« Si l’action publique a besoin d’un encadrement, elle doit aussi libérer l’initiative des acteurs de terrain »
Tribune. La bureaucratie a été mise en cause dans la gestion de la lutte contre l’épidémie en France. D’abord, dans l’approvisionnement en masques : l’Etat en a commandé d’énormes quantités qui ont tardé à arriver. L’explication est liée à nos règles de marchés publics qui prévoient une avance de 5 % du prix à la commande et le solde à la réception, là où les fournisseurs chinois exigent 75 % d’avance et 100 % avant expédition.
Ces exigences ont sans doute fini par être acceptées, mais trop tard pour ne pas s’être fait doubler par d’autres acheteurs. Ensuite, en ce qui concerne le manque de tests, les laboratoires vétérinaires départementaux et ceux des établissements de recherche possèdent des capacités d’analyse précieuses pour renforcer celles des hôpitaux et des laboratoires médicaux, mais lever les obstacles à leur participation à la lutte contre l’épidémie a été un combat.
Il a fallu attendre un décret, puis une réquisition par le préfet, assortie d’une supervision par un hôpital ou un laboratoire médical. Seuls certains y sont arrivés. Il a fallu franchir les barrières qui enferment le droit dans chaque domaine (santé humaine, santé animale, recherche…).
Une dérive bureaucratique
Enfin, dans la définition des « normes de déconfinement » à l’usage des écoles et des transports publics, celles-ci ont suscité la bronca d’une partie des maires et des entreprises de transport. Certes, le protocole de réouverture des écoles, par exemple, se présente comme un simple guide et non comme un règlement, mais son degré de détail (54 pages), et l’usage du présent à valeur impérative, ont fait craindre aux maires que chacune des mesures prescrites soit considérée comme une obligation, dont le non-respect engagerait leur responsabilité pénale.
A-t-on affaire à une dérive bureaucratique, qu’il suffirait de corriger ? Il est à craindre que non, tant les difficultés rencontrées tiennent aux caractéristiques de l’Etat, fondé sur la réglementation et la hiérarchie, dont le sociologue Max Weber a décrit la logique. Les activités sont réparties, conformément à des règles écrites, entre des acteurs dont les compétences sont soumises à des limitations bien définies. L’organisation de ces acteurs obéit au principe de hiérarchie.
Toute la gestion s’effectue conformément à des règles générales, sans considération de la personne. Son succès a été indéniable : les privilèges et l’arbitraire ont été sinon abolis du moins réduits. En plongeant plus loin dans le passé, c’est la bureaucratie qui a permis, depuis l’Antiquité, d’organiser la coopération de milliers de personnes autour d’une action commune.
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