« Intermittents du spectacle » : la première fois que « Le Monde » l’a écrit
En plein confinement, Florence Loiret-Caille, la Marie-Jeanne du Bureau des légendes, avouait dans Télérama qu’elle n’avait pas « son statut d’intermittente ». Et le lecteur découvrait qu’une actrice tenant un rôle important dans l’une des séries les plus regardées de ces dernières années pouvait galérer. Depuis près de vingt ans, l’intermittent du spectacle est certes devenu une figure récurrente des luttes sociales, mais une figure anonyme, métaphore de la fragilité du secteur culturel.
Florence Loiret-Caille lui a donné un visage au moment où la pandémie plongeait la culture dans une crise sans précédent. Début mai, Emmanuel Macron a annoncé que les 130 000 intermittents français auraient droit à une « année blanche » pour compenser ces semaines, devenues des mois, sans pouvoir travailler. En clair, ils verront leurs droits au chômage prolongés d’un an. Un geste fort adressé à un milieu qui se sent néanmoins délaissé. Dans son discours du 14 juin annonçant un déconfinement quasi total, le président de la République n’a pas fixé d’horizon susceptible de le rassurer.
Les occurrences du mot « intermittent » dans Le Monde sont un véritable baromètre des crises traversées par la culture. Il fait son apparition le 18 juin 1968 alors que les musiciens demandent la « revalorisation » de leur profession. « Chaque année, de nombreux instrumentistes sortent du Conservatoire. Trois perspectives s’ouvrent à eux : “décrocher le gros lot”, c’est-à-dire trouver un emploi à l’Opéra […] ou à l’Orchestre de Paris ; entrer dans un orchestre de variétés ; courir le cachet dans des ensembles occasionnels, à la radio ou comme professeur, c’est-à-dire dans une situation de chômeur intermittent. Aussi beaucoup abandonnent-ils la musique », déplore Jacques Lonchampt.
Les fragiles artisans de « l’imaginaire »
Deux ans plus tard, ce sont tous les professionnels du spectacle qui appellent à l’aide. « Pour le public, les artistes du spectacle demeurent des êtres qui bénéficient d’un niveau et d’un mode de vie privilégiés, des êtres “à part”, en somme ! Parce qu’ils participent à la création de l’“imaginaire”, on tend volontiers à considérer que leur existence quotidienne relève aussi de l’“imaginaire”, qu’elle échappe à ces contingences dont le monde moderne est loin de nous avoir délivrés », s’emporte, le 2 mars 1970, dans une tribune, Robert Sandrey, délégué général du Syndicat français des artistes-interprètes, qui constate : « Neuf dixièmes d’entre eux n’ont exercé leur profession qu’accidentellement. Le chômage s’est peu à peu installé dans nos professions comme un état normal : il peut être évalué à 80 %, partiel ou total. Ainsi, ces gens “à part” sont-ils surtout des gens “en marge”. »
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