Moins rodés, moins formés : pour les jeunes actifs, les pièges du télétravail

Moins rodés, moins formés : pour les jeunes actifs, les pièges du télétravail

Quand s’éternise la quatrième réunion virtuelle de la journée, il arrive souvent à Louis de couper sa caméra, prétextant « un bug ». Il se carapate sur son balcon et laisse l’ordinateur tourner dans le salon. « Quand tout le monde est dans la même salle, il est plus facile de faire comprendre, par des gestes ou une attitude, qu’on s’impatiente. Mais, en visio, on ne se rend pas compte : ce serait brutal de dire “on s’emmerde !” », remarque ce garçon de 28 ans à la langue bien pendue, développeur mobile dans une start-up à Nantes.

En télétravail depuis le premier jour du confinement, Louis a installé son bureau dans sa colocation – sa motivation n’a cessé de dégringoler depuis. Et cela risque de durer. « La situation financière de mon entreprise n’étant pas exceptionnelle, ils envisagent de se séparer de nos locaux et de faire durer le télétravail, explique-t-il. Je n’ai pas du tout signé pour ça. Si jamais c’était imposé, ça serait pour moi un motif de démission. »

Contrairement aux idées reçues, plusieurs enquêtes montrent que les jeunes diplômés, derniers insérés dans le monde professionnel, sont ceux qui souffrent le plus de cette période de télétravail prolongée. Selon une étude menée par ChooseMyCompany auprès de 200 entreprises pendant le confinement, réunissant plus de 10 000 participants, les personnes qui ont moins de cinq ans d’expérience présentent un score de satisfaction d’environ 62 %, alors que celles qui ont plus de trente années de métier frôlent les 85 %.

Sans cadre ni hiérarchie

« Un sujet d’équité intergénérationnelle est posé ici, fait valoir Fanny Lederlin, doctorante en philosophie politique et autrice de l’ouvrage Les Dépossédés de l’open space (PUF, 225 p., 19,90 euros). Le télétravail est une modalité qui convient très bien auxparvenus, au sens d’être arrivé à un certain statut social : gagner un bon salaire, fonder une famille, etc. » La plupart des jeunes n’ont pas encore construit leur carrière, sont moins payés, vivent dans de petits logements ou toujours chez leurs parents. Ils ne télétravaillent pas dans les mêmes conditions matérielles que les travailleurs plus âgés et pâtissent davantage de la solitude.

Pour Safia (le prénom a été modifié), 25 ans, juriste dans une association à Paris, il s’agit de jongler avec la mauvaise connexion Internet et les cours de danse de sa colocataire, étudiante dans une école de comédie musicale : « Ma chambre est petite. Je n’y vais que si j’ai un appel ou une visio, pour m’isoler des bruits du salon où travaille aussi ma coloc. » Embauchée en CDI en janvier, cette double diplômée de l’Institut d’études politiques de Saint-Germain-en-Laye et de l’université Paris-Saclay fait ses premiers pas dans le monde du travail depuis chez elle, sans équipe à proximité. « C’était stressant au début, mais ça m’a poussée à être plus autonome. Je ne vais pas déranger quelqu’un dès que j’ai un doute, alors je deale avec moi-même. »

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LJD

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