Entre mantra politique et mirage économique, le difficile retour des usines en France
DécryptagesLes défis de la relocalisation 1/5. La crise liée au coronavirus a révélé les conséquences des délocalisations sur la dépendance de la France dans certains secteurs. Politiques et chefs d’entreprise plaident pour un rapatriement partiel de certaines activités
Arnaud Montebourg n’a pu s’empêcher de poster, le 23 mai, un message sur Twitter, entre deux tweets sur son miel « Bleu-blanc-ruche » et ses glaces bio « La Mémère ». Devant l’engouement des Français pour les relocalisations, il a annoncé qu’il republiait son ouvrage, La Bataille du made in France (Flammarion), écrit en 2013. « A télécharger gratuitement ici », précise le ministre du redressement productif de François Hollande (2012-2014), qui poursuit son combat avec une casquette d’entrepreneur. Le « retraité » de la politique n’avait pu réaliser son rêve de « démondialisation » à Bercy ; et voilà que le Covid-19 rebat les cartes en faveur d’un patriotisme économique qui lui est cher.
Emmanuel Macron lui-même a infléchi son discours : la France doit reconquérir sa « souveraineté industrielle ». Le ministre de l’économie s’en fait l’avocat inconditionnel. Exemple de l’automobile à l’appui, Bruno Le Maire entend « rompre avec trente années où l’on a massivement délocalisé », et rapatrier « certaines productions ». L’injonction vaut surtout pour Renault, qui a été invité à se joindre à l’alliance européenne sur les batteries, aux côtés de PSA et de Saft (groupe Total). Avec un argument de poids : les 8 milliards d’euros d’aides reçus par la filière, dont plus de 5 milliards pour le groupe au losange.
La France s’est progressivement désindustrialisée à la fin des « trente glorieuses », au milieu des années 1970. En visite dans une usine sidérurgique du Creusot (Saône-et-Loire), en 1959, le général de Gaulle se disait « stupéfait » par « tout un ensemble de puissance, d’activité, de progrès » qu’il y découvrait. Quel président de la République, hormis Georges Pompidou, a été capable d’un tel hymne à l’industrie ? Leurs successeurs ont développé une économie « tous services », qui s’est traduite par des délocalisations-restructurations (textile-habillement, sidérurgie, automobile, chantiers navals, informatique…).
La dérive du « fabless »
Il y a trente ans, quand l’Allemagne cessait de fermer ses usines, la France persévérait dans l’idée du « fabless ». Elle a culminé en 2001, quand Serge Tchuruk, PDG d’Alcatel, a prétendu en faire « un groupe industriel sans usine ». Poussée à l’extrême, la théorie des avantages comparatifs a conduit à produire tout ce qui pouvait l’être dans les pays à bas coûts, pour ne garder que les activités à haute valeur ajoutée. Le dédain des élites politico-administratives pour l’industrie a fait le reste. Alors qu’elle pèse 25 % du produit intérieur brut (PIB) outre-Rhin – et qu’elle y est un puissant vecteur d’innovation et d’exportation – elle représente seulement 12 % du PIB en France, qui n’a cessé de perdre des parts de marché – surtout en Europe – en raison d’une compétitivité insuffisante et de produits moyen de gamme.
Il vous reste 71.21% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.