La transparence attendue par les salariés sur les politiques de rémunération ne convainc pas tous les DRH
Les résultats des négociations annuelles obligatoires indiquent que les progressions salariales seront inférieures en 2020 à celles de 2019. Les études se succèdent depuis le début janvier pour l’annoncer, chiffres à l’appui. Certains groupes, comme le pharmaceutique Ipsen, les avaient achevées avant la fin de l’année, d’autres, comme l’assureur AXA, vont seulement s’y atteler. Comment les entreprises pensent leur politique de rémunération et interprètent les attentes des salariés ? Les Rencontres RH, nouveau rendez-vous de réflexion mensuel sur l’actualité du management, organisé par Le Monde en partenariat avec Leboncoin, se sont tenues mardi 14 janvier à la Maison de l’Amérique latine, à Paris, pour tenter d’y répondre.
Pour les salariés, la rémunération apparaît comme un élément d’identification sociale, explique la sociologue Elise Penalva-Icher, qui constate de grandes attentes de transparence de la part des salariés : « Discuter salaire, c’est dire qui je suis et où je me situe dans mon entreprise. Mais les grilles de salaire, qui étaient claires durant les “trente glorieuses”, sont devenues floues, avec la complexification des rémunérations et les dispositifs hétérogènes qui complètent le salaire : variable, intéressement, participation, épargne salariale, stock-options, etc. » En outre, « on a tendance à souvent changer le mode de rémunération, ce qui ajoute à la complexité et à l’opacité », indique le DRH d’Ipsen, Régis Mulot.
Comparaison brouillonne
En réaction, les salariés développent des stratégies relationnelles pour évaluer leur rémunération. Ils se comparent à leurs collègues ou à leurs supérieurs, sauf les femmes, qui s’informent plutôt auprès de leurs subalternes pour relativiser l’inégalité salariale qui les touche. Et cette comparaison brouillonne ne produit qu’insatisfaction, poursuit la sociologue de Paris-Dauphine.
Mais il est difficile d’être transparent sur l’ensemble de la rémunération, estime Jean-Christophe Sciberras, le directeur des relations sociales d’AXA. « Dans les années 1990, on a commencé à objectiver les rémunérations sur les résultats, et on a poursuivi sur des éléments d’appréciation subjective. Or, il n’est pas simple d’être transparent sur ces points-là. » D’autant que « tout n’est pas explicable dans une rémunération, dans la mesure où on parle d’humain », souligne Emmanuel Dufour, DRH d’Unibail-Rodamco-Westfield.
Mais « la demande de transparence ne porte pas tant sur les revenus que sur l’équité », estime Benoît Serre, vice-président délégué de l’Association nationale des DRH (ANDRH). « Ce que j’entends de mes collaborateurs, c’est qu’ils veulent comprendre le système, la cohérence », renchérit Régis Mulot. « Les cadres adhèrent au principe de personnalisation des rémunérations, mais sont perdus face à la mise en œuvre », note Mme Penalva-Icher.
La transparence est aussi portée par les actionnaires. « En quinze-vingt ans, le rôle de l’actionnariat a énormément évolué, pas seulement sur la rémunération des dirigeants, affirme Christophe Le Bars, DRH de Cegos. Dans de nombreuses assemblées générales, les actionnaires interrogent aujourd’hui sur les modalités de rémunération des salariés. »
L’enjeu est de taille, 87 % des cadres disent discuter de rémunération et il s’agit de ne pas perdre les meilleurs. A la Fédération française de sport automobile, la structure est modeste, « on est à moins de cinquante salariés, explique la responsable RH, Sophie Cassan. On est totalement dans l’individualisation des rémunérations, sans système variable. En périphérie, il y a bien la prise en charge de la mutuelle, mais la marge de manœuvre est réduite. Du coup, on crée des différences entre les cadres sans s’en rendre compte, et on en perd qui partent vers les grands groupes ».
De plus en plus complexe et individualisée
Pour fidéliser leurs salariés, « ces dernières années, les sociétés ont mis en avant bien d’autres éléments que la rémunération. Dans un contexte qui apparaît de plus en plus important concernant l’équilibre des temps de vie, les services ou “benefits” qui facilitent la vie des collaborateurs ont pris une importance croissante : facilité pour télétravailler, pour se déplacer, crèches d’entreprise pour les jeunes parents… », énumère Emmanuel Dufour.
Pour Frédéric Dubois, chargé des politiques de rémunérations du Groupe ADP (ex-Aéroports de Paris), ces dernières ont besoin d’être améliorées sur trois axes : le premier est ce qu’on paye, car si au départ le salaire payait le travail, aujourd’hui, la rémunération paye autre chose, de la flexibilité, du temps disponible, etc. ; le deuxième est l’équité reposée par la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) et, enfin, troisième point, la compétitivité sur le marché, avec, par exemple, l’actionnariat salarié pour partager le succès de l’entreprise.
La rémunération est de plus en plus complexe et individualisée. « La demande de transparence est avant tout le besoin de comprendre la stratégie de l’entreprise. Les manageurs doivent échanger davantage pour rendre l’équité plus lisible », recommande-t-il. L’étape suivante étant de redonner de la perspective aux systèmes de rémunération.
Les invités du 14 janvier
Ont participé aux rencontres RH du 14 janvier : Elise Penalva-Icher, sociologue de l’université Paris-Dauphine ; Frédéric Dubois, responsable du département rémunérations d’ADP, Emmanuel Dufour, DRH d’Unibail-Rodamco-Westfield ; Régis Mulot, DRH d’Ipsen ; Jean-Christophe Sciberras, directeur des relations sociales d’AXA ; Sophie Cassan, responsable RH de la Fédération française de sport automobile ; Christophe Le Bars, DRH de Cegos ; Wassila Kriche, responsable RH de la mutuelle Unéo ; Benoît Serre, vice-président délégué de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) ; Anne Rodier, journaliste, Le Monde ; Gilles van Kote, directeur délégué, Le Monde.