« On croyait faire partie de cette famille » : dans la Somme, les « petites mains » d’Airbus sont les premières victimes de la crise de l’aéronautique
ReportageA Albert-Méaulte, où l’aéronautique est le premier employeur, huit cents salariés de sous-traitants d’Airbus sont en passe de perdre leur travail.
Ce sont des fratries, des couples, des pères et des fils, des copains. Des gosses du coin qui ont grandi avec la croyance que « l’aéro » leur offrirait toujours du boulot à deux pas de chez eux, et la confiance des banques pour leurs crédits.
Lorsqu’il a obtenu son diplôme d’ajusteur-monteur en cellule d’aéronefs au lycée Henry-Potez de Stelia Aerospace, à Albert-Méaulte (Somme), puis signé son contrat à durée indéterminée (CDI) chez le sous-traitant Assistance aéronautique et aérospatiale (AAA), Jordan*, 33 ans, en a « pleuré de joie ». Lui qui avait lâché l’école à 14 ans et triait des endives à l’usine allait avoir droit à « une vraie carrière ». Entré compagnon (ouvrier), il était passé contrôleur puis surveillant qualité – « col blanc », il insiste.
« Un pied dans l’aéro, c’était l’avenir tout tracé », se souvient Mickaël Bayle, 35 ans, heureux lui aussi lorsqu’il avait décroché son premier emploi chez Simra (groupe Segula technologies), un autre sous-traitant d’Airbus, avec son seul BEP de tourneur-fraiseur :
« Ils embauchaient les intérimaires dix par dix. Tu commençais direct. »
Ouvrière qualiticienne chez AAA, Tiphanie*, 29 ans, avait suivi le mouvement de ses frères et de Teddy*, son conjoint : « Quand t’as pas fait de grandes études, c’est là que ça recrute et que ça paye le mieux. Et c’est plus valorisant de fabriquer des avions que des brouettes. »
Une fierté que d’appartenir à ce fleuron, dans ce coin de l’est de la Somme bordé par les champs de betteraves, où la filière fait travailler des générations depuis un siècle. C’est ici que l’on détient l’exclusivité de la fabrication des pointes avant d’Airbus. Une quarantaine de sous-traitants gravitent autour d’un seul donneur d’ordres : Stelia Aerospace, filiale du géant.
« On croyait faire partie de cette famille… D’un coup, on vient te rappeler qu’en tant que petit sous-traitant t’es qu’un joker, une roue de secours », lâche Jordan. Sur la toile cirée de chez ses parents, où il est retourné vivre faute de pouvoir garder sa maison, le trentenaire, mèche gominée, déplie sa lettre de licenciement pour motif économique. Ils sont 128 sur 150 à l’avoir reçue chez AAA. Et des centaines à l’attendre chez d’autres sous-traitants.
« Purge chez les sous-traitants »
Qui aurait pu prédire un tel effondrement après une décennie à plein régime ? Face à la chute brutale des cadences et de son chiffre d’affaires, Stelia a récupéré la charge qu’elle sous-traitait jusqu’alors et remercié ses 130 intérimaires. Les sociétés prestataires ont pris le bouillon. Depuis, les plans sociaux s’enchaînent, en dépit des 20 millions d’euros d’aides de l’Etat versés à la filière. Si Stelia supprime aussi des postes, les licenciements secs ont toutefois pu être évités. « Au prix d’une purge chez les sous-traitants », grincent certains.
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