Retour sur le procès de France Télécom: les dégâts de la langue managériale
Le Livre. Le lundi 6 mai 2019, dans la salle bondée du tribunal correctionnel de Paris, quatre (ex-)hauts dirigeants de France Télécom écoutent la présidente du tribunal lire les constats opérés par les magistrats instructeurs qui leur imputent la mise en place et l’exécution d’« une politique d’entreprise visant à déstabiliser les salariés et agents, et à créer un climat professionnel anxiogène ».
C’est le début du procès de France Télécom. Quarante et un jours qui marqueront un tournant dans le droit pénal du travail. Dans La Raison des plus forts (Editions de l’Atelier), coordonné par le porte-parole de l’Union syndicale Solidaires Eric Beynel, sociologues, avocats et écrivains éclairent dans une chronique quotidienne le procès d’une lumière particulière.
Monique Fraysse-Guiglini témoigne du déni dont fait preuve la direction des ressources humaines (DRH). Alerté dès la mi-2007 par l’augmentation des visites médicales à la demande, le médecin du travail tente bien de prévenir, avec une dizaine de confrères, le DRH Didier Barberot. « Il ne prend en rien la mesure de ce que nous essayons de lui dire. Il plaisante, tente de nous rassurer, et finalement nous dit que les médecins, c’est bien normal, ne voient que les gens à problèmes. »
Dans sa chronique, le réalisateur Vincent Gaullier revient sur la posture du patron, en analysant l’attitude de Didier Lombard, ancien PDG de France Télécom, lors de l’audience du lundi 20 mai. La sociologue Odile Henry décortique le langage managérial, qui fait disparaître, derrière les chiffres et les prévisions, les courbes et les trajectoires, les hommes et les femmes, « selon le processus bien connu de fétichisation de la marchandise. » Ce procès contribue, selon la sociologue, à « débanaliser la langue managériale et met en avant son caractère orwellien ».
Cynisme, aveuglement et impunité
A la veille du procès, près de vingt ans après les premiers textes sur le harcèlement moral et dix ans après la terrifiante crise des suicides à France Télécom, « les capacités de déni des grandes entreprises étaient telles que la déstabilisation volontaire des conditions de travail de l’ensemble du personnel d’une des plus grandes entreprises françaises, qui avait pour but d’éliminer des milliers d’employés, pouvait être revendiquée comme relevant des prérogatives ordinaires d’une direction », rappellent Mes Jean-Paul Teissonnière et Sylvie Topaloff, avocats SUD-PTT Solidaires.
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