativité… Cela modifie aujourd’hui nos manières de travailler, de nous réunir. Un an après, j’ai l’impression qu’on essaie de reprendre nos esprits. On remet en place ce qu’on faisait avant : des formations, des groupes de travail… On reprend la pensée. Le Covid avait phagocyté tout notre temps.
Ce qui nous attend, aujourd’hui, c’est un énorme travail à faire sur les survivants, les Covid longs, mais aussi sur les étudiants, les personnes en suivi psychiatrique qui ont été très fragilisées dans cette période. Savoir que le monde entier est touché par la même chose s’est avéré plus inquiétant que rassurant. Cela a ajouté une dimension traumatique inédite. »
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